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Full text of "Li Romans de Garin le Loherain"

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ROMANS  DES  DOUZE  PAIRS 

DE  FRANCE. 
N°  III. 


Cet  ouvrage  csl  tiré  à  quatre  cents  exemplaires, 
papier  de  Hollande,  et  vingt  papier  vlin. 


N' 


PARIS.  — IMPB.   DE  FIRMIN  DIDOT   FREREi, 

Rue  Jacob,  ii°  24. 


LI 

ROMANS  DE  GARIN 

LE  LOHERAIN, 

PUBLIÉ    POUR     LA    PREMIÈRE     FOIS    ET    PRÉcÉdÉ 

DE  l'examen  du  système  de  m.  FAURIEL 

SLR     LES    ROMANS    CARLOVINGIENS. 

PAR  AI.   P.   PARIS. 


PARIS. 

TECHENER  ,    PLACE   DU   LODVBE  ,  N" 12. 

1835. 


'*'»*K.fO 


/  735 


LI    ROMANS 


GARI?^    LE  LOHERAIN. 


[Suite  du  XXIh  couplet.) 

jtijDONT  parla  l'aicevesques  Henris* 
fâ^6^Q»i  de  Rains  dut  la  croce  maintenir: 
fg^  .  Drois  empereres,  que  est-ce  que  tu  dis? 
«  Se  Garins  la,  France  verras  honnir; 
«  Jamais  Fromons  ne  te  voura  servir 


'  Nous  avons  déjà  vu  figurer  l'archevêque  de  Reims 
dans  la  première  chanson.  En  comparant  les  récils  du 
Garin  avec  ceux  de  Flodoard,  on  retrouve  dans  Henri 
le  souvenir  d'Heriveus  ou  Hervé,  qui  succéda  à  Foul- 
ques en  900  et  finit ,  après  avoir  été  le  conseiller  de 
Charles -le -Simple,  par  se  joindre  à  ses  ennemis.  Flo- 
doard ,  tout  en  montrant  pour  Heriveus  une  partialité 
fondée  sur  les  bienfaits  qu'il  en  avait  reçus,  le  pré- 
sente comme  :  «  Largus  solator  religiosorum....  pater 
«  cleri  atque  populi  fjiiis  palrouus...  amator  ecclesiarum 
II.  I 


2  LI  ROMANS  DE 

«  Né  ses  parages  né  tuit  si  bon  ami  '. 
«  Jamais  la  guerre  nul  jor  ne  penra  fin.  >• 

—  «  Qu'en  ferai  donc?  »  li  rois  Pépins  a  dit. 

—  «  Se  la  prenez,  »  li  arcevesques  dit, 
a  Partant  ferez  la  guerre  départir; 

«  Vous  estes  jones  et  la  dame  autresi, 
n  Plus  hautement  ne  povez  vous  choisir, 
«  Né  mains  de  terre  n'a-elle  pas  de  ti.  » 
Et  dist  li  rois  :  «  Merveilles  puis  oïr! 
«  Vous  m'enseignez  ma  fiance  à  mentir.  >^ 

—  «  Non  fais  voir,  sire;  car  je  me  sui  garnis  '  : 

«Dei,  et  fortissimus  ovilis  sibi  commissi  cum  Dei  virtiite 
«  deffensor.»  Suivant  le  même  Flodoard,  quand  les  Wandies 
ou  Hongres  envahirent  la  Lorraine,  Heriveus  avait  été  le 
seul  vassal  du  roi  qui  ne  lui  refusât  pas  assistance,  et  nul 
prélat  n'avait  fait  rendre  à  l'église  autant  de  terres  et  de 
privilèges  usurpés  antérieurement  par  les  seigneurs  laïcs. 
De  tout  cela,  ue  concluons  pas  que  les  récils  du  Garin  sont 
fondés  sur  l'histoire  du  x*  siècle,  mais  seulement  que  les 
allusions  nombreuses  aux  événements  de  cette  époque 
accusent  assez  bien  la  date  du  poème. 

»  Né  luit  si  bon  ami.  Variante  du  msc.  St.-Germ.  2041  : 

né  son  mervillous  lin. 

ï  Je  me  sui  garnis,  etc.,  j'ai  pris  mes  précautions  ;  j'ai  eu 
soin  de  faire  constater  par  deux  hommes  la  pareuté  qui 
unit  Garia  et  Biancheflor. 


GARIN  LE  LOHERAIN. 
'<  Deus  moines  ai  porchaciés  et  perquis 
«  Qui  jureront  qu'ambedui  sunt  d'un  lin  '. 
'<  Demain  seront  dessevré  et  parti.  » 
Dist  l'empereres  :  «  Dont  l'irai-je  véir''  ; 
«  S'ele  me  siet  si  m'aura  à  mari.  » 
Maintenant  monte,  n'i  ot  nul  respit  prins, 
Dusqu'à  l'ostel  ne  prennent  onques  fin. 

A  Blancheflor  fu  la  nouvele  dit 
Que  ci  venoit  l'empereres  Pépins; 
Et  la  pucelle  en  une  chambre  vint 
Et  vest  un  drap,  nuns  si  riche  ne  vit. 
Fors  de  la  chambre  contre  le  roi  issit: 
Li  empereres  entre  ses  bras  la  print: 

—  «  Ma  damoiselle,  bien  puissiez-vous  venir!  » 

—  'c  Sire,  »  dist-elle,  «  la  vostre  grant  merci!  » 

En  une  chambre  sunt  maintenant  assis  ^: 
Il  li  regarde  et  le  cors  et  le  vis  *, 

<  Lin,  ligne,  lignée. 

»  Dont,  donc.  Je  ne  crois  pas  que  cette  dernière  ortho- 
graphe soit  antérieure  au  .wt*^  siècle.  De  même  adont, 
pour  adonc. 

5  En  une  chambre.  Variante  du  msc.  St.-Germ.  ao4i  : 

En  une  coache, 

4  Et  le  cors  et  le  vis.  Variante  : 
Et  la  bouche  elle  vig. 


/,  LI  ROMANS  DE 

Et  ncs  et  bras ,  le  menton  et  le  pis; 
Les  niammelcttes  il  vit  amont  sallir  ' 
Que  li  soslievent  le  peliçon  hermin '. 
Se  il  ne  l'a,  molt  se  prise  petit  : 
Embrasés  est  de  s'amor  et  sosprins. 
En  son  palais  arriéres  s'en  revint, 
Icelle  nuit  ne  put  onques  dormir. 

Matines  sonnent  :  li  arcevescjues  vint  ^. 
Li  rois  le  voit ,  si  l'a  à  raison  mis  : 
—  «  Sire,  »  dist-il,  »  ne  vous  en  quier  mentir, 
«  Je  ai  véu  Blancheflor  au  cler  vis , 
«  Si  m'ait  Diex,  je  en  sui  si  sosprins  , 
'<  Je  la  penroie  vollentiers ,  non  envis. 

'  Amont  sallir,  s'élever  en  hauleur;  pour  à  mont, 
comme  aval  pour  à  val,  d'où  avaler. 

2  Que  li  soslievent,  etc.;  parce  qu'elles  soulèvent  sou 
pelisson  d'hermine. 

^Le  président  La  Mare  a  mis  en  note,  sur  son  manuscrit; 
<•  Cela  prouve  que  l'archevesque  se  levoit  et  venoit  à  ma- 
tiues.  »  (Msc.  7628.  ^.)  J'ajouterai  :  non  seulement  les 
archevêques,  mais  aussi  les  barons  et  les  rois.  C'est,  dans 
nos  chansons  de  Geste ,  un  reproche  fréquemment  adressé 
aux  personnages  odieux ,  de  n'avoir  en  souci  ni  dévotes  orai- 
sons, ni  matines  ;  et  dans  le  beau  roman  à'Auberi  le  Bour- 
going,  ce  héros,  victime  d'une  méprise,  est  assassiné 
comme  il  entendait  pieusement  les  matines  à  Saint-Denis. 


GARIN  LE  LOHERATN. 

«  Ains  de  mes  ieiis  plus  belle  riens  ne  vis. 
«  Or  pourchassiez  ce  que  vous  m'avez  dit.  « 
Dist  l'arcevesques  :  »  Por  Dieu,  j'en  sni  garnis. 
"  Ce  sunt  deus  moine,  chenu  sunt  et  flori  ', 
<  Le  parenté  jurront  sans  contredit.  » 

Li  jors  apert  et  li  aube  esclarcit  : 
Les  messes  sonnent  tôt  contreval  Paris; 
A  Saint-Magloire  la  pucelle  s'en  vinf. 

»  Chenu  sunt,  ils  sont  blanchis  par  les  années  ,  comme 
il  convient  à  des  témoins  d'alliance  on  de  parenté.  I.'àge 
ponvait  en  effet  leur  donner  connaissance  des  faits  onbliés 
par  les  plus  jeunes. 

2  A  Saint-Magloire.  "Voici  un  nouveau  moyen  de  re- 
trouver la  date  du  poëme.  Saint  Magloire  donna  son  nom  à 
la  chapelle  royale,  de  i;75à  ii38.  Sous  le  règne  de  Lothaire, 
l'évéque  d'Aletz  étant  venu  déposer  à  Paris  les  reliques 
bretouoes  des  saints  Magloire,  Samson  et  Maclou,  Lo- 
tbaire  recueillit  ces  objets  sacrés  dans  la  chapelle  de  son 
palais  qui  s'appela,  dès  ce  moment,  Saint-Magloire; 
mais  elle  reprit  le  nom  de  Chapelle  Saint-Barthélémy, 
sous  le  régne  de  Louis  VU,  en  ii3S.  Ainsi  on  doit  pla- 
cer la  composition  de  Garin  entre  la  fin  du  x*"  et  le  com- 
meucenient  du  xu""  siècle;  car  le  poète,  écrivant  pour  le 
peuple,  n'aurait  pas  désigné  sous  un  nom  inusité  le  monu- 
ment sur  lequel  il  appelait  l'attention. 

Saint-Bartbélemy,  dépouillé  par  l'érection  de  la  Sainte- 
Chapelle  des  prérogatives  de  chapelle  royale,  subsista  toute- 
fois jusqu'en  1792  ,  cette  grande  année  climalérique  de  la 


6  LI  ROMANS  DE 

Et  Bauduins  se  leva  par  matin, 

Li  quens  Fromons  et  Bcrnars  de  Naisil  ; 

En  lor  compaigne  chevaliers  trente  sis. 

Le  palais  montent:  d'une  part  se  snnl  mis  ' 
Por  les  nouvelles  et  enqnerre  et  oïr. 
Atant  ez-vous  Blancheflor  au  cler  vis, 
Ensemble  o  lui  de  chevaliers  bien  vint. 
Bernars  la  voit,  au  conte  Fromont  dist  : 
«  Vez  la  pucelle  dont  tant  niaus  sunt  partis, 
'<  Dont  nos  avons  perdu  nos  bons  amis. 
«  Car  la  donnons  dant  Isoré  le  gris 
«  Ou  mon  neveu  Guillaume  de  Monclin. 
«  Se  la  tenoie ,  par  mon  chief,  à  ]Naisil , 
n  Je  laisseroie  Hellsent,  je  vos  di, 
«  La  damoiselle  coucheroie  avec  mi. 

France.  Elle  était  située  en  face  du  Palais  de  Justice.  L'é- 
glise n'était  pas  belle;  mais  la  menuiserie  dorée  du  chœur, 
plusieurs  tableaux,  le  tombeau  de  Claude  Clerselier,  Pé- 
pitaphe  de  l'avocat  géuéral  Louis  Servin,  enfin  les  deux 
belles  statues  de  saint  Barlbelemy  et  sainte  Catherine,  pla- 
cées devant  les  portes;  tout  cela  aurait  mérité  grâce  dans 
un  tout  autre  temps.  On  fil  tomber  l'église  qui,  rebâtie 
au  XI v*^  siècle,  avait  encore  clé  restaurée  en  1778.  A  la 
place,  ou  construisit  une  salle  de  spectacle.  Hilarilatipu- 
bl'tcœ.  Ce  fut  le  théâtre  delà  C;ilé,  que  les  acteurs  aban- 
donnèrent bientôt  à  défaut  de  public.  C'est  aujourd'hui 
la  salle  du  Prado. 

I  D'une  part,  à  part,  à  l'écart. 


GARIN  LE  LOHERAIN. 

n  Prenez-Ià,  niés,  s'aiirons  tôt  assouvi  '.  « 

Et  dist  Fromons  :  «  Sire,  por  dieu  merci , 

«  Por  guerroier  ne  sui  pas  venus  ci, 

'<  Mais  por  pais  faire,  se  Diex  l'a  consenti. 

«  De  guerroier  ne  vi  onques  joïr.  » 

—  «Voir,  »  dist  Bernars,  «  aine  ne  ni'apartenis, 

'<  Mauvais  couars  !  com  estes  assouplis  !  » 

Atant  cz-vous  le  Lohérenc  Garin, 
Begon  son  frère  et  l'Allcmant  Ouri, 
Girart  dou  Liège ,  le  Borgoin  Auberi 
Et  bien  soissante  de  chevaliers  de  pris. 
Tout  le  linage  au  Lohérenc  Garin. 
Fromons  les  voit,  an  conte  Bernart  dit  : 
'(  Par  Dieu  !  biaus  oncles,  or  vos  tiens  à  hardi, 
«  Se  vous  alez  la  pucelle  saisir.  » 
Et  dist  Bernars  :  «  Tost  m'en  avez  requis  ; 
i  II  n'est  pas  leus,  ore,  ce  m'est  avis.  » 

Nostre  empereres  va  la  dame  saisir, 
De  jouste  lui  la  pucelle  s'assit; 
Puis  apella  Froraont  le  poestis 
Et  son  linage  et  ses  riches  amins  : 
—  «  Car  faites  pais  au  duc,  je  vos  en  pri; 
«  En  droit  de  moi  ce  que  avez  mesprins, 

•  Prenez-là,  etc.,  c'est-à-dire  :  Mou  neveu,  prenez-la 
pour  notre  famille;  ainsi  nous  terminerons  tout. 


8  LI  ROMANS  DE 

«  Je  le  mettrai ,  s'il  vous  plaît,  en  respil  ', 
'■  Que  moult  désire  la  pais  au  duc  Garin.  » 
Et  dist  Fromons  :  «  Je  ferai  vo  plaisir; 
'<  Contre  vous,  sire,  ne  nous  devons  tenir.  » 
Et  dist  li  rois  :  «  Or,  avez-vous  bien  dit  : 
'<  N'i  perdrez  rien,  se  longuement  je  vis.  » 

Là  véissiez  ces  bons  homes  venir. 
Et  arcevesques  et  abbés  benéis 
Qui  la  pais  quièrent,  bien  furent  quatre  mil  "; 
Li  rois  parole,  qui  moult  bien  fut  ois, 
Garin  apele,  bêlement  li  a  dit  : 

—  «  Prenez  vo  famé,  li  miens  très  dous  amis, 
«  Car  au  mangier  vous  vourois-je  servir.  » 

Li  dus  respont  :  «  Sire,  vostre  merci!  » 
Li  rois  li  donne  et  il  la  recoilli. 

Adont  parla  l'arcevesques  Henris  : 

—  "  Or  escoulez,  li  grant  et  li  petit! 

'  En  respit,  en  pardon,  je  le  tiendrai  pour  excusé. 
'  Variantes  : 

Là  \éissiés  tôt  le  clergié  venir 
Et  arcevesques ,  etc. 

(Msc.  7628.  2.) 

Dont  vélssiés  ches  boins  sigiieurs  venir 
elles  arcevesques  et  vesques  plus  de  mil 
La  pais  requièrent,   si  l'ont  fait  Uiea  merci. 
(Msc.9654.  3.A.) 


GARIN  LE  LOHERAIN. 

rt  Vez-ci  de  Mcz  le  Lohcrenc  Garin 

«  Qui  prent  à  feme  la  fille  au  roi  Thieri 

«  De  Moriane,  Blancheflor  au  clcr  vis; 

«  Qui  rien  i  set,  por  Dieu,  die-le  ci, 

«  Ou  se  ce  non,  jamais  n'en  icrt  oïs, 

«  Ains  l'entredi  et  si  l'escoméni  '.  » 

Dont  saut  uns  moines  qui  le  poil  ot  flori  : 

—  «  Entendez-moi,  franc  chevalier  gentil  ! 

«  Gis  mariages  que  je  voi  establis 

"  Il  n'est  pas  drois  né  ne  doit  avenir  : 

«  Hervis  de  Mez,  qui  fu  pères  Garin, 

«  Après-germains  fu-il  au  roi  Thieri  % 

«  Il  et  Girars  qui  le  Rossillon  tint; 

«  Si  li  est  près  que  ne  la  puet  tenir' 

«  Né  espouser  né  coucher  en  son  lit.  » 

'  Ou  se  ce  non,  etc. ,  c'est-à-dire  :  «  ou  s'il  cache  ce  qu'il 
«en  sait,  jamais  on  n'admettra  son  témoignage,  mais  je 
«  l'interdis  et  je  l'excommunie.  » — Voilà  une  publication  dv 
bans  en  règle;  elle  répond  aux  paroles  encore  usitées 
aujourd'hui  :  «  Si  quelqu'un  connaît  à  ce  mariage  quel- 
«  que  empêchement  canonique,  les  règles  de  l'église  lo- 
«  bligent  à  nous  en  donner  connaissance.  » 

2  À  près-germain,  cousin  issu  de  germain.  C'était  sans 
doute  du  côté  de  sa  mère,  fille  du  duc  de  MetiL;  car  pour 
le  bourgeois  Tierry,  son  père ,  il  ne  pouvait  être  parent 
ni  du  roi  de  Morienne,  ni  de  Girard  de  Roussillon,  duc  de 
Bourgogne. 

5  Si  a  est  près,  il  est  si  proche  parent  de  Blancheflor. 

I.. 


10  LI  ROMANS  DE 

Bègues  l'oït,  à  pou  n'enrage  vis. 
Le  moine  prent,  à  terre  le  flati, 
Por  un  petit  que  nel  crevast  parmi: 

—  «  Fis  à  putain,  où  avez-vous  ce  prins  ? 
'<  Mal  tlahés  ait  qui  les  dras  vous  vestit!  » 
Jà  l'éust  mors  ,  quant  on  li  retoUi. 

Li  rois  le  voit,  pas  ne  li  abeli  : 

—  «  Sire  vassaus,  moult  me  prisiez  petit, 

«  Que  vous  cest  moine  bâtez  si,  devant  mi.» 

—  «  II  n'est  pas  moines,  »  li  dus  Bègues  a  dit. 
'(  Ains  est  traîtres,  parjures,  foi-mentis. 

'(  Se  je  le  trais,  par  le  cor  saint  Martin, 
«  Fors  de  céans ,  por  verte  le  vos  di  ', 
'<  Nuns  lions  del  mont  ne  le  puet  garentir 
'(  Que  ne  l'ocie,  foi  que  dois  à  Garin.  » 

—  <(  Non  ferez  ,  sire,  »  l'empereres  a  dit, 
«  Je  ferai,  jà,  ici  les  sains  venir; 

"  Si  jureront  ici  que  il  ont  dit.  » 

Iluec  jurèrent,  sor  le  cors  saint  Denis  ", 

•  Fors  de  céans,  c'est-à-dire,  si  je  puis  le  tenir  hors  de 
Totre  piéseiice. 

*  Sor  le  cors  saint  Dents.  Variantes  : 

Sor  le  bras  saint  Denis. 

(Msc.  7(>28.2.) 

Sor  le  braic  saint  Freinin. 

(Msc.9654.  3.A.) 
Sot  le  cors  saint  Rémi. 

(Msc.7533.) 


GA.RIN  LE  LOHERAIN. 

Bien  quatre  moine,  que  vérité  ont  dit  '. 

Desevré  sunt  la  purelle  et  Garins. 

Par  le  palais  en  lieve  li  hustins; 

Dist  l'uns  à  l'autre  :    <  Diex  !  quel  dolor  a  ci! 

<c  Dahcs  ait  l'hore  que  li  moines  naquist  !  » 

—  «  Je  le  Savoie,  »  li  quens  Bernars  a  dit, 
«  Que  il  estoient  et  parent  et  amin.  » 

—  '<  Monsterriez  vous  le?  »  Bègues  a  dit. 
Et  dist  Garins  :  <  Sire,  je  le  vos  quit'; 

'<  Jà  de  tel  cose  n'arez  bataille  à  mi.  » 

Quant  vit  Fromons  que  il  sunt  départi, 
Il  en  apelle  le  Lohereuc  Garin: 

—  «  Frans  chevaliers,  parlez  un  pou  à  mi  ; 
«  Si  m'ait  Dieu  ,  à  tort  vous  ai  haï. 

«  De  guerroier  certes  ce  poise  mi  : 

'  Que  vérité  ont  dit.  Bien  que  l'opposition  au  mariage 
fut  l'effet  des  intrigues  de  i'archevêque  de  Reims ,  il  n'en 
faut  pas  conclure  que,  dans  l'intention  du  poëte,  les  moi- 
nes fissent  un  faux  serment.  Les  liens  de  parenté  étaient 
réels;  la  preuve,  c'est  que  les  reliques  gardèrent  leur 
impassibilité  en  recevant  le  serment.  Mais  il  s'en  fallait 
de  beaucoup  que  l'église  montrât  toujours  la  même  sévé- 
rité sur  l'article  des  mariages;  et  le  cousinage  de  Garin  et 
Blanchefleur  n'aurait  pas  empêché  leur  union,  si  l'intérêt 
du  roi  n'avait  été  pour  rien  dans  l'affaire. 

'  Je  le  vos  cjuit,  j'admets  que  nous  soyons  parents. 


12  LI  ROMANS  DE 

«  Dès  ores  mais,  serons-nous  bon  amiu. 
«  Or  si  m'aidiez,  par  la  vostre  merci, 
<i  Cornent  je  aie  Blancheflor  au  clervis, 
«  A  eus  mon  frerc  Guillaume  de  Monclin  '. 
«  J'ai  deux  serors  qui  moult  ont  clers  les  vis, 
«  L'une  en  prenez,  s'il  vous  vient  à  plaisir 
«  Et  l'autre  ara  dus  Bègues  de  Belin: 
«  Toute  ma  terre  vous  partirai  par  mi^; 
«  Se  nos  linages  estoit  ensemble  mis, 
«  Nuns  bons  de  char  ne  nous  pouroit  sofrir  '.  » 

—  «  Je  le  ferai ,  »  ce  dist  li  dus  Garins , 
«  S'elle  me  vuet  escouter  et  oïr.  » 

Par  la  main  va  la  pucelle  saisir  : 

—  «  Parlez  à  moi ,  dame  ,  »  ce  dit  Garins , 
«  Jà  vous  requiert  Fromons  li  poestis 

«  A  eus  son  frère  Guillaume  de  Monclin  ; 
«  N'a  plus  preudome  en  soissante  païs; 
'<  Riches  bons  est  et  enforciés  d'amins. 


1  y4  eus.  Variantes:  à  lietis,  —  à  fines.  Ce  mot  est  un 
souvenir  du  latin  aduxorem,  à  femme.  Il  n'a  jamais  été 
français,  mais  on  le  disait  ^ar  une  espèce  d'allusion  aux 
mots  prononcés  par  le  prêtre ,  dans  l'office  du  mariage. 

2  Par  mi,  par  moitié.  Fromont  et  Guillaume  de  Mon- 
clin se  partageant  le  royaume  de  Mauricnne,  le  premier 
pouvait  céder  aux  Lorrains  la  province  d'Artois,  son  pro- 
pre patrimoine. 

3  Sofrir,  soutenir. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  li 

«  Cis  mariages  seroit  moult  bien  assis.  » 

—  «  Sire,  »  dit-elle,  »  je  ferai  vo  plaisir.  » 

Et  l'arcevesques  s'en  est  bien  garde  prins  ; 
Conseiller  voit  et  Froment  et  Garin  , 
Pépin  le  montre;  maintenant  li  a  dit  : 
«  Se  ne  te  hastes,  empereres  gentis, 
«  A  Blancheflor,  ce  cuis,  as-tu  failli  ?  » 
Li  rois  l'oït ,  si  envoia  Thierri  ' , 
Huon  de  Troyes,  de  Nevers  Amauri  : 

—  «  La  damoiselle  me  faites  ci  venir, 
'<  Parler  voudroie  nn  petit  et  à  li.  » 
Et  cil  i  vont  corne  li  rois  l'a  dit  : 

—  «  Venez  parler  à  monsignor  Pépin.  » 
Elle  ce  fait  sans  nés  un  contredit. 

Li  rois  la  voit ,  bellement  li  a  dit  : 

—  «  Ma  damoiselle,  por  l'amor  de  Garin, 
yn  Vous  donrai-je  assez  riche  mari, 

«  Mon  cors  méismes,  que  je  d'autre  ne  di.  » 

—  «  Sire,  »  dist-elle,  «  la  vostre  grant  merci  ! 
"■  Se  il  vous  siet  et  il  vous  plait  ensi, 

«  Car  mandez  dont  le  Lohérenc  Garin  , 
«  Lui  et  Begon  ,  li  bourgoin  Aubcri , 
'<  Et  mon  barnage  et  mes  riches  amis.  » 

'  Thierri  d'Ardennes,  ici  nommé  avant  Hues  de  Troyes, 
comme  au  tome  1*^"^,  page  io3.  —  Amauri  de  Nevers  est 
nommé  après  Hues  de  Troyes,  tome  1^' ,  page  293. 


i/i  LI  ROMANS  DE 

Et  tlist  li  rois  :  «  Or,  avcz-vons  bien  dit.  -. 
Garin  apelle  et  Bt-gon  ch;  Belin, 
Le  Bourguignon  et  l'AlIemant  Ouri  : 

—  «  Venez  avant,  dans  Bègues  de  Belin; 
'<  Vous  m'avez  bien  honoré  et  servi , 

«  En  vo  linage  >ne  vueil  nietre  et  tenir  ; 
"  Espouser  vucil  Blancheflor  au  cler  vis.  » 
Et  dist  Garins  :  «  Nos  vous  avons  servi 
'(  Et  vous  l'avez  mauvaisemcnt  méri. 
«  Jà  par  mon  los  ne  serez  ses  maris  '.  « 
Bègues  l'oit,  si  est  avant  saillis  : 
' —  «  Fols  Lohérens,  que  est  ce  que  tu  dis  ? 
«  Laissiez  ester  Blancheflor  au  cler  vis  ; 
«  .Se  voilez  feme ,  vous  en  avérez  dis.  » 

—  «  Tenez,  dans  rois,  Diex  vous  en  doint  joïr  ! 
Là  l'espousa  l'cmperères  Pépins 

Et  corona  à  la  cit  de  Paris  *  : 

Lors  fist  crier  que  nuns  ne  s'en  partist. 

Grant  sunt  les  noces  que  l'empereres  tint. 
Dou  mangier  sert  dans  Bègues  de  Belin  ^; 

'  Los,  conseil. 

*  Et  corona,  etc.  Variante  : 

Et  la  corone  ens  on  cbief  U  assist. 

(St.-Germ.  2041.) 
3  Dou  mangier  sert,  c'est-à-dire,  fait  l'office  de  dapifer, 
maître-d'hôtel. 


GA.RIN  LE  LOHERAIN. 

Panetiers  fu  li  bons  dus  Aiiberis, 
Girars  don  Liège  et  rAllemans  Ouris  ; 
Et  eschanson  Jofrois  li  Angevins  ' 
Et  Hernaïs  et  Gantiers  de  Paris; 
Devant  lo  roi  esta  en  pies  Garins, 
De  la  grant  coupe  servi  le  roi  Pépin  *. 
Gent  ot  le  cors  mole  et  eschevi, 
En  nule  terre  plus  bel  de  lui  ne  vis  : 
Bien  le  regarde  la  franche  empéreris, 
Forment  li  siet  et  molt  li  abélit  '  : 
D'ores  en  autre  le  regarde  Pépins. 

A  une  table  li  quens  Fromons  se  sist, 
De  jouste  lui  fu  Bernars  de  Naisil 
Et  de  Bouloigne  dans  Isorés  li  gris. 

1  Variante  : 

Sene^chaus  fa. 
(Msc.  7533.-7628.'.) 

Mais  échanson  semble  venir  plus  naturellement  après  pa- 
netiers. Les  sénéchaux  étaient  en  général  tous  ceux  qui 
s'occupaient  de  dresser  et  servir  les  tables. 

2  De  la  grant  coupe.  C'était  le  privilège  du  dapifer,  oit 
grand-maître  de  l'hôtel  du  roi. 

3  Ce  vers  n'est  pas  dans  le  msc.  9654  ^.a..,  ordinaire- 
ment si  exact,  et  le  sens  du  vers  suivant  peut  se  rapporter 
aussi  bien  à  Garin  qu'à  Blanchefleur.  Il  est  curieux , 
parce  qu'il  explique  seul  les  injures  que  Bernaid  et  l'ro- 
mont  adresseront  plus  tard  à  la  reine. 


i6  LI  ROMANS  DE 

Bernars  regarde  le  Loliércnc  Garin 

Qui  sert  le  roi  de  la  coupe  d'or  fin  : 

—  «  Biaus  niés  Fromons,  esgardez,  »  Bernars  dist , 

«  Com  Lohérenc  se  sunt  or  avant  mis; 

'c  Vous  déussiez  devant  le  roi  servir. 

«  Vous  ressemblés,  par  mon  chief,  le  niastiii , 

«  Dedans  abaie  et  defors  n'ose  issir  '. 

«  Va,  prans  la  cou|)e,  frans  chevaliers  gentis, 

«  Ce  est  tes  drois,  bien  déusses  servir.  » 

Et  dist  Fromons  :  «  Merveille  puis  où! 

«  Cui  que  il  plaise  né  cui  doie  abélir 

«  Li  rois  donra  ses  mestiers  à  tenir; 

«  La  merci-Dieu,  je  m'en  puis  bien  soufrir  2. 

«  Vostre  merci,  si  me  laissiez  garir, 

«  Car  ne  vaut  rien  follic  à  maintenir.  >.  . 

Bernars  l'oit ,  à  pou  n'enrage  vis , 

Tressaut  la  table,  vers  Garin  se  guenchit  ^, 

Que  la  nef  d'or  li  vont  des  poins  toUir  ^; 

1  Vous  ressemblés ,  etc.;  c'est-à-dire,  vous  êtes  sem- 
blable au  mâtiii  qui  aboie  dans  son  chenil  et  n'ose  en 
sortir. 

2  Cui  que  il  plaise,  etc.;  quel  que  soit  celui  que  le  roi 
charge  de  ses  affaires,  je  puis ,  grâce  à  Dieu,  le  tolérer. 

3  Tressaut  la  table ,  il  franchit  la  table.  —  Se  guenchit, 
se  tourna. 

i  Que  la  nef  d'or.  <<  Sur  les  tables  de  nos  rois,  princes 
et  grands  seigneurs,  on  met  d'ordinaire  le  navire  d'or  ou 


GARIN  LE  LOHERAIN.  17 

Li  vins  espant  sor  son  peliiçon  gris. 

Garins  le  voit,  si  l'a  à  raison  mis  : 

'<  Voulez-vous  boivrc,  sire  Bernars  ?  »  dist-il, 

«  Je  vous   donrai  encore  de  millor  vin!  » 

Et  dist  Bernars  :    <  Maleurous,  chaïtis  '  ! 

"  A  toi  que  tient  de  la  nef  d'or  tenir  '? 

n  Tu  deshérites  Fromont  et  ses  amis; 

«  Il  t'en  puet  bien  mal  et  honte  avenir.  »  • 

Bernars  sacha,  que  la  cuide  tolir^, 

Garins  le  voit,  si  nel  vout  plus  soufrir; 

Grand  coup  li  donc  de  la  coupe  d'or  fin  , 

Qu'il  li  abat  le  cuir  et  le  sorcil  *; 

vermeil  doré.  »  (Favin,  Traité  des  premiers  officiers  de  la 
couronne  de  France,  page  i58.) 

»  Chaïtis,  chétif,  captif.  Ce  mot  se  prend  ici  et  dans 
la  première  chanson  (tome  I"',  page  5)  dans  le  sens  de  fu- 
gitif; Bernard  fait  peut-être  allusion  à  la  fuite  des  deux 
eufants  d'Hervis,  après  la  mort  de  leur  père. 

2  A  toi.  T'appartient-il  de  tenir  la  nef  d'or?  —  Ce  vers 
et  surtout  le  suivant  rapprochés  du  vers  17  delà  page  i53 
(tome  I"),  indiquent  que  la  charge  de  qiiens  palais  don- 
nait l'honneur  de  servir  à  boire  au  roi. 
î  Sacha,  tira. 

i  Le  cuir  et  le  sorcil.    Variantes  : 
Le  cuir  tôt  des  sorcis. 

(Msc.  St.  Germ.  204 r.) 
Le  cair  sur  le  sourcil- 

(Msc.  9654.  3.  A.) 


1»  LI  ROMANS  DE 

De  sanc  vermeil  le  fait  trestout  covrir. 

Des  taublcs  saillent  de  chevalier  sept  vint; 

D'ambedeus  pars,  et  parent  et  amis 

De  rustes  cous  commencent  à  férir. 

Et  la  meslée  quant  la  roïne  vit, 

Molt  fu  dolante,  si  appella  Pépin  r 

—  «■  Sire,  »  dist-elle,  «  com  povez  ce  sofrir, 

«  Que  tu  vois  ci  tes  chevaliers  laidir 

«  Qui  tosjours  t'ont  de  léal  cuer  servi  ? 

"  S'ensi  le  fais,  ne  dois  terre  tenir.  » 

En  la  granl  presse  vint  Isorés  li  Gris, 
Grant  fu  et  gros  et  de  fier  cuer  le  fist. 
Gui  il  consuit  à  terre  fait  flatir; 
Li  Loherenc  i  sunt  molt  entreprins. 
En  la  cuisine  fu  Bègues  li  marchis, 
Qui  del  mangier  devoit  le  roi  servir'  ; 
Et  la  nouvelle  isnellement  li  vint 
Que  se  combat  li  Loherens  Garins, 
Et  li  parages  Froment  le  poesti 
L'ont  au  palais  durement  assailli. 
Bègues  l'oit,  de  mautalent  rogit, 
Le  queu  apelle  :  «Viens-ca  tost,  biax  amins, 
«  Tu  es  mes  bons  et  de  moi  dois  tenir  "; 

'   Le  roi.  Variantes  :  Lejor,  —  La  nuit. 

ï  De  moi  dois  tenir,  en  ma  qualité  de  maître-d'hôlel. 


GARIN  LE  tOHERAIN.  19 

■<  Je  te  donrai  ma  reube  que  j'ai  ci, 
«  Je  te  semons  que  tu  viegnes  o  mi 
«  Et  ti  sergent ,  quanqne  j'en  vois  ici  ; 
«  Or  i  parra  com  tu  sauras  férir.  » 

La  véissiez  tant  grant  pestel  saisir  ' , 
Tantes  cuilliers  et  tant  crochet  tenir, 
Que  il  vouront  desor  Froment  férir. 
Li  rois  commande  et  de  bouche  lor  dist 
Que  maintenant  Bordelois  fuissent  pris  ; 
Et  Françès  s'arment  dès  que  li  rois  lor  dist, 
Les  huis  porprennent,  les  portes  vont  saisir. 

Ez-vous  Begon  qui  sus  el  palais  vint, 
Queus  de  cuisine  plus  de  soissante  sis  ; 
Li  dus  avoit  un  grant  hastier  saisi  ' 
Plain  de  ploviers  qui  chaut  sunt  et  rosti  '  ; 
Fiert  Isoré  qui  tenoit  Auberi, 
Parmi  le  cou  ,  li  peçoia  parmi*; 

'  Pestel,  pilons,  instruments  à  broyer,  à  pétrir. 

'  Hastier,  broche. 

3  Plain  de  ploviers.  Variante  :  Plain  de  poons.  —  Un   - 
hastier  garni  de  trois  pluviers  ou  merleltes,  telles  ont  tou- 
jours été  les  armes  de  Lorraine.  Ne  serait-il  pas  singulier 
que  la  tradition  de  notre  poëme  fut  l'origine  de  cet  écus- 
son  P  pour  moi,  je  n'en  doute  pas. 

i  Parmi  le  cou,  etc.,  il  lui  brisa  le  hastier  dans  le  cou. 


l 


ao  LI  ROMANS  DE 

Si  don  tronçon  fiert  le  conte  Harduin  ', 

Que  devant  lui  sor  le  marbre  l'assist. 

Li  quen  commencent  maintenant  à  férir, 

Maint  bras  i  brisent,  mainte  tête  et  maint  pis; 

La  ^'ent  Fromonf,  cui  que  doie  abébr, 

Font  del  palais  par  estevoir  issir'. 

Mais  à  Fromorit  raaiement  i  avint 

A  l'avaler  des  degrés  marberins; 

Uns  povres  gars  qu'ot  les  mustiaux  rostis  ', 

Jeté  une  pierre  ,  si  consieut  Joscelin , 

Fieus  fu  Fromons,  ainsnés  bastars  fu-il , 

Grans  cop  li  donne  où  il  le  consivit, 

Que  la  cervelle  li  fait  don  chief  saillir, 

Si  chaït  mort,  plus  ne  se  pout  tenir. 

'  Si,  tellement.  —  Harduin,  seigneur  gascon.  Voy. 
tom.  F"^,  pag.  295. 

2  Par  estevoir,  par  nécessité,  par  force;  du  verbe  iles- 
tuet,  et  non  pas  comme  je  l'ai  expliqué  dans  la  note  4  de 
la  page  26 ,  lonie  l". 

^  Les  mustiaus.  yarianle  :  iei //•«m/ax.  (Msc.  7628. 2.) 
Ces  deux  mois  sont  également  obscurs;  cependant  on  trouve 
trumeau  dans  le  sens  de  cuisse,  pied;  par  extension  : 
gigot.  Pour  mustiaux,  je  crois  qu'il  faudrait  l'entendre, 
non  pas  comme  le  mystile,  pain  de  chien,  cité  par  les 
continuateurs  de  du  Cange,  mais  dans  le  sens  de  lapins. 
Il  viendrait  de  mustela,  et  il  serait  alors  singulier  que  mus- 
tela  ayant  fait  en  langue  vulgaire,  lapin,  l'ancien  nom 
germanique  du  lapin,  rabel ,  eût  formé  notre  nom  de 
belette. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  i 

La  j^ent  le  roi  en  ont  soissante  pris , 
Fromont  méismes,  le  comte  Baiulnin 
Et  (le  Verdun  le  riche  Lancelin, 
Et  dant  Guillaume  et  Isoré  le  Gris. 
Li  rois  commande  qu'en  prison  soient  mis, 
Et  on  les  fait  en  la  chartre  flatir. 

—  «  Las  !  '  dist  Fromons,  ■'  que  pourai  devenir? 
<i  De  la  prison  ne  pourons  mes  issir, 
«  Tuit  soraes  mors,  que  je  le  sai  de  fi.  » 

—  «  Tais,  mauvais  glous,  »  dist  Bernars  de  Naisil , 
0  Se  je  pouvoie  parler  au  roi  Pépin, 

«  En  pou  de  termes  en  serions  de  fors  mis.  » 

—  «  En  quel  meniere  ?  «  dist  Isorés  li  Gris , 

—  «  Bien  le  sarez,  «  dist  Bernars  de  Naisil, 
«  Mais  otroiez  et  mes  fais  et  mes  dis  : 

«  Je  noncerai  au  roi  de  saint  Denis 

>t  Murdrir  le  vont  li  Lohérens  Garins, 

«  Por  la  roïne  dont  il  l'a  départis. 

'<  En  convent  ot  Fromons  que  je  voi  ci  ', 

«  Qu'il  li  donroit  Blancheflor  au  cler  vis 

«  A  eus  Guillaume,  son  frère  de  Monclin  ; 

"  Et  cil  en  ot  soissante  mars  d'or  fin. 

'  En  convent,  etc.  Je  dirai  que  Fromont  était  conveun 
de  recevoir  Blanchefleur,  de  la  main  de  Gariii,  pour  la 
donner  à  Guillaume  de  Monlclin ,  et  que  Fromont  lui  donna 
même,  à  celte  occasion,  soixante  marcs  d'or;  s'illenie,etc. 


aa  LI  ROMANS  DE 

«  Et  s'il  le  noie,  bien  sera  avant  mis  '  ; 
«  Jel  montrerai,  ou  Isorés  li  Gris 
«  Contre  Garin ,  que  tout  ensi  le  fist. 
«  Mien  escient,  ensi  serons  fors  mis 
'<  Et  puis  après  irons  en  nos  pais.  » 
Dist  Isorés  :  «  Et  je  l'otroie  ensi.  » 

Li  charteriers  de  sor  la  chartre  vint  » , 
Tint  en  sa  main  un  cierge  tôt  esprins; 
Bernars  regarde  et  la  clarté  choisi , 
Puis  lui  escrie  :  «  Qui  estes -vous  amins?  » 
Et  cil  respont  :  «  Charteriers  sui  Pépin  ; 
«  Si  vieng  serchier  que  n'en  puissiez  issir  ^. 
Et  dit  Bernars  :  «  Parole  un  pou  à  mi  : 
«  Je  te  donrai  mon  pelisson  hermin  " 


I  Avant  mis  ;  aujourd'hui /^/Ww//,  en  terme  de  droit; 
ou  peut-être  :  avancé,  prétendu. 

»  Li  charteriers ,  le  garde  de  la  chartre  ou  prison.  On 
voit  que  cette  chartre  était  une  sorte  de  cachot,  dont  la 
seule  ouverture  était  pratiquée  à  la  partie  supérieure.  — 
Esprins,  pris,  allumé. 

3  Serchier,  examiner  {qitœrere). 

4  Mon  pelisson  hermin  ;  mot  à  mot,  mon  pelissou  d'Ar- 
ménie; mais  par  hermin,  il  faut  entendre:  fourré  d'her- 
mines. Les  hermines,  que  l'on  tirait,  au  moyen-âge,  du  nord 
plus  que  de  l'orient,  ont  pourtant  conser^é  le  nom  du  pajs 
qui  d'abord  les  fournissait  aux  autres  nations. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  'j3 

«  Et  de  mon  col  le  niantel  sebelin  ', 

.<  Mais  que  le  roi  me  foras  ci  venir.  » 

Et  cil  a  dit  :  «  Vollentiers,  non  cnvis. 

«  Or  ça  la  robe,  et  jel  ferai  venir.  » 

Il  li  geta,  li  charteriers  la  print, 

Il  s'afubla  maintenant  et  vesti  ; 

Vint  en  la  chanbre  où  l'emperères  sist; 

Li  rois  le  voit,  si  l'a  à  raison  mis  : 

<  Diva,  »  fait-il ,  «  qui  t'a  si  bien  vesti'?  » 

—  «  Sires,  Bernars,  li  sires  de  Naisil 

«  Par  moi  vous  mande  venez  parler  à  li 

«  Por  vostre  prou,  ensi  le  ma-il  dit.  » 

Li  rois  apelle  Faucon  et  Amauri, 

Huon  de  Troyes  et  Garnier  de  Paris  ^; 

Jusqu'à  la  chartre  ne  prinsrent  onques  fin. 

Bernars  le  voit,  tôt  en  plorant  li  dist  : 

«  Hé!  riches  rois,  por  l'amor  Dieu,  merci! 

«  Nos  n'avons  mie,  par  mon  chief,  déservi 

n  Que  nos  féisses  en  ta  chartre  }:;ésir-, 

«  Jel  montrerai  contre  le  duc  Garin. 

«  Maneça  toi  li  Lohéreos  chétis, 

'  Sebeitn ,  c'est-à-dire  de  martre  noire  ou  /ibelioe.  De 
sebelin  est  veau  le  sable  des  armoiries. 

ï  Diva,  espèce  d'iulerjection  qui  répond  à  uoire  dis  donc, 
et  qu'on  peut  expliquer  :  dis ,  l'alet. 

^  Garnier.  Variante:  Hernaut.  (Msc.  9654.) 


24  Ll  ROMANS  DE 

«  Por  Blanchetlor  dont  tu  l'as  départis, 

«  Que  te  feroit  de  maie  mort  morir; 

«  Fromont  promit  Blancheflor  au  cler  vis 

<■  A  eus  Guillaume,  son  frère  de  Mouclin. 

<-  Li  quens  Froraons  qui  est  et  fous  et  bris  ', 

«  L'en  a  donné  soissante  marc  d'or  (in; 

«  Por  ceste  chose  ,  sire,  que  je  te  dis  , 

«  Alai  Garin  enmi  les  dens  férir; 

«  Dont  tu  nos  fais  en  ta  chartre  gésir.  >' 

Li  rois  l'oit ,  à  pou  n'enrage  vis 
Et  dit  as  contes  :  «  Signor,  avez  oï? 
«  Voir,  plus  amois  le  Lohérenc  Garin 
«  Que  chevaliers  qui  fuist  en  mon  païs.  " 

—  «  Nel  créez  mie,  »  li  quens  Hues  a  dit. 

—  «  Si  fais,  »  dit-il ,  «  par  le  cors  saint  Denis  "  ! 
«  Au  commencier,  mauvais  senblant  me  fist  ^.  » 

'  Bris.  Ce  rnot  semble  le  même  que  l'espagnol  brio,  vif, 
étourdi.  Bricon  alors  en  serait  un  diminutif  et  ne  vien- 
drait pas  de  briga,  comme  l'a  pensé  du  Cange. 

2  Si  fais.  Nous  avons  conservé  cette  locution,  sans  nous 
rendre  compte  de  son  véritable  sens.  Sicfaciam  ;  nous  écri- 
vons :  Si  fait! 

3  Au  commencier.  Quand  il  apprit  mon  intention  d'é- 
pouser Blancheflor.  (Voyez  plus  haut,  page  i4,  vers 9.) 


GARIN  LE  LOHERAIN.  a5 

Les  riches  contes  ont  fors  de  prison  mis  '. 
Or  eu  pent  Diex  qui  en  la  crois  fu  mis! 
Que  de  tel  chose  est  apelés  Garins 
Ne  se  defent,  il  en  sera  honnis  '. 

Li  rois  envoie  querre  le  duc  Garin , 
Avec  lui  vint  Girars  qui  Liège  tint, 
Li  Borguignons  et  l'Allemans  Ouris, 
Gautiers  del  Mans  et  li  dus  Hernaïs. 
Li  rois  le  voit  si  l'a  à  raison  mis  : 
Bernart  apelle  :  i  Or  dites,  biaus  amins.  » 
Et  dist  Bernars  :  «  Riens  n'i  vaut  li  covrir'. 
«  Vez-ci  de  Mez  le  Loherenc  Garin , 
«  Fromont  promist  Blancheflor  au  cler  vis 
«  A  eus  Guillaume,  son  frère  de  Monclin  ; 
«  Et  si  en  ot  soissante  mars  d'or  fin. 
«  Si  se  vanta  et  devant  nous  le  dist 
«  Qu'il  te  feroit  de  raale  mort  morir.  » 
Et  dit  Garins  :  «  Vous  i  avez  menti  ! 
"  En  tôle  France  n'a  home  si  hardi, 
«  S'il  ce  disoit  que  de  ma  bouche  issit 
'  Ne  l'en  féisse  récréant  ains  raidi.  » 

•  Les  riches  contes  ont,  elc.  Pépin  et  ses  amis  mireut 
les  comtes  Fromoot ,  Bernait  et  Isoré  hors  de  prison. 

*  iVe  se  defent,  s'il  ne  se  défend;  dans  le  sens  du  nisï 
Satin. 

î  Riens  ni  vaut  li  covrir,  la  feinte  n'avancerait  à  rien. 
II.  2 


26  LI  ROMANS  DE 

Et  dit  Bernars  :  «Voirement  le  désis  '; 

«  Alez  avant,  dans  Isoré&  U  Gris» 

«  Et  si  montrez  ce  que  avez  oï.  » 

Et  Isorés  son  jjage  por  ofrit, 

Là  le  plévissent  et  parent  et  amin. 

Dont  saut  avant  U  Loherens  Garins 

Et  présenta  son  gage  et  por  ofril. 

—  «  Plévissez-moi,  li  Alleraans  Oris, 

«  Et  vous  Girars  et  li  borgoins  Aubris; 
«  Mi  nevou  estes,  ne  me  devez  fallir.  ■> 
Et  cil  respondent:  «  Volenticrs,  biax  amins.  »  . 

—  «  Je  n'en  vuel  nul ,  »  ce  dit  11  rois  Pépins, 
«  Autres  ostages  i  convient  avenir  '.  « 

Et  dit  Garins  :  «  Merveilles  puis  oïr  ! 
«  Se  ci  me  faillent  et  parent  et  coisin, 
«  Je  n'irai  mie  querre  les  Sarrasins  ^.  » 

Au  duc  Begon  uns  mésages  en  vint, 
En  la  chambre  est  avoc  l'emperéris  : 

'  Le  désis,  tu  l'as  dit.  Nos  paysans  de  Bourgogne  et  de 
Champagne  disent  encore  disis. 

2  yiiUres  ostages,  etc.  Les  motifs  de  récusation  de  la 
part  du  roi  venaient  sans  doute  de  ce  que  Girard,  Au 
beri  et  rAllemaud  Ori  tenaient  quelques  fiefs  relevant  de 
Garin.  De  même,  Isoré  avait  pris  la  place  de  Bernard 
pour  laisser  à  ses  parents  et  amis,  qui  ne  tenaient  rien  de 
lui ,  la  facilité  de  le  plévir. 

3  Ce  vers  ne  se  trouve  que  dans  les  rass.  2041  St.  Ger- 
main et  7542.3-3. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  47 

—  "  Hé!  riches  dus,  que  faites  vous  ici? 
«  En  cest  pallais  est  Garins  entrepris, 

«  Gage  a  donné  vers  Isoré  le  Gris. 
«■  Molt  le  tient  court  l'emperères  Pépins: 
«  Car  ostagier  nel  lait  à  ses  amis.  » 
Li  dus  l'entent,  sus  e!  pallais  en  vint. 
Tout  défublés,  onques  niantel  n'i  prist. 

—  «  Drois  empereres  ,  »  fait-il,  «  je  vuel  oïr 
«  Pourquoi  mon  frère  avez  ci  entreprins. 

«  Si  m'ait  Dieu  ,  je  ne  tieng  riens  de  lui    \ 

«  Né  de  la  terre  mon  chier  père  Hervi  ;      J 

«  En  toutes  cours  dois  mon  frère  garir'.  / 

«  Or  vuel  savoir  et  jugement  oïr, 

"  Se  je  le  puis  de  cest  gaige  guérir.  » 

Li  baron  dient  :  «  On  le  puet  bien  soufrir, 

«  Se  il  connoit  que  il  doie  estre  ainsi  2.  » 

—  n  II  vous  dit  voir,  sire,  ■»  ce  dist  Garins. 
«  Laissiez  ester,  biax  frères,  biax  amins, 

«  Contre  Isoré  me  doi-je  bien  tenir, 

«  Si  m'ait  Dieu,  j'en  ociroie  dis 

«  L'un  après  l'autre,  por  ce  que  sus  m'ont  mis.  » 

—  't  Bien  le  savons,  »  dist  Bègues  de  Belin, 
«  Chevaliers  estes  courajous  et  hardis; 

«  Mais  à  mon  droit ,  ne  dois-je  pas  falir.  « 

'   Garir,  garanlir. 

'  Se  il  connoit,  si  Bègues  juge  qu'il  soit  de  son  devoir 
de  défendre  Garin. 

a. 


a8  LI  ROMANS  DE 

Les  gages  changent,  il  les  a  sor  lui  prins; 
En  pies  se  lievent  de  chevaliers  set  vint 
Por  ostagier,  mismi'  l'empéréris  '. 
D'anbedeus  pars  furent  li  gage  prins. 


XXIII. 


nostre  dame  en  est  Bègues  aies; 

>La  nuit  veilla  et  chevaliers  assés. 

jBel  luminaire  fu  iluec  aprestés'. 
A  son  ostel  est  venus  Isorés; 
Il  a  mangié ,  il  a  béu  assés , 
La  nuit  se  cuiche  dormir  et  repouser. 

Au  matin  lievent  cil  provoire  ordenc, 
La  messe  chantent  par  les  maistres  autés. 

■  Misme  l'empéréris.  Même  l'impératrice  s'offre  en  olage. 
—  J'ai  suivi  la  leçon  du  msc.  9654;  les  autres  portent  : 

Por  ostagier  li  nies  l'impéreris. 

(Msc.  7533.) 

Por  ostagier  les  niés  l'empéréris. 

(Msc.  7628.) 

Por  ostagier  néis  l'emperéis. 

(Mss.  2o4i  Sl.Germ.,  7542  et  7533. 2'».). 
2  Aprcstés.  Variante  :  Aportés.  (Mss.  7533  et  7628.} 


GARIN  LE  LOHERAIN.  29 

Bègues  ofri  un  vert  paile  roé  '  , 

Et  la  roïne  ofri  un  autre  tel. 

A  son  oslel  est  Bègues  retomes  : 

Sor  une  coûte  vermeille  de  cendé 

S'assit  li  dus ,  si  l'a-on  bien  armé. 

Isorés  s'arme,  si  est  à  cort  aies 

Il  et  sa  gent  et  ses  grans  parentés. 

Devant  le  roi  s'est  Bernars  présentés  : 

—  a  Sire,  )'  dist-il,  «  mes  niés  est  jà  armés; 

«  Li  Lohérenc  vous  ont  servi  assés,  A 

«  Prenez  un  jor  et  si  vous  acordéz.  «  I 

Et  dist  le  rois  :  «  Bernars ,  or  vous  s'offrez  '.  »J 

XXIV. 

EGUES  li  dus  est  sor  un  paile  assis; 
Q&Il  vest  l'aubert,  lace  l'elme  bruni  : 
fer^Onques  nus  hons  si  bel  armé  ne  vit. 

1  Roé,  rayé.  La  citation  de  du  Gange,  au  mot  Roiatus, 
le  prouve  assez  bien:  «  Item,  una  magna  cortina  serica 
«  roiata  et  armuratura  armis  de  Courtenay.  »  M.  de  Ro- 
quefort a  donc  eu  tort  de  rendre  le  mot  roé  par  rouge, 
ou  orné  de  roues.  — Variante  du  msc.  St.  Germ.  1244  : 

Un  vert  paile  rouei. 

2  Or  VOUS  s'offrez,  offrez  cela  vous-même. 


3o  LI  ROMANS  DE 

Floberge  pent  à  la  sele  d'or  (in  ', 

Ceinte  a  une  autre  qui  de  Co'.dongne  vint  '. 

Girars  dou  Liùjj;e  a  son  bon  cheval  prins; 

Son  escu  j)rint  li  borgoins  Auberis, 

Et  son  espiel  des  mons  d'Anssai  Tierris  ^  ; 

Li  gonfanons  i  est  fermés  et  mis  *. 

Or  le  chastoient  com  jà  pourez  oïr  *  : 

—  «  Biaus  niés,  «  font-il ,  «  soiez  prous  et  hardis; 
«  Souviegne-vous  de  vos  père  Hervi, 

«  Le  miilor  homme  qui  sor  cheval  séist.  » 

—  «  Je  nel  pris  mie,  »  li  Loherens  a  dit  ®, 

'  Floberge.  Variantes  :  Flobierge.  (Msp.  7628.  '.)  —  Fro- 
berge.  (Mss.  St.Germ.  2041.  —  7542.  3-3.  —  "SSS.*'».) 

»  Qui  de  Coiilongiie  vint.  Parmi  les  expressions  pro- 
verbiales recueillies  au  xm*^  siècle  dans  une  pièce  intitu- 
lée: Concile  (l'A /tostolc,  ou  trouve  les  épees  de  Coulogne. 
Voy.  M.  Crapelet ,  Proverbes  et  Dictons  populaires ,  page 
102. 

3  Espiel,  épieu.  Variante  :  Espie.  —  Des  mous  d'Ausstii, 
d'Alsace. 

4  Li  gonfanons  i  est  fermés.  Le  gonfanon  était  attaché 
au-dessous  du  fer  des  lances  et  des  épieus.  Il  permettait 
de  mieux  brandir  l'arme  dans  l'air  et  en  pénétrant  dans 
les  chairs  de  l'ennemi,  il  rendait  la  plaie  incurable. 

5  Lecliasto'ent,  le  sermonnent,  le  haranguent.  De  là, 
ckasloiement  ou  casloiement ,  discours  moral,  leçon. 

6  Je  nel  pris,  je  ne  prise  pas  Isoré. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  3i 

■<  Car  il  a  tort  si  commoi  est  avis; 

«  Hons  desloiaus  ne  puet  longes  garir'.  » 

A  tant  en  montent  el  grant  pallais  Pépin. 
Devant  le  roi  s'est  H  dus  Bègues  mis  : 

—  «  Drois  cmperères  ,  je  me  présente  ci; 
«  Ma  bataille  offre  ains  que  past  miedis.  » 

—  «  Drois  emperères ,  »  dit  Bernars  de  Naisil , 
«  Prenez  un  jor  et  si  soit  terme  mis» 

«  S'es  accordez  et  soient  bon  ami  *.  » 

—  n  Drois  erapereres ,  »  dist  Bègues  de  Belin , 
«  Il  ont  de  murte  ci  apellé  Garin  ; 

«  De  traïson  ne  doit-on  plait  tenir  ^. 

'  Longes  garir.  Lat.  longé  cavere ,  être  long -temps 
garanti. 

2  S'es  accordez,  si  (ainsi)  les  accordez. 

3  De  traïson,  etc.  Cette  maxime  est  parfaitement  con- 
firmée par  le  préambule  de  l'ordonnance  de  Philippe-le- 
Bel,  sur  les  gages  de  bataille.  Ce  prince  avait  d'abord  dé- 
fendu les  coml)ats  judiciaires  dans  tous  les  cas,  voici  comme 
il  s'en  excuse  :«  Comme  ca  en  arrière,...  nous  eussions 
deffendu  generaument  toutes  manières  de  guerres  et  tous 
gaiges  de  batailles;  dont  pluseurs  malfaicteurs  se  sont  avan- 
cés par  la  force  de  leurs  corps  et  faux  engins  à  faire  homi- 
cides, traysons  et  tous  autres  maléfices;...  pour  oster  aux 
mauvais  dessusdiz  cause  de  maléfice,  nous  avons  nostre 
deffense  dessusdite  altrempée;  par  ainsi...  nous  voulons 
que  ceulx,  pour  avoir  ce  fait,  soient  appelez  et  citez  à 


32  LI  ROMANS  DE 

«  D'endroit  de  moi  n'i  ara  nul  jor  prins*.  » 

Maintenant  font  les  reliques  venir, 
Si  a  juré  dans  Isorés  li  Gris 
Que  Garins  a  envers  le  roi  mesprins 
Et  traison  porchacié  et  porquis. 
Et  dist  dus  Bègues  :  «Vous  i  avez  menti, 
«  Comme  parjure  je  vous  lieve  de  ci  'j 
H  Ains  que  soit  vespres  né  que  dûie  anuitir,. 
«  Vous  en  ferai  l'ame  dou  cors  partir.  » 

A  tant  livrèrent  ostaiges  à  Pépin. 
En  une  salle,  par  devers  un  jardin  , 
Mettent  Bouchart,  Haimon  et  Harduin  ',, 
Et  Gallerant  et  son  frère  Gaudin  ^, 
Et  dant  Bernart  le  signor  de  Naisil; 
Et  par  devant,  Guillaume  deMonclin, 

gaiges  de  bataille.  »  (Voy.  les  Cérémonies  des  gages  de 
bataille,  édit.  de  M.  Ciapelet.) 

'  D'endroit,  etc.,  pour  ce  qui  me  regarde,  je  refuse  tout 
délai. 

2  Je  vous  lieve  de  ci.  (Voyez,  sur  cette  expression,  la 
page  suivante,  note  2.) 

^  Bouchart,  etc.  Ces  trois  barons  sont  déjà  nommés, 
tome  1*"^,  page  295,  parmi  les  parents  de  Fromont. 

4  Gallerant  et  Gaudin,  de  Lanborc,  (Voy.  tome  I*""^, 
page  292.) 


GARIN  LE  LOHERAIN.  33 


Lui  et  Fromont  de  Lens  le  poeslis  ' 
Et  de  Verdun  le  riche  Lancelin. 


XXV. 

L  font  les  sains  en  la  place  aporter  : 
^■4  Tous  primerains  a  juré  Isorés  : 

«  Cuivers,»  dist  Bègues,  »  malement  es  menés. 
Par  le  poing  destre  l'en  a  Bègues  levé  ", 
Ez-vous  le  plait  au  diauble  torné; 
Bègues  li  a  son  serement  faussé  ^. 

»  Lui  et  Fromont,  etc.  C'est  la  leçon  du  seul  nisc. 
7542.5-3.  Les  autres  nomment  le  Flamand  Baudoin  dans 
le  même  vers;  mais  comme  il  n'a  pas  encore  figuré  dans 
toute  cette  scène,  l'autre  leçon  ma  paru  meilleure. 

*  Par  te  poing,  etc.,  c'est-à-dire.  Bègues  l'a  relevé  par 
la  main  droite.  —  Ce  vers  nous  apprend  que  l'usage  de 
jeter  et  de  relever  le  gant  vient  de  l'usage  plus  ancien  de 
relever  l'accusateur,  quand,  agenouillé  devant  les  reliques, 
il  prononçait  son  accusation.  Sans  doute  on  aura  reconnu 
le  danger  qu'il  y  avait  à  amener  les  deux  adversaires  trop 
près  l'un  de  l'autre;  et  l'on  aura  décidé  qu'il  valait  mieux 
prendre  un  gant  pour  leur  intermédiaire.  L'accusateur  dut 
le  jeter  et  l'accusé  le  relever.  Mais  au  temps  de  Jean  de 
Flagy  c'était  encore  l'homme  qu'on  relevait. 

3  Faussé,  contredit,  nié;  comme  on  à'\%a\\.  :  fausser  un 
jugement,  pour  en  appeler. 

2„ 


34  LI  ROMANS  DE 

Les  portes  ferment,  an  chastel  sunt  entré 
Li  rois  les  a  ans  gardes  délivré  ', 
A  trente  conte  (jiii  tuit  siint  si  chasé^". 
Parmi  la  ville  sunt  li  Franceis  armé 
Que  il  n'i  ait  traïson  porparlé. 
Au  mostier  est  li  dus  Garins  entrés, 
Et  la  roïne  au  gent  cors  honoré 
Et  dis  pucellcs  pleines  de  chastéé, 
Et  quinze  dames  veves  de  ce  régné  î. 

Et  li  baron  sunt  es  chevaus  monté , 
Li  uns  vers  l'autre,  le  frein  abandonné, 
S'entreférirent  durement  abrivé. 
Bègues  li  dus  a  son  espiel  quassé, 
Mais  durement  l'a  féru  Isorés; 
Le  bon  cheval  a  el  pis  encontre 
Si  l'abat  mort  desous  Begon  au  pré. 
Bègues  saut  sus  ,  o  le  cors  honoré, 
L'escu  au  col  et  tient  le  branc  letré. 

ï  u4 us  gardes  délivré,  confié  aux.  gardes  du  champ  clos. 

2  Si  chasé.  Ses  barons  féodaux ,  tenant  de  lui  fief  ou 
chasement. 

3  Veves,  veuves. —  Le  msc.  9654,  au  lieu  de  ces  deun 
vers,  porte  : 

A  dis  pucieles  qui  sont  de  joaene  aé 
A  nus  geiious  par  de  devant  l'aatel 
Saciés  le  jour  y  ol  assés  plonré- 


GARIN  LE  LOHERAIN.  35 

Moult  durement  le  requiert  Isorés; 

Mais  li  vassaus  ne  l'a  mie  douté, 

Et  quant  li  cuens  est  d'autre  part  torné, 

Au  bon  destrier  a  le  jarret  coupé. 

Li  chevaus  chiet,  si  descent  Isorés, 

Le  branc  au  poing ,  l'escu  avant  levé. 

Amdui  estoient  li  baron  eus  el  pré 

Et  lor  escu  estoient  estroé  ' 

Et  li  vert  hiaume  frait  et  escartelé  ^; 

Devant  la  tierce  qu'il  furent  asemblé  ' 

Jusqu'à  midi  à  li  estors  duré. 


XXVI. 


^^i^jRWS  fu  la  noise  et  li  brais  et  li  cris 
,(ji®Des  deus  barons  vigueros  et  hardis. 

;Diex!  quel  damage  aura  li  rois  Pépins! 
Et  les  nouvelles  en  vinrent  à  Garin 
Que  li  chevaus  Begon  estoit  ocis. 
Quant  la  roïne  la  nouvelle  entendi, 
Dieu  réclama  qui  onques  ne  menti  : 

'  Estroé,  troué. 
>  Frait,  rompu. 
^  La  tierce,  neuf  heures  du  matin. 


36  LI  ROMANS  DE 

—  «Vierge  pucelle  qui  le  cors  Dieu  tenis  '  ! 
'<  Ne  sofrez  mie  que  Bègues  soit  lionis, 
'<  Que  la  corone  en  esteroit  plus  vis'.  » 

Del  duc  Begon  vous  dirai  que  il  fist  : 
Par  mautalent  va  Isoré  férir  ^ 
De  sor  son  hiaume  où  l'escharbocle  sist  ^  ; 
L'espée  brise  ,  l'alemele  chaït  ^. 
Del  pont  à  or  va  Isoré  férir  ^ 

'  vierge  pucelle.  Aulrefois  ce  dernier  mot  ne  signifiatt 
que  Jeune  fille  {puer,  puella  ). 

2  Vis,  vile. 

3  Mautalent,  courroux  (  mot  à  mot  :  mauvaise  intention.) 

4  Vescharbocle.  On  remarquera  ces  pierres  précieuses  qui 
dans  nos  anciens  romans  surmontent  le  casque  des  illus- 
tres guerriers.  «  Quelquefois,  »  dit  Fauchet,  «  les  heaumes 
"  estoient  parés  d'orfaverie ,  voire  de  pierres  précieuses^ 
"  que  les  goniers chevaliers,  par  cointise,  y  faisoient  atta- 
«  cher,  et  bien  souvent  les  chargeoient  de  fermaux  ou  fer- 
«  maillets  (c'est-à-dire  de  pièces  d'or  jointes  ensemble, 
'<  comme  carcans  garnis  de  pierreries).  »  Livre  i  de  la 
Milice  française ,  f"5i3.  —  Mais  on  peut  croire  que  ces 
brillants  ornements  étaient  surtout  employés  dans  l'intérêt 
de  la  défense,  et  que  souvent  ils  amortissaient  les  pre- 
miers coups. 

5  L'alemele,  la  lame  de  son  épée  :  de  celle  qui  de  Co- 
longne  rinl. 

6  Del  pont,  de  la  poignée  de  l'épée. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  37 

Por  un  petit  que  il  ne  l'abatit  '. 

A  vois  escrie  Giiillaiimes  de  Monclin  : 

«  Niés,  prens  la  teste  dou  Lohérenc  chétif '.  » 

Dist  Isorés  :  «  Merveilles  puis  oïr  ! 

«  Vous  n'estes  mie  desous  mon  escu  bis  ; 

«  Mais  or  proiez  remperéor  Pépin 

«  Qu'il  ait  pitié  et  de  moi  et  de  li.  » 

Begon  sovient  del  branc  d'acier  forbi  ^ 
Qui  à  la  selle  dou  bon  destrier  fu  mis; 
Isnellcment  le  va  li  dus  saisir  *, 
Et  non  portant  si  fu-il  si  laidis  ^ 
Qu'il  ot  senglant  et  la  teste  et  le  pis. 
N'est  pas  merveille,  que  des  grans  cous  a  pris. 
Fiert  Isoré  à  mont  sor  l'hiaume  bis , 
Le  cercle  coupe  qui  esloit  à  or  fin , 
En  la  cervèle  le  branc  li  embati , 
Jusques  as  dens  trestot  le  porfendit, 
Mort  le  trébuche,  cui  qu'il  doie  abélir. 

'  Por  un  petit,  peu  s'en  fallut. 

*  Niés,  prens  la  teste.  Ces  mots  portèrent  Begon  à 
l'acte  de  cruauté  que  le  poëte  va  nous  décrire.  Guil- 
laume, en  le  voyant  privé  de  son  arme,  le  croyait  vaincu. 

3  Sovient,  se  souvient ,  il  souvient  à  Bégon. 

4  Saisir.  Variante  du  msc.  9654  :  Férir. 
'■'  Laidis,  blessé. 


iS  LI  ROMANS  DE 

Oiez  merveille  que  li  Loherens  fist  : 

Ou  cors  li  met  Floherge  au  pont  d'or  fin  ; 

Le  cuer  dou  ventre  entre  ses  deus  mains  tint  ', 

Guillaume  ficrt  devant ,  cmmi  le  vis  : 

«  Tenez,  vassal ,  le  cuer  vostre  cuisin  , 

<<  Or  le  povez  et  saller  et  rôtir.  » 

Li  Loherens  à  Nostre  Dame  en  vint  2, 
Et  la  roïne  moult  grant  joie  li  fist; 
Si  fist  Garins,  li  Loherens  gentis. 
Li  sains  sonnèrent  tout  contreval  Paris, 
Nés  Dieu  tonnant  ni  poissiez  oïr^. 
Bègues  se  peine  de  ses  plaies  garir. 

Li  cuens  Bernars  la  parole  en  oït  j 
Fent  son  mantel  et  son  peliçon  gris, 
L'un  lie  à  l'autre;  moût  sagement  le  fisf*, 

'  Le  cuer,  etc.  «  Il  prend  à  deux  mains  les  entrailles 
d'Isoré  et  en  frappe  au  visage  Guillaume  de  Monclin.  » 
Après  de  pareils  outrages,  on  conçoit  (comme  le  dit  ail- 
leurs le  poëte) 

La  baine  qui  jà  ne  prenra  fin  -. 

Après  les  pères  la  reprendront  li  fil. 

2  A  Nostre  Dame.  Variante  :  y4u  Moustier. 

3  Nés,  pas  même. 

4  Sagement,  adroitement. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  39 

Si  s'en  avale  cl  grant  vergier  Pépin  ', 
Seine  tri'-passe ,  issus  est  de  Paris  '. 
Molt  se  hasta,  la  nuit  vint  à  Laigni, 
Chiés  un  bon  hoste  qui  ot  à  non  Forsin^ 
D'enqui  se  part,  ains  que  soit  esclarci , 
Rebais  trépasse,  de  ci  à  Soivre  vint*; 
Molt  se  merveille  ses  fils  quant  il  le  vit  : 

«  Vergier.  Variante  :  Jardin.  Dans  le  plan  de  tapisserie 
exécuté  au  commenocmeut  du  xvt^  siècle,  on  voit  encore 
figurer  le  Jerdin  du  Roi,  comprenant  l'espace  occupé  main- 
tenant par  la  Chambre  des  comptes,  la  Sainte-Chapelle, 
et  la  place  Dauphine.  Bernard  de  Naisil  était  renfermé 
dans  une  chambre  haute  dont  les  fenêtres  donnaient  sur  ce 
■vergier. 

»  Seine  trépasse,  sans  doute  à  la  nage.  Je  ne  sais  si  le 
moulin  qui ,  au  x vi*  siècle ,  était  placé  au  milieu  de  la  Seine 
entre  les  deux  îlots  et  le  rivage  méridional,  était  établi  dès 
le  XI*  siècle.  —  D'après  ce  vers,  on  peut  conjecturer  qu'au 
temps  de  Jehan  de  Flagy,  Paris  était  encore  renfermé  dans 
l'île  de  la  Cité,  et  que  l'enceinte  décrite  par  Dulaure,  sous 
le  règne  de  Louis-le-Gros,  n'était  pas  encore  fermée. 

3  Qui  ot  à  non  Forsin.  Variante  :  Qui  ot  non  Saint-For- 
«■/?,  (Mss.  7542. 3-3._,j533. 2-2.) 

4  Rebais.  Variante  :  Rabai,  clRabes,  village  à  huit  lieues 
de  Laigni  et  quinze  de  Paris.  Quant  au  nom  de  Soivre,  il 
est  loin  de  présenter  un  point  topographique  clair.  Les 
manuscrits  donnent  les  variantes:  Aucuerre;  ce  ne  peut 
être  guère  Aiixerre,  dans  la  direction  de  Lagni  et  de  Rcbai; 
Vausoivre ,  Vasore  et  Falsore. 


/,o  LI  ROMANS  DE 

—  «  Père,  »  fait-il ,  «  dont  venez-vous  einsi  ?  » 
Bernars  respont  :  «  Je  vieng  droit  de  Paris. 

«  Bègues  a  mort  dant  Isoré  le  Gris, 

«  En  champ  plcnier  l'a  vaincu  et  conquis. 

«  Je  m'en  irai  droitement  à  Naisil  > , 

«  Mort  sunt  et  prins  mi  mortel  anemin  ; 

«  En  Loherainne  lor  ferai  nouvel  cri, 

«  Ni  lairai  vache,  né  mouton  né  berbis.  » 

Dist  Fauconés  :  «  Por  amor  Dieu  ,  merci  ! 

«  Ne  faites  chose  dont  nous  soions  honnis  ; 

«  Falli  vous  ont,  bien  le  sai,  vostre  amin.  » 

—  «  Tais- toi,  lechieres,  »  dit  Bernars  de  Naisil  ", 
«  Si  m'ait  Dieu,  onc  ne  m'aparlenis  ^. 

«  Mieus  vouroie  estre  traînés  à  roncins, 

«  Ne  me  vengeasse  dou  Loherenc  Garin 

«  Et  de  Begon  le  laron  de  Belin 

«  Qui  mon  linage  ont  et  mort  et  honni.  » 

Dist  Fauconés  :  «  Or  entendez  à  mi  : 

«  Se  vous  alez  Loherains  assallir 

«  Et  il  le  savent,  il  venront  tous  sor  ti , 

1  Droitement.  Variante  :  Le  matin.  D'après  celte  leçon  , 
Soivre  serait  assez  près  de  Naisil. 

2  Tais  -  toi ,  lecliieres.  Variante  :  Lais ,  glous  lechieres. 
(Gulosus  parasytus.) 

3  Si  m'ait  Dieu ,  serment  elliptique.  <•  Ainsi  m'aide 
Dieu,  "  c'est-à-dire,  que  Dieu  me  protège  aussi  vraiment 
que  tu  n'es  pas  de  ma  race. 


GARIN  LE  LOHERMN.  41 

«  Né  jà  aïde  n'aras  de  nos  amins , 
«  Qu'envers  lo  roi  se  sunt  mis  à  merci.  » 
Et  dit  Bernars  :  «  Merveilles  ai  ci  ; 
«  Se  or  avoie  tout  gasté  lor  païs 
«  Et  puis  si  fusse  en  mon  chastel  flalis , 
«  Nés  douterois,  vaillant  un  Parisis; 
«  Tout  le  plus  cointe  ferois  grief  et  marri.  » 

Bernars  semont  à  force  et  à  estri, 
O  lui  enmaine  de  chevaliers  sept  vint; 
Ains  ne  fina ,  s'est  venus  à  Naisil , 
Pas  n'i  sejorne  né  gaires  n'i  dormit; 
Les  proies  prent,  si  gaste  le  pais, 
La  gent  vilaine  furent  tout  esbaïs 
Que  trestout  perdent  ce  qu'il  orent  norri. 

XXVII. 

î^S^ERNARS  s'afiche  forment  de  guerroier  *  : 
SjÇjÇSes  fossés  fait  et  ses  murs  redrecier, 
^«^ Barres  et  lisses  où  seront  li  archier. 
Son  chastel  fait  durement  enforcier. 

Huimais  dirons  de  Fromont  le  guerrier, 
De  son  linage  qu'est  mervillous  et  fier. 

»  S'afiche,  s'assure.  C'est  ainsi  qu'il  faut  entendre  ce 
mot  ici  comme  plus  bas ,  et  non  pas  comme  l'inlerprète 
M.  de  Roquefort. 


42  LI  ROMA.NS  DE 

En  prison  sunt,  por  mortel  enconbrier, 
Né  ne  se  pueent  vers  le  roi  aiîchier. 


XXVIII. 


jti'^^f^^  PRÈS  la  feste  dou  baron  Saint-Denis', 
v^4iK^  ^^^'"^  ^^  pro  voire  qui  Dieu  d  oient  servir 
^^^^  En  vont  au  roi,  por  la  pais  establir. 
As  pies  li  chieent,  si  li  crient  merci. 

—  «  N'en  ferai  rien,  »  ce  dist  li  rois  Pépins, 
«  Se  nel  me  loe  dans  Bègues  de  Belin, 

«  Il  et  ses  frères  li  Loherens  Garins.  » 
A  l'ostel  vienent  où  li  dus  Bègues  git. 
Encontre  dressent  li  grant  et  li  petit  ; 
Li  dui  prodorame  qui  sunt  viel  et  flori 
Voient  Bégon ,  si  l'ont  à  raison  mis  : 

—  «  Hé  gentis  lions ,  aiez  de  nous  merci  ! 

«  Jà,  scès-tu  bien  ,  Diex  grant  honor  te  fist 
«  Quant,  en  l'estor,  Isoré  as  conquis. 
«  Aies  merci  de  Fromont  le  marchis.  « 
Et  dist  li  dus  :  «  Il  n'est  mie  sor  mi  ' , 

•  La /este  dou  baron  Saint-Denis.  Elle  tombe  le  9  oc- 
tobre. 

2  It  n'est  mie  sor  mi.  11  c'est  pas  en  ma  puissance. 


À 


GARIN  LE  LOHERAIN.  4Î 

«  Mais  sor  le  roi  qui  droit  doit  maintenir; 
«  Fasse  mes  sires  son  bon  et  son  plaisir! 
Cil  l'en  mercient  et  font  parfont  enclin'. 
Dont  font  Fromout  de  la  Chartre  venir 
Et  son  linage  et  ses  riches  amins; 
Sou  mautalent  li  pardonne  Pépins 
Il  et  dus  Bègues  et  ses  frères  Garins. 
Il  s'entrebaisent  devant  l'empéreris; 
Fromons  jura  celui  qu'en  crois  fut  mis* 
Que  ne  faura  nul  jor  le  roi  Pépin', 
Lui  né  Bégpn  né  son  frère  Garin, 

•  Et  font  parfont  enclin,  et  font  ime  profonde  inclina- 
tion. On  remarquera  le  noble  usage  que  font  ici  les  gens 
d'église  de  leur  haute  influence.  L'auteur  du  roman  des 
Loherains  n'est  pas  suspect  <le  prévention  cléricale,  il  a  fait 
SCS  preuves  au  début  du  poëme. 

Si,  plus  haut,  nous  avons  vu  l'archevêque  de  Reims 
aposter  de  faux  témoins,  on  peut  dire  encore  que  c'était 
dans  une  intention  nationale;  car,  au  x"  siècle,  les  grands 
barons  étaient  trop  ptiissants  et  le  roi  de  France  trop 
faible.  Dans  ces  circonstances,  la  réunion  de  la  Maurienne 
aux  domaines  de  la  couronne  pouvait  long-temps  retarder 
l'anarchie  menaçante. 

»  Celui  qu'en  crois  fa  mis.  Variante  : 

Le  cor  de  saint  Denis. 

(Msc,  9654.) 

î  Ne  faura,  ne  faillira,  ne  manquera  à... 


44  LI  ROMANS  DE 

Ains  s'ameront  comme  loial  voisin  '. 
Li  quens  Guillaiimes  li  sire  de  Monclia  ' 
Et  de  Verdun  li  riches  Lancelins, 
Cil  de  Granfpré,  Hues  qui  Retel  tint' 
Devinrent  home  au  Loherenc  Garin. 
Haims  de  Bordelle  et  li  quens  Harduins , 
Li  quens  Guillaumes  et  Bouchars  li  floris. 
De  la  Valdoiue  li  chastelains  Landris 
Homes  devinrent  à  Begon  le  marchis. 
Grant  joie  en  mainent  tout  contreval  Paris. 

I  Ains  s'amcront.  Il  ne  faut  pas  oublier  que,  dans  ce 
poëme,  Fromont,  Garin  et  Bègues  représentent  toujours 
trois  grands  vassaux  de  la  couronne  :  le  premier,  comte 
d'Artois;  le  second,  duc  de  Lorraine;  le  troisième,  duc 
de  Gascogne.  Maintenant,  voici  les  noms  des  autres  grands 
vassaux  qui  figureut  dans  le  roman  :  Baudoin  avait  la 
Flandre  ,  Auberi  la  Bourgogne  ,  Joffrois  l'Anjou,  Hues  le 
Maine,  Hernaïs  l'Orléaaais.  Plusieurs  barons,  rarement 
nommés,  avaient  la  Bretagne;  Richard,  rarement  nommé, 
avait  la  Normandie.  La  Champagne,  la  Picardie  et  l'Ile- 
de-France  étaient  partagées  entre  le  roi  de  France,  le  comte 
d'Artois  et  le  duc  de  Lorraine;  le  Dauphiné ,  la  Provence 
et  le  Languedoc  appartenaient  au  roi  d'Arles,  au  roi  de 
Maurieone  et  aux  Sarrasins. 

»  Monclin ,  château  ruiné  par  Bègues  dans  la  guerre 
précédente  ;  il  était  situé  entre  Chaumont  et  Verdun.  — 
Voy.  tom.  l" ,  page  238. 

3  Cil  d^  Grantpré,  Henry,  déjà  nommé  tom.  I^"^,  pag. 
i63  et  283.  —  Hues.  Variante    Huars. 


GARIN  LE  LOHERAIK.  /i5 

Jà  s'en  ralast  chascuns  en  son  pais 
Moult  volentiers  véoir  fcmes  et  fis  ; 
Ez-vous  un  mes,  de  Loheraine  vint, 
Où  voit  Garin  si  l'a  à  raison  mis  : 

—  '<  Frans  chevaliers ,  que  faites-vous  ici? 
«  Tu  pers  la  terre  que  tes  ancestres  tint.  » 

—  "  Qui  fait  ce,  frères?  »  ce  dist  li  dus  Garins  ; 

—  «  En  non-Dieu,  sire,  dans  Bernars  de  Naisil 
'i  Le  val  de  Mez  petoia  venredi  ', 

«  Si  a  Saint-Ladre  abatu  et  mal  mis  ^; 

«  N'a  abaïe  en  tout  vostre  païs 

'  Qu'il  n'ait  robe  et  la  viande  prins  '.  » 

Et  dist  li  dus  :  «  Merveilles  puis  oïr! 

«  Où  cist  déables  a-il  tant  de  gens  prins  ?  » 

■   Pecoia,  désola. 

ï  Si  a  Saint-Ladre.  Variantes  :  Sa  asenastre  (St.  Germ. 
2041).  —  Si  a  Senastre  {^.  7542).  — Si  a  Saint-Âtre  (K. 
9654).  —  Saint-Ladre  est  aujourd'hui  nu  humeau  situé  à 
peu  de  distance  de  Metz. 

3  Les  viandes,  les  provisions  de  bouche.  Il  n'y  a  pas 
très-iong-temps  que  l'acception  de  ce  mot  a  été  resU-einte  à 
la  chair  des  animaux.  Dans  la  traduction  d'Orose  présentée 
eu  1491  à  Charles  VIII ,  on  lit  encore  :  «  Un  jour  advint 
«  qu'Ésaù  estoit  allé  à  la  chasse;  son  frère  alla  cueillir  une 
«  certaine  viande  qu'ils  avoient  coustume  de  manger  en  ce 
i<  temps-là  ,  nommée  lentille.  »  —  Viande  a  été  formé  de 
vivenda  (les  choses  dont  on  peut  vivre). 


46  LI  ROMANS  DE 

—  «  Je  nel  sai,  sire,  j'en  vis  les  chans  covrkr, 
«  Par  tropaus  vont  ensi  comme  berbis.  » 

Garins  l'entent,  n'i  et  né  gas  né  ris; 
Vient  en  la  salle  ou  l'emperères  sist'  : 

—  «  En  non-Dieu,  rois,  »  ce  dist  li  dus  Garins, 
n  La  nostre  pais  a  duré  moult  petit; 

«  Car  dans  Bernars  li  sires  de  Naisil 

«  La  terre  gaste  que  de  vous  dois  tenir. 

«  Le  val  de  Mez  pecoia  venredi; 

<c  Voici  le  mes  qui  or  endroit  en  vint  : 

«  Quant  j'i  venrai ,  encores  sera  pis , 

«  Car  ma  gent  sunt  de  moi  moult  esbahi  \  » 

Et  dist  li  rois  :  «  Par  moiv  chief ,  mar  le  fist.  » 

Fromont  appelle  qui  de  joste  lui  sist  : 

Et  dist  li  rois  :  «  Fromons,  avez  oï  ? 

«.  Ce  est  vostre  oncles  qui  nous  tribolle  si.  >- 

Et  dist  Fromons  :  «  Son  jjarage  renis  '  : 

«  Mal  dahé  ait  cui  onques  apartint  ^.  » 

'   Ou  l'emperères  sist.  Variaute  : 

Desous  l'onbi'e  d'un  pin. 

(R.  7618.  —  7533.  —  St.  Germ.  1244.) 

2  Esbahi.  Variante:  Esmnri,  troublés,  effrayés:  mars 
ici  le  sens  paraît  être  :  dispersés,  débandés  (exbanditi). 

3  Pavage,   synonyme  de  parenté,   comme  dans  celte 
phrase  conservée  :  «  Un  homme  de  haut  parage.  » 

4  Mal  dahé,  etc.  J'entends  ce  vers  :  «  Malheur  à  qui  le 
mérite,  maie  mort  à  qui  il  convient.  » 


GARIN  LE  LOHERAIN.  47 

Et  dist  li  rois  :  «  Venrez-vous  avec  mi , 
«  Vostrc  linage  et  trestiiit  vostre  aniin? 
«  Or  verrai-je  qui  me  voura  servir.  » 
Respont  Fromons  :  «  Nous  ferons  vo  plaisir 
«  Moult  volen tiers,  cui  qu'en  doie  avenir.  » 

Li  rois  semont  à  force  et  à  estri. 
Des  saint  Michel  qui  desor  la  mer  sist, 
Jusqu'à  Germaise  qui  siec  desor  le  Rin  ' , 
Ne  remaint  home  qui  arme  puist  tenir. 
Flamenc  i  vienent,  Gascon  et  Angevin  , 
Et  Berruier,  Breton  et  Poitevin  : 
Fromons  li  quens  i  vint  niolt  enforcis 
Qui  molt  se  paine  de  nostre  roi  servir; 
Puis  fu  un  jor  que  il  s'en  repenti. 
Bègues  remaint  en  la  cit  de  Paris 
Que  il  n'est  pas  respassés  et  garis^ 
Et  la  roïue  se  peine  del  servir. 
A  Chaalons  vienent  li  ost  Pépin. 

'  Jusqu'à  Germaise.  "Variante  : 

Jusc'a  Gannaisse  qui  est  delà  le  Biii. 
(St.  Germ.  2041.) 

. .  .  Garmaise.  . . 

(R.  7542.  3-3.) 

Il  faut  reconnaître  ici  Germesheim,  petite  ville  située  sur 
le  Rhin,  à  une  lieue  de  Philisbourg  et  justement  à  l'ex- 
trémité de  la  France  opposée  à  Saint-Michel. 


48  LI  ROMANS  DE 

Garin  baillèrent  l'enseigne  Saint-Denis, 

Là  véissiez  la  viande  venir. 

"Vers  Bar-le-Duc  firent  lor  ost  guenchir; 

A  la  rivière  par  desoz  Viteri  ', 

Loge  le  soir  l'eniperères  Pépins. 

Et  li  Borgoins  ,  li  prous  et  li  hardis  ^, 

Fist  l'eschargaite ,  à  deus  mil  fer-vcstis; 

Plus  het  Bernart  le  signor  de  Naisil  ^ 

Que  il  ne  fait  nul  home  qui  soit  vis , 

Et  Bernars  lui  et  le  prise  petit. 

Li  os  s'esmuet  quant  ce  vint  au  matin. 

Bar-le-Duc  passent  et  gisent  à  Lini", 
A  quatre  lieus  dou  chastel  de  Naisil  '. 

I  viteri.  C'est  aujourd'hui  Vitry-le-Briilé,  situé  à  égale 
distance  de  Chàlons  et  de  Bar-le-Duc,  el  réduit  eu  ceudres 
par  Louis  Vil,  en  n43. 

»  Li  Borgoins ,  le  Bourguignon  Auberi. 

3  Plus  het  Bernart.  Auberi  se  souvenait  du  ravage 
de  la  Bourgogne  par  Bernard ,  dans  la  première  guerre. 
(  Voy.  tom.  1'*",  pag.  i85  et  suivantes.) 

4  Lini.  Variantes  :  Laigni.  —  Chauni.  —  CUgni.  —  C'est 
aujourd'hui  Ligni  en  Barrais,  petite  ville  sur  l'Ornain  ,  à 
trois  lieues  de  Bar. 

5  A  quatre  lieus.  Variantes  :  A  deus  leuettes.  —  A  deus 
grans  lias.  —  Quoi  qu'il  en  soit ,  ce  vers  justifie  complète- 
ment les  conjectures  que  j'ai  émises  dausle  premier  volume 


GARIN  LE  LOHERAIN.  49 

Et  la  nouvelle  au  traitor  en  vint 

Que  Franceis  ont  et  juré  et  plévi  ' 

N'en  torneront,  si  l'averont  brui 

Et  abatu  et  tout  à  terre  mis. 

Bernars  l'entenl ,  si  en  a  fait  un  ris  : 

—  «  Par  Dieu  ,  "  dist-il ,  "  jusqu'au  jor  del  juis 

«  N'iert-il ,  par  force,  né  retenus  né  prins; 

«  Se  ne  le  rens,  jà  n'en  seront  saisis. 

«  Or,  foites  joie,  Fauconés  sire  fis, 

«  Que  longement  i  puet  li  rois  croupir, 

'<  N'oiiverrai  porte  né  guichet  né  postis  ".  » 

XXIX. 

«^-^gTT^i  quens  Bernars  a  sa  gent  devisé: 
^  ^^De  chevaliers  i  ot  à  grant  plenté; 
JIQ^^Î^BieD  pert  as  murs  quant  il  furent  monté'. 
Là  veist-on  maint  bon  escu  doré, 

de  Garin,  page  221),  note  2.  Il  est  bien  certain  que  l'anuieu 
Naisil  est  Naix,  ISais  ou  Nas,  petit  village  à  deu\  lieues 
de  Goudrecourt  et  à  quatre  lieues  de  Ligiii  eu  Barrois. 

'  Plévi,  donué  gage,  fait  vœu. 

2  Postis,  poiit-levis  (/»oo.7/tti),  ti  i\on  portes,  comme 
je  l'ai  interprété  daus  le  premier  volume  (page  142).  Dans 
un  sens  analogue ,  cheveux  postiches. 

^  Bien  pert,  bien  parait. 

II.  3 


5o  LI  ROMANS  DE 

Et  tant  vert  hiaume  et  tant  pennon  fein)e; 
A  grant  merveille  furent  bel  li  armé. 
Bernars  s'en  ist,  quant  il  l'oient  armé', 
Sor  un  destrier  grant  et  gros  et  quarré , 
A  quatre  vins  (ju'il  a  des  siens  sevrés"; 
K'i  a  celui  qui  n'ait  cscu  flore  ^ 
Et  le  destrier  corant  et  abrivé. 
Bien  semblent  gent  de  bien  faire  apresté. 
Bernars  fu  preus,  de  grant  nobileté; 
Bien  le  sachiez,  s'il  étist  loiauté, 
Tséust  meillor  en  trestout  le  régné. 
A'ers  les  Roiaus  chevaucha  abrivé  ^  ; 
Le  Borguignon  a  premier  encontre, 
Tôt  cors  à  cors  ont  ambediii  jouste  ; 
Bernars  ne  (Toule,  li  Borgoins  a  versé  ^ , 

•  S'en  ist,  sort  du  châleau  de  Naisil. 

2  A  quatre  vins,  avecquatie-vingis.  Variantes  :  A  quatre 
cens.  —  A  trois  cens  homs. 

3  Flore,  fleuri,  peint  à  fleur  de  lis,  comme  alors  tous 
les  écus  de  distinction.  Cette  circonstance  ajoute  à  la  dif- 
ficulté de  retrouver  l'origine  des  armes  de  France  :  mais 
on  voit  qu'au  temps  de  Jehan  de  Flagi,  nos  rois  n'avaient 
pas  encore  seuls  le  privilège  de  porter  sur  leur  écu  la  fleur 
de  lis. 

4  Les  Roiaus ,  les  chevaliers  de  l'armée  du  roi.  — 
Abrivé,  prompt,  rapide.  Les  Catalans,  comme  me  l'ap- 
prend M.  Tastu ,  disent  encore  abrivat  dans  le  même  sens. 

5  A'c  croule,  n'est  pas  ébranlé  du  choc. 


{ 


GARIN  LE  LOHERAIN. 

Naisil  !  escrie  ;  là  ot  le  jor  josté, 

Lances  biisies  el  fors  esciis  troués  : 

Diex!  coin  le  fait  Bernars  et  ses  barnés  ! 

Moult  bien  chalonge  et  le  pas  et  le  gué  '. 

Mais  li  Borgoins  est  el  cheval  montés 

Et  Borguignons  sunt  o  lui  ajoustés, 

Maugré  Bernarl  en  passèrent  le  gué. 

Garins  chevauche  tout  coutrcval  un  pré, 

A  quatre  cens  chevaliers  adoubés; 

Se  tant  atent  Bernars  qu'il  soit  passés, 

Jà  comperra  ,  se  à  plain  est  trouvés  ". 

Mais  Bernars  sait  de  guerre  à  grant  plenté, 

Que  bien  en  fu  norris  tout  son  aé; 

Dist  à  sa  gent  :  <  Trop  i  avons  esté, 

«  Tornons  nous  en.  »  Et  il  s'en  sunt  tornés; 

Tr(  stout  le  pas  ne  s'i  sunt  arrestés. 

'  CInilonge ,  dispute,  vlùfend.  Ce  mot  parait  venir  du 
mot  laliu  calumniari ,  que  Ton  prononçait  peut-être  calum- 
jari.  —  Pour  bien  entendre  ce  vers  et  les  suivants,  il  faut 
supposer  que  Bernard  joula  contre  Auberi ,  quand  celui-ci 
allait  traverser,  à  l'endroit  gitéable,  le  fossé  qui  entou- 
rait le  cbàteau  de  IS'aisil;  la  rivière  d'Orne  peut-être. 

2  Jà  comperra,  etc.  Il  le  paiera  cher,  s'il  est  trouve  en 
pleine  campagne. 


3. 


5a  LI  ROMANS  DE 


XXX. 

(^4^^(^\  s'en  Bernars  li  sires  de  Naisil, 
"^MJ^rDe  toiunoier  ne  fii  plus  entreprins  '. 
^^^S^^Çhes  siens  enmaine;  tout  derrières  s'est  mis, 
Sovent  retorne  et  sovent  lor  guenchit  ^. 
Au  chief  dou  pont  fu  grans  li  fouléis; 
Garins  enchauce  et  ses  niés  Auberis. 
Et  dit  Bernars  :  «  Passez  tôt  à  loisir, 
"  Ne  doutez  homme  tant  com  je  soie  vis.  « 
Devant  la  porte  fut  moult  grans  li  estris  ^, 
Et  gietent  pieres  cil  qui  as  murs  sunt  mis. 
Volent  saietes  et  grans  quarriaus  niassis; 
Entour  les  portes  se  sont  Loherens  mis. 

Li  os  se  loge,  chacuns  son  atrait  fist  "  : 
Li  sommier  vinrent,  si  ont  pavillons  prins. 
Tout  environ  le  chastel  de  Naisil , 

»  ]Se  fu  plus  entreprins.  Il  ne  songe  plus  à  jouter  de- 
vant lui. 

2  Lor  guenchit ,  leur  échappe  par  uu  détour. 

î  Li  estris,  la  lutte,  et  non  pas  les  étriers,  connue  je 
l'ai  interprété  à  tort  dans  le  premier  volume.  De  ce  mot, 
ou  a  fait  esiriver,  relriver,  interrompre,  contredire. 

4  Son  atrait,  ses  dispositions,  son  attirai!. 


GA.RIN  LE  LOHERA.m. 

A  la  rcf)nde,  si  com  il  fii  assis , 
De  pavillons  poissiez  moult  véir; 
Et  defors  l'ost ,  à  haies ,  à  jardins  , 
Logent  serjans  dont  il  ot  bien  dis  mil; 
Et  les  communes  logent  par  le  larris  \ 

Li  cuens  Bernars  fu  par  vertu  assis, 
Mais  il  nés  prise  vaillant  deus  Parisis  ; 
Renart  resenble  qu'en  la  taisnière  est  mis. 
Julis  César,  quant  le  chastel  conquist  " , 
Il  i  fist  faire  et  croates  et  chemins  ^ 
Par  dessous  terre,  s'en  puet-on  bien  issir 
Bien  quatre  lieues,  ou  cinq  ou  neuf  ou  dis; 

«  Et  les  communes.  Encore  les  communes  qui  font  partie 
de  l'armée  du  roi.  —  «Mais,»  dira-t-on,  «l'histoire  ne  parle 
des  communes  qu'au  moment  de  la  bataille  de  Bouvines.  » 
—  Mais,  dirai-je  à  mou  tour,  un  seul  historien  a  men- 
tionné la  présence  des  communes  dans  cette  bataille;  sans 
lui ,  vous  ne  les  verriez  figurer  que  sous  Philippe-le-Bel,  au 
commencement  du  xiv*'  siècle.  La  belle  preuve  négative  ! 

2  Quant  le  chastel  conquist.  Variante  : 

....  Quant  le  chastel  féist. 

Le  déplorable  oubli  dans  lequel  nous  sommes  tombés  sur 
notre  histoire  nationale  ancienne  fait  qu'aujourd'hui  on 
rattache  partout  à  Jules-César  les  monuments  et  les  tradi- 
tions dont  on  ne  peut  assigner  la  véritable  origine.  On  voit 
que  cette  habitude  est  ancienne. 

î  F.t  croûtes,  et  grottes,  caves  souterraines. 


54  LI  ROMANS  DE 

Par  là  s'en  ist  dans  Bernars  de  Naisil. 

Trois  fois,  lejors,  toute  l'ost  estormit 

Et  les  charrois  lor  defent  et  laidit. 

Jà  n'iert  nul  jors  ne  fasse  nouvel  cri; 

jMé  li  passages  ne  sera  si  garnis 

Né  li  forrier  n'iront  par  le  pais 

Que  il  n'en  isse  au  soir  et  au  matin  : 

Molt  est  iriés  l'emperéor  Pépins 

Et  jure  Dieu,  s'il  est  à  force  prins, 

Que  il  sera  escorchiés  trestout  vis, 

En  aiguë  chaude  iert  li  siens  cors  boullis. 

Fromons  li  (picns  à  la  nouvelle  oï  : 
Dedens  son  tref  fist  ses  parens  venir  ; 

—  «  Avez  oï  de  nostre  roi  Pépin, 

«  Com  il  menasse  mon  oncle  de  Naisil  ? 
<i  Se  il  ce  fait  nous  sommes  tous  honnis. 
«  Mais  mette  soi  Bernars  en  sa  merci, 
«  Nos  proierons  à  nostre  roi  Pépin 
«  Que  pas  n'abate  le  chastel  de  Naisil.  » 
Et  il  respondent  :  «  Sire,  bien  avez  dit, 
'i  Tousjours  avez  esté  de  sens  gai'ni.  « 
Fromons  apelle  Guillaume  de  Monclin  : 

—  «  Alez-i ,  frères ,  «  fait-il ,  <;  je  vous  en  pri.  » 

—  «.  Moult  voUentiers,  »  Guillaumes  respondit. 

Il  est  montés  sor  un  cheval  de  pris; 
Ains  ne  fina,  s'est  venus  à  Naisil. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  55 

Devant  la  porte  s'arcsta  et  {^iienchit  ' 
Tout  (Jroitemont,  sor  le  pont  lornéis. 
Gent  apela  que  il,  là  dedans,  vit  : 

—  «  Ne  traiez  mie,  franc  chevalier  gentil  2, 
«  J'ai  nom  Guillaume,  le  sire  de  Montclin, 

«  A  mon  chier  oncle  vueil  parler  de  Naisil  ; 
><  Ovrez  la  porte,  s'il  vous  vient  à  plaisir.  » 
Et  cil  respondent  :  "  Atendez  un  petit, 
'<  Tant  que  soions  de  Bernart  reverti.  » 

Adont  s'en  vont  li  chevalier  gentil; 
Jusqu'à  la  salle  ne  prinsrent  onques  fin  , 
Voient  Bernart,  si  l'ont  à  raison  mis  : 

—  n  Là  defors  est  Guillaumes  de  Monclin  , 
"  Il  est  tos  seus,  de  sor  un  cheval  gris  ^.  » 
Et  dist  Bernars  :  «  Si,  le  faites  venir.  » 

Et  cil  li  courent  tantost  la  porte  ouvrir. 
Li  quens  Guillaumes  dou  cheval  descendi , 
Bernars  le  voit,  à  l'encontre  li  vint  : 

—  «  Biaus  niés,  »  dist-il,  «  bien  puissiez-vous  venir! 
'<  Bien  avez  fait  quant  vous  venites  ci, 

«  Au  grant  besoing  voit-on  bien  son  amin  ; 
«  Or  vois-je  bien  que  cuer  ne  puet  mentir.  » 
Par  le  poing  destre  l'a  maintenant  saisi; 

•   Et  guencliit,  et  fit  demi-tour  pour  entrer. 

2  Ne  traiez  mie ,  ne  dirigez  pas  de  flèches  contre  mor. 

î   Tos  sens,  tout  seul. 


56  LI  ROMANS  DE 

II  li  monstra  ses  greniers  et  ses  vins 

Et  ses  lardiers  où  li  bacon  sunt  mis  '. 

Et  dist  Guillaumes:  «  Molt  bel  trésor  a  ci  2  ! 

«  Por  Dieu,  biaus  oncles,  entendez  un  petit  : 

"  Faites  ice  que  diront  vostre  aniin; 

«  Envers  le  roi  vous  metez  en  merci. 

«  Li  chevalier  en  prieront  por  ti, 

«  Jà  ni  perdras,  vaillant  un  angevin.  » 

Bernars  l'oit,  à  poi  n'enrage  vis  : 

—  «  Fis  à  ])utain  ,  vénistes-vous  pour  ci? 
«  Trop  par  scroie  vergondés  et  honnis, 

«  Se  me  mettoie  en  la  merci  Pépin. 
«  Mais  dites  moi ,  jà  n'i  mettez  respit, 
"  Aiderez-moi  ma  guerre  à  maintenir  ?  » 

—  "  Nenil  voir,  sire,  »  li  quens  Guillaumes  dit, 
«  Ains  m'en  irai  arriers  en  l'ost  Pépin.  » 

—  «  Non  ferez,  certes ,  »  li  quens  Bernars  a  dit. 
<f  Par  saint  Denis ,  vous  estes  molt  bien  ci.  » 
Dist  à  ses  hommes  :  «  Prenez-moi  ce  chetif.  « 
Et  cil  ce  font  tantost  com  il  l'ot  dit. 

Tant  le  redoutent  que  n'i  ot  contredit. 

1  Li  bacon,  les  lards,  les  jambons.  Ce  mot  est  resté 
dans  la  langue  anglaise. 

2  Molt  bel  trésor  a  ci,  il  y  a  ici,  etc.  Mais  remarquez 
que  dans  noire  phrase  moderne,  l'emploi  simultané  de  y 
et  ici  forme  un  gros  pléonasme. 


GARIN  LE  LOIIERAIN.  57 

Le  baron  font  en  la  cliartre  flatir, 
Trois  jors  i  fii  que  il  ne  but  de  vin , 
Né  ne  manja,  car  ou  ne  li  ofri  ; 
Et  au  quart  jors  fu  fors  de  chartre  mis. 
En  l'est  en  vint  coureçous  et  maris; 
Fromons  le  voit  pâle  et  descolori , 
Il  li  demande  :  «  Qui  vous  a  si  bailli  '  ?  » 
—  '<  Sire,  vostre  oncle,  li  sires  de  Naisil , 
«  Li  maus  traîtres  qui  en  prison  m'a  mis; 
'<  TVe  l'amerai  tant  com  je  soie  vis , 
'<  Ains  l'ocirai,  s'a  l'assaut  puis  venir.  » 
Et  dist  Fromons  :  «  Par  mon  chief ,  mar  le  fist.  » 

Or  redirons  de  Begon  le  marchis 
Qui  de  ses  plaies  estoit  sains  et  garis , 
Et  vint  en  l'ost  enforciés  et  garnis; 
De  l'autre  part  furent  li  ostel  prins. 
Et  dans  Bernars  est  dou  chastel  partis, 
En  sa  compaigne  de  chevaliers  sept  vint, 
Par  une  croûte  que  firent  Sarrasin  '  ; 

•  Si  bailli,  ainsi  mené,  arrangé. 

2  Sarrasins,  les  Romains.  A  la  note  que  j'ai  placée  a  la 
page  88  dti  tome  I"^' ,  j'ajouterai  cette  remarque  du  car- 
dinal du  Perron.  «  Sarrasins,  dans  le  vieux  slvie  françois, 
'<  signifie  toute  sorte  d'infidèles,  comme  le  mot  Franc,  en 
«Orient,  signifie  toute  sorte  de  chrétiens  latins.  » 

(  Perron  iana.) 

3.. 


58  LI  ROMANS  DE 

Murs  et  sommiers  cnmainc  quatre  vint  '. 
Et  Bègues  monte  quant  il  oit  le  cri, 
O  lui  enmaine  chevaliers  trente  sis; 
En -lin  vausel  li  dus  le  consivit  » 
Si  com  il  (lut  en  sa  croûte  venir; 
«  Chaste!  !  "  escrie,  si  tost  com  il  le  vist  ^. 
Et  Bernais  torne  quant  il  le  vit  venir. 
Tant  corne  porent  des  espérons  furnir, 
Se  sunt  venus  sor  les  escus  férir; 
Bègues  chancelle  et  dans  Bernars  chaït. 
A  la  rescousse  vint  Fauconés,  ses  fis, 
Bernars  remonte  sur  un  destrier  de  pris. 
Là  véissiez  un  estor  maintenir; 
La  gent  Bernart  le  signor  de  Naisil 
Lor  courent  sus ,  si  en  ont  dis  ocis  ; 
Begon  niéismes  eussent  il  mal  mis. 
Que  desous  lui  fu  ses  chevaus  ocis. 

Uns  escuiers  à  ses  compagnons  vint; 
A  haute  vois  à  escrier  se  print  : 
—  «  Frans  chevaliers,  que  faites-vous  ici? 
«  Mors  est  dus  Bègues  se  Diex  n'en  a  merci.  » 

'  Murs,  pour  muls ,  mulets.  C'est  ainsi  que  nous  h'ou- 
vous  m.ar  pour  mal. 

2  Le  consivit,  joignit  Bernait  en  un  vallon. 

3  Cliastel.  On  se  rappelle  que  c'était  déjà  le  cri  de  guerre 
du  père  des  Lorrains,  Hervis. 


GA.RIN  LE  LOHERAIN.  $9 

Gai'ins  monta,  (luanl  la  nouvele  oït, 

En  sa  compaigne  chevaliers  qnatre  mil; 

Se  Jîernart  trueve ,  mallement  iert  baillis. 

Bernars  regarde,  si  vist  Garin  venir. 

Faucon  apclle  :  «  Alons  nos-en  ,  amins,  , 

«  Je  vois  ici  le  Loherenc  venir.  » 

Et  cil  s'en  torne,  si  corn  Bernars  eut  dit, 

Derrier  se  met,  por  les  siens  garentir. 

Bègues  remonte  sor  un  cheval  de  pris; 

Assemblé  furent  et  Bègues  et  Garins. 

Qui  dont  véist  Begon  le  Palasin 

Sor  ans  torner  et  durement  guenchir, 

De  gentil  home  li  poïst  sovenir. 

Tout  droit  au  pas  les  a  fait  revenir  ' , 

Ens  les  enbatent,  malgré  en  aient-il, 

Dedans  la  crote  que  (irent  Sarrasins. 

Plus  i  perdist  Bernars  que  ne  conquist, 

Car  de  ses  hommes  i  a  mort  trentesis. 

Desor  la  crote  li  Loherens  se  tint; 
Charpentiers  mande  et  fait  maçons  venir, 
Bien  fait  murer  la  crote  et  si  emplir  " 
Jamais  Bernars  ne  s'en  porra  issir. 

>  Au  pas,  au  passage  qui  conduisait  au  souterrain  ou 
grotte. 

»  Si  emplir,  tellement  emplir  que. . . . 


6o  LI  ROMANS  DE 

Et  Bègues  serche  le  pas  et  le  païs, 
Ni  trueve  crote  ne  fasse  bien  garnir 
Et  bien  murer  et  richement  cnpiir. 

Or  est  Bcrnars  à  la  réonde  assis; 
Ne  s'en  istra  jamais  par  les  larris  ', 
A  droite  porte  l'en  convcnra  issir. 
Bègues  commande  qu'on  un  castiel  f'éist 
Par  quoi  il  soient  là  dedans  envaï  '. 

Li  quens  Fromons  a  la  parole  oï  : 
A  tout  quatorze  des  mieus  de  son  païs, 

'  Par  les  larris,  etc.,  c'esl-à-dire  :  ><  Bernard  ne  pourra 
plus  à  l'avenir  faire  de  sorties  dans  la  campagne,  par  les 
terrains  inégaux  et  déserts;  il  lui  faudra  sortir  par  la 
grande  porte  de  Naisil.  » 

2  J'ai  suivi  la  seule  leçon  du  n°  9654 ,  parce  qu'elle  me 
paraît  de  beaucoup  la  meilleure.  Les  autres  manuscrits 
s'accordent  à  ne  pas  donner  le  second  vers. 

Begons  commande  qu'on  uti  cbastcl  feisl.  — 
Bcgons  commande  qu'on  un  castiel  feist.  — ; 
Begons  commande  qu'on  le  chastel  iireisl. 

1\  faut  entendre  ici  par  castiel  une  sorte  de  galerie  rou- 
lante et  flanquée  de  tours,  employée  pour  l'attaque  des 
places  fortes.  On  la  nommait  plus  communément  chat  ou 
chas-cliastiaux ;  et  l'on  nommait  chat-faux  les  construc- 
tions faites  rapidement  autour  d'une  place  assiégée.  De  là 
échafaud. 


GARIN  LE  LOHERAIiN.  6i 

En  suut  monlc  soi-  les  chevaiis  de  pris; 
Jusqu'à  la  porte  ne  |)risrent  onques  fui. 
Mande  Bernart  venij;ne  parler  ù  H 
Et  li  vassaus  isnellemcnt  i  vint  : 

—  ■(  Por  Dieu,  hiaus  oncles,  »  li  quensFromons  a  dit, 
'c  Et  car  créez,  s'il  vous  plaist,  vos  amis, 

«  Se  ne  le  faites ,  vous  estes  escharnis.  » 

—  «  De  quoi ,  biaus  niés  ?  »  li  quens  Bernars  a  dit. 

—  '<  Se  vous  rendez  à  iiostre  roi  Pépin , 
«  Li  chevalier  prieront  tuit  por  ti , 

"  Garins  niéismes  en  fera  moult  por  mi. 
'<  Il  est  prodons,  ains  plus  léaus  ne  vi.  » 
Et  dist  Bernars  :  «  Merveilles  puis  oïr! 
'<  Certes  vint  ans  i  porra  bien  cropir, 
<t  Ains  que  par  force  né  par  assaut  soit  prins. 
«  J'ai  là-dedans  et  pain  et  char  et  vin, 
«  Fuerre  et  avoine  à  nos  chevaus  de  pris, 
■<  Et  belle  dame  pour  faire  mon  plaisir  '.  » 

—  «  Si  ferez,  oncles,  por  Dieu  je  vos  en  pri.  » 
Et  dist  Bernars  :  «  Moult  m'est  grief  à  tenir; 

■  Je  le  ferai,  tout  à  vostre  plaisir, 

'  Variante  : 

Kt  bele  dame  ,  s'il  m'i  plaist ,  à  gésir. 
(Msc.  7542.) 

Et  bielc  feroe ,  se  moi  i  plaist,  dormir. 

(Msc.  9654.  ) 


62  Ll  ROMA.\S  DE 

«  Par  tel  convcnt  que  ne  perde  Naisil.  » 

—  «  Non  ferez,  oncles,  por  voir  le  vous  af(i. 

Bernart  enmainne  devant  le  roi  Pépin; 
Le  roi  apelle  li  Flamans  Bauduins  : 

—  «  Vez-ci  Bernart  qui  se  met  à  merci, 
«  Par  tel  couvent  corn  vous  porez  oir, 

«  Que  il  ne  perde  le  chastel  de  Naisil , 
«  Et  il  rendra  la  perde  au  duc  Garin.  » 
Et  dit  li  rois  :  «  Je  le  vueil  bien  ensi.  " 
On  li  demande  les  clés,  il  li  rendit; 
Bègues  i  va  conraiés  et  garnis, 
Le  chastel  a  et  la  ville  saisi. 
Et  la  tor  a  contre  terre  flali, 
Et  tous  les  bailles  et  les  hauts  murs  croissis 
Nel  sot  Bernars,  tant  qu'il  oit  les  cris. 
Dont  vit  il  bien  qu'il  en  estoit  traïs. 

—  «  Sire ,  »  fait-il ,  '<  j'estoie  en  ta  merci , 
«  Abattu  m'ont  le  chastel  de  Naisil  ; 

«  Si  grant  outraige  ains  de  mes  iex  ne  vis. 
«  Se  je  séusse,  certes,  que  fust  ensi, 
«  N'i  entrissiez,  jusqu'al  jor  del  juis.  » 

—  «  Nel  commandai ,  »  l'emperères  a  dit; 
Begon  manda,  si  l'a  à  raison  mis  : 

—  «  Sire  vassaus,  trop  grant  outrage  a  ci.  » 

I  Bailles,  fortifications  extérieures. 


GA.R1N  LE  LOHERAIN.  6^ 

Et  dil  li  dus  :  o  Jà  est  il  ore  ensi? 
n  Bernars  est  lerres ,  si  brise  les  chemins, 
«  A  tel  inurtrier  ne  doit  l'en  plait  tenir"; 
n  Forment  s'en  plaignent  entor  lui  si  voisin 
n  Que  maintes  fois,  fist  lever  par  matin.  » 
Respont  Bernars  :  «Vos  i  avez  menti.  » 

—  «  Lessiez  ester,  •  li  cuens  Fromons  a  dit , 
«  Priez  le  roi  que  de  vos  ait  merci. 

■'■  Quant  vos  porrez  et  vos  aurez  loisir, 
T  Refermerez  le  chastel  de  Naisil.  " 

—  «■  Moult  volentiers,  "  a  dit  li  rois  Pépins. 
Bègues  en  vint  au  Loherenc  Garin  % 

Si  li  a  dit  :  «  Entens  un  poi  à  mi  ; 
(  Cis  maus  lechieres  de  vos  il  doit  tenir, 
'1  Ne  laissiez  mie  son  chastel  enforcir; 
'<  Qu'ains  vérité  ne  sairement  ne  tint.  ■> 

—  <<  ^on  ferai-je ,  frère»,  »  ce  dit  Garins. 

Les  os  départent  et  chascuns  s'en  revint. 

•  A  tel  murti ier;  l'ou  ne  doit  pas  faire  de  couvenlioos 
avec  un  tel  brigand. 

'  Bègues  en  vint,  etc.  Au  lieu  des  cinq  vers  suivants, 
les  mss.  1244  et  7628  »  S.  Germ.,  portent  : 

Il  li  proia  li  et  li  dus  Garins, 

Il  li  perdonne  de  bon  cuer  et  de  6n. 

Il  s'agit  ici  de  Bernard  et  non  plus  de  Bègues,  qui  ne  de- 
mandait et  n'aurait  voulu  recevoir  aucun  pardon. 


64  LI  ROMANS  DE 

Li  rois  s'en  va  séjorner  à  Paris 

Et  la  roine ,  qui  tant  a  cler  le  vis. 

Et  en  Gascoigne  li  dus  Bègues  en  vint. 

Chascuns  des  princes  s'en  va  en  son  païs. 

Et  la  roïne  à  remperéor  dit  : 

—  «  Sire,  »  fait-elle,  «  entendez  un  petit; 
«  Car  mariez  le  Loherenc  Garin , 

«  Lui  et  Begon,  son  frère  de  Bélin. 
«  L'autrier  me  dist  li  prevos  Bancelius  ', 
«■  Fromont  le  quiert  à  sa  suer  Heluis. 
«  Se  lor  lignaiges  estoil  ensemble  mis, 
«  Tost  vos  feroient  correçons  et  marris, 
«  Il  vos  tolroient  honor  à  maintenir  ».  » 

—  «  Moult  dites-bien,  »  ce  dist  li  rois  Pépins. 

Li  rois  se  levé  ,  si  tost  coin  li  jor  vint , 
De  ci  à  Blaives  ne  print-il  onques  fin. 
Trueve  Milon  o  le  grenon  flori^ 
Encontre  liève  quant  son  nevou  choisi  "•  : 

I   Li  prevos  Bancclins.  Variantes  : 

Li  lolaus  Bnncelins. 

Li  prieur  Lancelins. 

*  Honor,  toujours  dans  le  sens  de  puissance. 

^  Le  grenon,  la  moustache,  et  non  pas  les  cheveux, 
comme  je  l'ai  dit  dans  le  premier  volume,  page  87.  On  sait 
que  l'usage  de  la  barbe  finit  eu  France  avec  le  règne  de 
Louis  TU,  c'est-à-dire  en  iiSo. 

4  Son  nevou.  Milon  était  donc  frère  de  Charles  Martel. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  65 

—  <c  Biaus  niés,  »  fait-il,  ».  bien  puissiez-vous  venir! 
'<  Bien  a  dis  ans  que  jamais  ne  vous  vj; 

«  Dès  que  Gascoigne  et  Bretaigne  préis, 
-T  Et  tu ,  por  moi,  chevalchie  féis  '.  » 

—  «  Oncles,  »  fait-il ,  «  je  suis  venus  ici  : 
»  A  grant  merveille  est  troublés  mes  pais. 

«  Moult  crains  Françeis,  Norman t  et  Angevin  " 

<c  Que  ne  me  tollent  ce  que  j'ai  à  tenir. 

'<  Ta  as  deus  filles ,  au  gent  cor  signori 

<  Et  j'ai  deus  contes  dedans  ma  cour  noris, 

'<  Il  sunt  mi  homme  et  de  mon  fief  saisi; 

'<  S'il  ont  mes  nièces  je  en  serai  plus  fis  ^.  » 

—  «  Sainte  Marie!  «li  dus  Miles  a  dit, 

I  Les  mss.  S.  Germain  1244  et  7628  ne  donnent  pas 
ces  deux  vers,  et  le  msc.  9654  ne  donne  que  le  dernier. 
Cette  chevauchée  du  roi  Pépin  en  Gascogne,  sans  doute 
chantée  dans  une  branche  non  conservée,  est  cependant 
indiquée  dans  la  i^^  chanson,  i**^  volume,  page  71, 
vers  i^'.  Au  reste,  Blaives,  où  séjournait  Milon,  n'élait 
pas  compris  dans  le  fief  de  Gascogne  proprement  dite,  que 
tenait  déjà  Bègues  avant  son  mariage.  C'était  le  séjour  or- 
dinaire du  duc  d'Aquitaine,  duquel  relevait  Bordeaux. 

»  Variantes  : 

Crieng  ke  Flamenc  Normant  et  Angevin..  . . 

(Msc.  9654.) 
Moult  dout  en  France  Normant  et  .\ngevin..  .  . 
(?/Isc.  7628.) 

^  Fis,  affermi  {fixiis.) 


ry6  LI  ROMANS  DE 

«  Je  n'ai  plus  d'oirs  pour  ma  terre  tenir  : 

«  Et  duc  et  route  les  ont  assez  requis; 

"  N'en  vuelent  mie,  tuit  les  ont  escondis. 

'■  Li  ainsnée  aime  le  Loherenc  Garin  , 

'<  Le  duc  de  Mez,  le  chevalier  gentil; 

"  L'autie  pucèle  qui  a  nom  Biatrix 

«  Aime  Begon,  le  signor  de  Belin, 

«  Ton  seneschal  qui  est  preus  et  gentis. 

n  II  s'acointerent,  quant  il  furent  ici  '; 

«  Se  ces  deus  n'ont,  tuit  autre  i  ont  failli.  » 

—  <(  Sainte  Marie  !  »  ce  dit  li  rois  Pépins, 
«  Ce  sunt  li  duc  porquoi  je  viens  ici.  » 

—  «Eh  !  Diex  l'otroit!  >-  Miles  li  respondit, 
«  Mandez  les  dont ,  jes  désir  à  véir  2.  » 

Mandent  à  Mez  le  Loherenc  Garin; 
Et  il  i  vint  molt  richement  garnis, 
O  lui  trois  cent  de  chevaliers  de  pris. 
Bègues  revint  dou  chaslel  de  Belin, 
Li  rois  se  lieve  quant  il  le  vit  venir. 
Miles  les  baise  quant  il  les  eut  choisis. 
Vint  eus  as  chambres  et  as  pucelles  dit  : 

—  «  Mes  belles  filles ,  pensez  de  vous  garnir 

'  Quant  il  furent  ici,  quand  ils  acquirent  au  roi  Pépin 
tote  Gascoigne  et  Poitou.  Voy.  toin.  I*"^,  pag.  71,  v.  i. 
2  Jes,  je  les. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  67 

«  Des  plus  biaiis  tiras  que  vous  pourrez  choisir; 
«  Venez,  ça  fors,  deus  chevaliers  véir.  » 

—  "  Qui  sunt  il,  père?  »  ce  a  dit  Aelis, 
«  Tel  pevent  estre  du  tout  i  ont  failli.  » 

—  «  Jel  vous  dirai,  »  li  dus  Miles  a  dit. 
«  Lainsnés  a  non  li  Loherens  Garins, 

«  Dus  est  de  Mez  et  fis  au  duc  Hervin  ; 
«  Et  l'autres  Bègues  dou  chaste!  de  Belin  -, 
«  11  ne  siuit  mie  né  ribaut  né  frarin  ' , 
'<  Sénéchal  sunt  l'emperéor  Pépin. 
«  Jà  en  lor  route  ne  troverez  roncin  ', 
«  Fors  pallefrois  et  destriers  arabis.  » 
Quant  celles  oient  ce  qui  lor  abélit , 
Ens  en  la  chambre  montèrent  por  vestir. 
Vestent  bliaus  et  pelissons  hermins  ^ 
Et  afublerent  les  mantiaus  sebelins  *. 

>   Né  ribaut  né  frarin.  Variante  : 

Garçon  ne  poverwi. 
(9654.) 
Frarin  a  toujours  le  sens  de  mendiant,  misérable;  mais 
j'igaore  l'origine  de  ce  mot. 

ï  En  lor  route.  Parmi  les  guerriers  qui  combattent  sous 
leur  enseigne ,  à  leur  solde.  —  Roncin  se  prend  ici ,  comme 
on  le  voit,  dans  le  sens  générique  de  cheval. 

3  Pelissons  hermins,  pelisses  d'hermine. 

4  Mantiaus  sebelins ,  de  martre  zibeline. 


68  LI  ROMANS  DE 

Sor  les  espaules  lornent  arrier  lor  crins  '. 

Jusqu'au  pallais  ne  prisrent  onques  fin; 
Miles  les  guie  qui  par  les  dois  les  tint  : 
—  «  Tenez  mes  filles,  bians  sire  rois  Pépins, 

I  Metez  les  si  qu'à  bien  puissent  venir.  » 

II  les  enbrasse  soz  son  mantel  hermin  ", 

«  Sor  les  espaules.  Variantes  : 

Sor  les  voQsures  d'argent  tornent  lor  crins. 
(S.  Germ.  2041.) 

Deseur  leur  ciés  ont  deus  capelès  mis 
D'or  et  de  pierres  ,  avenament  lor  sist  ; 
Sur  les  vausieres  derier  vinrent  lor  crins 
Moult  furent  bieles,  s'ont  les  cors  escaivis  , 
Fors  RIanceflor  nos  plus  bêle  ne  vit. 
(9654.) 
Le  mot  Dousures  ou  vausieres  doit  siijnifier  cercle  ou  tour- 
nure (du  latin  volvere).  Voussure  est  resté  eu  style  d'ar- 
chitecture, dans  un  sens  analogue.  Ducange,  au  mot  vol- 
sura,  renvoie  à  rufia,  où  il  explique  l'un  et  l'autre  :  peau 
des  animaux  couverte  de  poil.  Il  s'est  probablement  trompé, 
du  moins  quant  à  -volsura,  dont  il  ne  cite  pas  l'exemple. 

ï  Soz  son  mantel  hermin,  c'est-à-dire  :  le  roi  ayant  en- 
tr'ouvert  sou  manteau  d'hermine ,  pressa  les  deux  filles 
sur  son  sein.  —  Variantes  : 

Il  les  reçut  sos  son  mantel  hermin  , 
Si  en  appelle  ,  etc. 

(S.  Germ.  2041.) 

Li  rois  se  dresce  tunlost  corne  il  les  vit , 
Si  les  emhrache  sos  les  mantiaus  bermins. 

(9654.) 


GARIN  LE  LOHERAIÎS.  69 

Et  les  pucelles  li  font  parfont  enclin. 

Il  en  apelle  lo  Loherenc  Garin  : 

—  «  Venez  avant ,  le  fis  au  duc  Hervin , 

«  Tenez  ma  nièce,  la  bien  faite  Aélis; 

«  Et  vous  ,  dans  Bègues  dou  chastel  de  Beliu , 

«  A  vous  doing-je  la  belle  Biatrix, 

«  S'est  la  plus  belle  que  onques  Diex  féist  ; 

«  Et  de  la  terre  amdui  vous  revestis. 

«  Miles  iert  moines  au  mostier  Saint  Seurin  '.  • 

Et  cil  respondent  :  «  Sire,  à  vostre  plaisir!  >< 

Chascuns  des  contes  la  soie  rccoillitz, 

Puis  les  menèrent  au  mostier  Saint  Martin  ^  : 

Deus  arceuesques  i  out  au  benéir; 

Li  uns  de  Borges  qui  appartient  Aubri  ■* 

Et  l'autres  fu  de  Bordelle  la  cit. 

Là  les  espousent  et  d'argent  et  d'or  (in  '. 

>   Saint  Seurin  ou  Saint  Surin ,  à  Bordeaux. 
2  La  soie,  la  sienne,  sa  femme  promise. 
^  Saint  Martin.  Variante  :  Saint  Seurin. 

4  De  Barges  qui  appartient  Aubri.  Le  vicomte  de  Bour- 
ges ne  relevait  donc  pas  des  comtes  du  Berry,  mais  des 
durs  de  Bourgogne.  Ainsi  le  fief  d'Aubri  le  Bourgoing 
comprenait,  avec  la  Bourgogne  actuelle,  le  Ni\ernais  et 
partie  de  la  Lorraine  et  du  Berry. 

5  Et  d'argent  et  d'or  fin,  c'est-à-dire,  suivant  la  cou- 
tume des  Francs;  c'est  ce  qu'on  appelle  dans  les  lois  bar- 
bares sponsaita  munera  dare,  ou  de  solido  et  denario  spon- 


70  LE  ROMANS  DE 

Bègues  parole  si  que  luit  l'ont  oï  ■ 
—  «  Entendez-moi ,  vous  qui  estes  ici , 
«  Et  vous  biaus  frères,  entendez-i  aussi: 
n  Vous  tenez  quite  la  terre  au  duc  Hervi  *, 
«  Le  Loherenc  qui  nous  engenui  ; 
«  Je  n'en  ai  rien ,  ce  set-on  bien  de  fi. 
'<  Je  tieng  Gascongne  que  me  donna  Pépins  , 
«  (De  Dieu  en  ait  et  grâces  et  mercis!  ) 
1  Et  si  avons  ambedui  feme  prins; 
«  Bonne  est  la  terre  que  avons  mes  conquis  2. 
«  Un  gieu  vous  pars,  voiant  tous  vos  amins^  : 
«  Je  ne  vneil  rien  en  ce  que  j'ai  conquis; 
n  Prenez  la  terre  que  vous  véez  ici, 
«  Je  la  ferai  quiter  à  Biatris, 

sare,  comme  dans  Frcdegaire,  Epifome,  cap.  18  :  <<  Legalos 
«  ad  Guiidebaldiim  dirigit,  pctens  ut  Clirolechildem,  iiep- 
«  tem  siiam ,  ei  in  conjugium  sociandam  traderet.  Legali 
<•  offereutes  solidum  et  denarium  (ut  mos  erat  Prancorum), 
«  eam  parlibus  Chlodovei  spousam,  placitum  ad  piîesens 
«  patentes,  ut  ipsam  ,  ad  conjugium,  traderet  Chlodoveo.  » 
La  même  expression  se  retrouve  frécpiemment  dans  notre 
Roman,  et  c'est,  à  mon  avis,  un  grand  indice  d'antiquité, 
comme  tout  le  discours  de  Bègues. 
'   Quite,  entière. 

2  CoïK/nis,  dans  le  sens  absolu  de  gagné,  acquis ,  comme 
encore  phis  bas. 

3  Un  gieu  nous  pars,  je  vous  laisse  le  cboix.  (Voy. 
tom.  1*"^,  pag.  102 ,  note  2.  ) 


GARIN  LE  LOHERAIN. 

"  Et  je  tenrai  la  tfiii'  an  iliic  Hervis. 
«  Ou  s'il  vous  plaist  et  vous  doie  abelir 
«  Que  vous  teniez  à  la  terre  Hervis, 
«  Faites  quitter  la  terre  à  Aélis  '.  » 

Dient  trestuit  :  «  Bègues  a  moult  bien  dit.  » 
—  «  Et  je  prang  Tun,  «  ce  dit  li  dus  Garins  *; 
«  Del  tout  me  tieng  à  la  lerre  Hervin 
"  Que  mes  linages  et  mes  ancesties  tint  ^.  » 
Sa  femme  appelle  et  en  riant  li  dist  : 
«  Venez  avant,  la  bien  faite  Aélis, 
"  Quitez  la  terre  cpie  vostre  pères  tint, 
«  Moult  bon  eschange  vons  en  donrai  ici; 

'  Ce  discours  de  Bègues  est  la  plus  forte  preuve  que  l'on 
puisse  offrir  de  l'ancienneté  di-  notre  poème,  du  moins  dans 
sa  composition  primitive.  Tons  nos  auteurs  s'accordent  à 
penser  que  le  droit  d'aînesse  date  de  l'époque  même  où  les 
liefs  devinrent  héréditaires;  c'est-à-dire,  an  plus  tard,  sous 
Charles-le-Chauve.  Et  voilà  que  Bègues  et  Garin  traitent 
la  question  du  partage  égal  ,  non  seulement  de  leur  patri- 
moine, mais  encore  de  l'héritage  de  leur  commun  heau- 
père!  Il  est  bien  évident  qu'une  pareille  controverse  ne 
peut  avoir  été  supposée  au  xn^  siècle. 

'  Je  prang  l'un ,  c'est-à-dire  :  je  choisis  l'une  des  deux 
parts. 

3  Mes  dans  le  sens  de  mon  (meus).  —  Ancestres  ré- 
pond à  prédécesseur,  auteur. 


72  LI  ROMANS  DE 

«  Vous  teniez  Mez  ,  la  grant  cité  de  pris , 
«  Val  saint  Dié,  là  où  li  argent  git  '.  » 

J  Val  saint  Dié.  Variantes  :  Vaut  saint  Dyel  (  7533  ).  — 
Vaul  saint  Diey  {S.  Germ.  1244).  —  Val  saint  Dy  (7628). 
Les  mines  d'argent  deSaiut-Diez  étaient,  comme  on  le  voit, 
célèbres  longtemps  avant  le  xvi''  siècle ,  époque  de  leur 
seconde  exploitation.  Si  l'on  en  croit  Piguerre  (  Hist.  de 
France,  liv.  2),  elles  furent  découvertes  vers  l'an  i525, 
par  les  seigneurs  de  Rapolstein ,  cpii ,  «  ayant  trouvé  au 
•■  lieu  nommé  Saint- Jacques  une  grande  mine  d'argent,  ne 
«cessèrent  qu'ils  n'eussent  éventé  toutes  ces  minières;  et 
«  après  avoir  bien  creusé,  ils  trouvèrent  plusieurs  grands 
«  puits  et  anciennes  avenues,  où  les  anciens  avoient  cherché 
•<  des  métaux  et  fait  des  miuières  bien  profondes.  Mais  ils 
«  avoient  abandonné  ces  recherches  par  la  grande  quan- 
«  tilé  d'eau  qu'ils  rencoutroient  et  qui  se  ramassoit  dans 
•<  ces  puits.  " 

Je  n'ai  pas  vu  de  monumeut  authentique  de  ces  mioes, 
postérieurement  à  l'année  1120.  Dans  une  charte  de  celte 
époque,  donnée  à  l'égUse  de  Saint-Diez  par  Simon  1*^"^,  il 
est  dit  :  •<  Si  argenlum  de  montibus  elicilur,  si  montes  in 
«  banno  S.  Deodati  fuerint,  argentum  quo  ad  ditionem  ejus 
•<  et  suorum  pertincbit.  >■  (Don  Calmet,  Preuves  de  l'Hist. 
de  Lorraine,  tom.  IL  )  D'après  ces  termes  ,  on  peut  sup- 
poser que  les  mines  du  Val  Je  Saint-Diez  n'avaient  déjà 
plus  une  grande  importance,  ou  du  moins  que  la  principale 
exploitation  était  dans  les  montagnes  voisines. 

Un  autre  passage  plus  curieux  nous  est  fourni  par  l'au- 
teur de  la  Vie  des  évèques  de  Toul ,  sous  la  date  de  965  à 


GARIN  LE  LOHERAIN.  78 

Et  dit  la  clame  :  -<  Volentiers,  biaus  amins; 
'<  Et  moi  et  vos  n'avons-nous  riens  partis', 
'(  D'or  en  avant  ferai  vostre  plaisir.  » 

Vont  s'en  li  frère,  amdui  sunt  départi; 
Les  deux  serors  s'entrebaisent  iqui 
Et  li  dui  frère  se  baisent  autresi  : 
Miles  li  dus  a  les  noirs  dras  vestis 
Et  son  règne  a  et  sa  terre  guerpi; 
Bègues  remaint,  si  s'en  rêva  Pépins. 

Garins  enmainne  sa  moillier  Helui; 
De  ci  à  Mez  ne  prist-il  onqnes  fin  : 
Il  a  mandé  les  haus  barons  de  pris 
Et  fist  ses  noces  de  la  belle  Helui. 

994  :  «  Adquisivit  idem  praesul  (S.  Gerardus)  à  prœfalo 
"  imperatore  (Othone)  abbatiam  S.  Deodati....  accepit  à 
«  duce  Béatrice  i-viii  mausos....  ipse  concessit  duci  Beatrici 
«  tempore  vilœ  siiae,  et  post  se  unifdio  siio,  tenere  abbatias 
•<  medii  monasterii  el  S.  Deodati  et  décimas  mince  ar- 
.<  genti,  etc.  »  (  Martenn.  Thesaur.  anecd.,  tom.  III.) 

L'époque  de  l'exploitation  de  la  mine  de  Saint-Diez  est 
donc  bien  celle  où  vivaient  la  duchesse  Béatrice  el  son  fils 
unique.  C'est  également  l'époque  à  laquelle  notre  poëme 
offre  les  plus  fréquentes  allusions.  Nouvelle  preuve  que  sa 
composition  ne  peut  guère  être  postérieure  au  .\i*  siècle. 

'  Riens  parti,  rien  de  séparé. 

II.  4 


74  LI  ROMANS  DE 

Première  nuit  qu'avec  ele  dormi 
L'eure  fu  bonne ,  si  engenra  un  fil  ' , 
Girbert  ot  non ,  si  com  la  chansons  dit , 
Au  bras  de  fer  ^t  au  cuer  euterin  % 
Qui  tanles  ijuerres  mena  vers  Fromondin, 
Et  Fromont  fit  aller  aus  Sarrasins, 
Dieu  renoier  et  sa  mère  guerpir. 

Et  H  dus  Bègues  respousa  Biatris  3  : 
De  celle  issit  et  Hernaut  et  Gerin 
Aus  cuers  vérais  et  aus  talens  hardis  , 
Qui  tant  amerent  Girbert  le  lor  cousin. 
Bègues  séjorne  à  Blaives  la  fort  cit  : 
La  féauté  a  de  ses  hommes  prins. 

Enceinte  fu  Biatrix  de  Gerin 

1  L'eure  fu  bonne.  Les  mss.  portent  :  Loure ,  toiture, 
'eure,  luere,  lore  et  lliore.  J'ai  choisi  cette  dernière  leçon 
(tome  r'',  page  49). 

2  Au  bras  de  fer.  Avariante  :  Au  branc  d'acier.  (  Msc. 
7533.  2-  2")  —  Les  aventures  de  Girbert  sont  racontées  à  la 
fm  de  la  troisième  et  dans  la  quatrième  chanson. 

3  Respousa.  Cette  expression  est  curieuse.  L'usage 
semblait  donc  exiger  que  les  deux  époux  fissent  cha- 
cun de  leur  côté  les  cérémonies  nuptiales.  Les  noces 
d'Heluis  et  de  Béatrix  avaient  été  célébrées  à  Elayes,  celles 
de  Garin  le  furent  ensuite  à  Metz;  mais  il  semble  que 
Bègues  ait  recommencé  à  Blayes  même  les  siennes. 


GARIN  LE  LOHERAIN. 

îVeuf  mois  tout  plains,  si  coin  dit  li  escris'. 

Droit  en  Gascongne  s'en  veut  Bègues  venir 

Véoir  sa  terre,  que  pièce  a  ne  la  vit. 

Sa  voie  atorne,  s'enmaine  Biatrix; 

Devant  envoie  au  chatel  de  Belin, 

Ses  barons  mande  vengnent  encontre  li  ; 

Uns  pautonniers  a  la  novelle  oï  ". 

Cil  le  confonde  qui  terre  et  la  mer  fist! 

Cis  renouvelle  et  le  duel  et  le  cri  ^ 

Et  la  grant  guerre  qui  jà  ne  penra  fin, 

Dont  furent  mort  li  chevalier  gentil. 

Li  pautonniers  à  Bordelle  s'en  vint. 
Trouva  Thiebaut  et  son  frère  Estormi, 
As  esches  joue  à  Berengier  d'Autri*. 
Li  raesagiers  fièrement  li  a  dit  : 
—  «  Par  Dieu ,  biau  sire ,  que  faites-vous  ici  ? 
«  Laissiez  le  gieu,  mar  fu-il  entreprins  ; 
'<  Perdu  avez  la  belle  Biatrix, 
«  Bègues  l'a  prins  qui  Ysoré  ocist. 
'(  Je  fui  as  noces ,  ne  vous  eu  quiers  mentir, 

'  Neuf  mois,  etc.  Variante  : 

Si  com  l'en  conle  ,  neuf  mois  et  un  demi. 

ï   Uns  pautonniers,  un  infâme  ,  un  misérable. 
5  Cis,  c'est-à-dire:  ce  pautonnier. 
4  Berengier  d' A utri.  Nous  avons  déjà  vu  paraître  Galle- 
rans  d'ylutri,  tome  1*"^,  page  274. 


76  LI  ROMANS  DE 

«  Li  rois  i  fu  qui  trestot  establit  ; 

0  Li  dus  Garins  enmena  Helui , 

«  Miles  est  moines  et  sa  terre  a  guerpi.  " 

Thiebaus  l'oït,  à  pou  n'enrage  vis  : 

Li  esches  boute  et  le  jeu  espandit; 

Tout  coureciés  à  la  fcncstre  vint; 

Haïmes  le  voit,  si  l'a  à  raison  mis  : 

—  «  Par  Dieu,  biaus  niés,  que  vous  démentez  ci?  » 

—  «  Certes,  »  fait-il ,  «  je  le  vous  arai  dit  : 
o  Hons  suis  Begon ,  par  Dieu  ce  poise  mi', 
«  Ne  l'ameroie  por  tout  l'or  que  Diex  fist; 

«  Car  il  m'a  mort  assez  de  mes  amis. 

«  Se  nos  l'avions  détranchié  et  oci, 

»  Le  remanant  priserions  moult  petit. 

«  Mandez  vos  hommes  et  vos  riches  amis , 

«  A  moult  grant  honte  le  nos  puet-on  tenir 

«  Que  nos  soffrons  entor  nous  un  chaitif , 

«  Et  ne  l'avons,  bien  a  deus  ans,  ocis; 

«  Fais  eussions  au  riche  roi  Pépin.  » 

Et  dist  cuens  Haimes  :  «  Vos  dites  voir,  amis  : 

«  Fais  espier  quant  il  passera  ci , 

«  Ociez-le  ,  si  prenez  Bialrix. 

«  S'il  avient  chose  que  Franceis  vengnent  ci , 

«  Bien  avons  gent  por  nos  marches  tenir; 

«  Il  n'aront  pas  si  tost  nos  chastiaux  prins. 

'  Hons  suis  Begon.  Par  la  cession  que  Miles  a  faite  de  sa 
Icrie. 


GARIN  LE  LOHERAIN. 

'  Pais  en  feront  nostre  inillor  amin  ', 
■  Et  nous  serons  de  sa  terre  saisi,  w 
Ce  dist  Thiebaus  :  «  Et  je  l'otroi  ensi.  » 

Bègues  chevauce  au  chastel  de  Belin  , 
Et  Thiebaus  ot  assemblé  ses  amins  ; 
Bien  sunt  dui  cent,  je  cuil,  et  quatre-vins 
Dedens  les  Landes  :  là  ont  lor  agait  mis. 
Et  Bègues  passe,  oui  dame-Dieu  ait! 
Ensemble  o  lui  chevaliers  quatre  vins; 
Dos  li  Venerres  et  ses  frères  Hervis  ', 
Fouchiers  li  mainres  et  li  preus  Jocelins  3, 
Et  si  i  fu  cil  de  Chartres  Ouri  -i. 

«  Pais  en  feront,  etc.,  c'est-à-dire,  nos  meilleurs  amis 
feront  notre  paix  avec  le  roi,  et  nous  obtiendrons  Ihon- 
neur  du  fief  de  Bègues. 

2  Hervis,  surnommé  le  vilain  ou  du  Plaisscis.  — Dos  li 
Venerres  ou  Doon  était  alors  châtelain  de  Blanzy,  de  "Val- 
Perdu  et  du  Val-de-Morin.  (Voy.  tom.  I^',  pag.  290  et 
suiv.) 

3  Fouchiers  li  mainres  ou  le  plus  petit,  frère  de  Dos 
et  d'Hcrvis,  et  seigneur  de  Pierrelate.  ( Jai  fait,  page  291 
du  1^"^  volume,  une  note  inexacte  que  l'on  peut  rétablir 
d'après  celle-ci  et  la  précédente.)  — Jocelins,  sans  doute 
de  Dijon,  vassal  du  bourgoin  Auberi,  ainsi  que  Fouchier 
le  raainre. 

^  Cil  de  Chartres.  Variantes  :  Li  Cliastelains.  (  Mss. 
7533,  7628,  S.  Germ.  1244.)  —  Cil  de  Chastel  Olris. 
(  :6o8.) 


78  LI  ROMANS  DE 

Cil  aincnoient  la  belle  Biatrix; 
Ne  fineronl:,  se  Diex  le  vuet  sofrir, 
Tant  que  il  venj^nent  au  chastel  de  Beiin. 
Mais  si  grant  painne  crut  au  frère  Garin, 
Dont  convenra  mainte  lance  croissir 
Et  maint  preudomme  fors  de  la  terre  issir. 

Si  corne  il  vindrent  ens  avant  el  chemin, 
Pardevant  ans  virent  un  pèlerin: 
La  gent  Thiebaut  l'ont  battu  et  laidi  ', 
Tollu  li  ont  et  son  pain  et  son  vin. 
Où  voit  Begon  si  l'a  à  raison  mis  : 
—  «  Faites-moi  bien,  por  le  Saint-Esperit  ' 
«  Et  por  Saint-Jacques,  que  de  mes  pies  requi; 
«  Mestier  en  ai,  frans  chevaliers  gentis!  « 
Bègues  le  vit,  moult  grant  pitié  l'en  print. 
Un  denier  d'or  donna  au  pèlerin. 
Autre  l'en  donne  la  franche  Siatris. 
Pou  en  i  ot  ne  li  donnât  ausi. 
Dist  li  paumiers  :  «  Riches  sui.  Dieu  merci! 
«  Avez-vous  garde,  franc  chevalier  gentil  3?  » 

'  Laidi,  maltraité. 

2  Faites-moi  bien.  Nous  conservons  cette  expression 
dans  la  réponse  :  Je  ne  puis  vous  bien  faire.  Voyez  aussi 
tom.  1*''^,  page  270. 

3  Avez-vous  garde,  êtes- vous  en  garde,  en  défiance, 
avez-vous  clé  défiés.  —  La  même  expression  se  retrouve 
plus  bas. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  79 

—  «  Por  quoi  le  dis,  biaus  frères  pèlerins?  » 

—  !<  En  non-Dieu,  sire,  n'a  gaires  loins  de  ci, 
■  Si  trouveras  de  chevaliers  set  vint, 

«  Les  blans  haubers  endossés  et  vestis. 
'<  Li  pautonnier,  cui  Diex  puist  maléir  ! 
<  Il  m'ont  tollu  et  mon  pain  et  mon  vin 
"  Et  mon  coutel  ,  mon  henap  maserin  '.  » 

Bègues  l'oït,  si  apella  Hervi  : 

—  «  Que  pevent  estre,  par  le  cors  saint  Denis? 
«  Avons-nous  garde  de  ceus  de  cest  pais?  » 

—  «  En  non  Dieu,  sire,  »  ce  disl  li  dus  Hervis, 
n  Bordelois  sunt  qui  gastent  le  chemin; 

"  Onques  nul  jor  n'amèrent  lor  voisins. 
«  Je  redous  moult  Thiebaut  dou  Plaisséis , 
«  Car  maintes  fois  a  requis  Biatris  ' , 
«  Millon  son  père,  mais  bien  fu  escondis  : 
«  S'il  le  puet  faire  il  la  voura  saisir. 

I  Maserin.  Variantes:  Mazelin,  mazerin.  Ce  mot  a 
reçu  différentes  interprétations;  la  plus  vraisemblable  se 
rapporte  au  mot  belge  maezer,  érable,  dont  le  bois  servait, 
chez  les  anciens  peuples  du  Nord ,  à  faire  des  coupes  plus 
ou  moins  recherchées,  suivant  les  ornements  donl  on  les 
chargeait.  Voyez  Janus  Dolmerus,  dans  ses  notes  sur  la 
jurisprudence  norwégienne ,  et  Ducange  au  mot  Maze- 
rin us. 

ï  yf  requis,  etc.  Il  a  demandé  Béatrix  à  Milon  son  père, 
il  en  fut  éconduit. 


8o  LI  ROMANS  DE 

•'  Laissons  la  voie,  alons  par  cest  larris, 

<<  Je  vous  menrai  droitement  à  Belin.  » 

Et  respont  Bègues  :  «  Tais,  Hervis,  mar  le  dis; 

«  Il  sunt  mi  homme  et  de  mon  fief  saisi  : 

«  Miens  selcrroient  tous  les  membres  tollir 

«  Que  il  m'osaissent,  à  nul  jour  envaïr. 

«  S'en  eschapoie,  je  les  ferois  morir, 

«  Ens  en  ma  chartre  au  plus  parfont  gésir; 

«  là  Dieu  ne  plaise  qui  en  la  crois  fut  mis 

«  Que  jà,  por  aus,  laisse  mon  droit  chemin. 

«  Se  il  m'assallent,  je  m'en  vengerai  si , 

«  Tous  li  plus  coin  te  vouronl  estre  à  Paris.  » 

Qui  dont  véist  la  belle  Biatrix , 
Moult  se  signa,  quant  la  parolle  oï. 
—  «  Alez  à  terre ,  »  li  Loherens  a  dit , 
«  Laciez  ceshiaumes,  franc  chevalier  gentil, 
«  Se  il  estoient  cent  et  nos  fussions  dis  , 
«  Ne  leur  vauroit ,  tuit  fussent  desconfit.  » 

Li  dus  descent  dou  cheval  où  il  sist, 
Lasce  unes  chances,  nuns  si  belle  ne  vit  '; 
Vest  un  haubert,  si  a  un  hiaume  prins; 
El  destrier  monte  qui  d'Espaigne  li  vint, 

I   Unes  cliauces,  c'esl-à-dire,  une  paire  de  chausses.  On 
sait  que  les  chances  de  guerre  se  laçaient  autour  des  jam- 
bes. Guillaume  le  Breton,  parlant  de  la  ville  de  Bruges: 
Brugia  ,  qna;  caligis  obnubat  crnra  potentum. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  8i 

Grant  et  courant  et  isnel  et  hardi , 

Tout  a  couvert  et  col  et  croupe  et  pis. 

Dist  à  sa  gent  :  «  Venez-en  après  mi.  » 

Doon  commande  la  belle  Biatrix': 

—  «  Quoiqu'il  avengne,  prenez  garde  de  li. 

Dit  à  Rigaut  :  '<  Prens  mon  escu,  amins  2.  » 

Et  cil  respont  :  «  Tout  à  vostre  plaisir  !  » 

Bègues  s'en  torne  à  val  un  brueil  flori  •* , 
Monta  un  tertre ,  si  a  son  regart  pris  ; 
Il  garde  à  val,  les  chevaliers  choisi , 
Parmi  les  Landes  les  chevaus  près  saillir. 
Rigaut  apelle  :   1  Alez  arrier,  amins; 
«  Faites  mes  hommes  toz  en  conroi  venir.  » 


I  Doon  commande,  il  confle  à  Doon. 

»  A  Rigaut.  Ce  jeune  homme  n'était  pas  encore  adoubé 
chevalier. 

3  A  val  un  brueil  flori ,  au  bas  d'un  taillis  ou  d'un 
champ  de  bruyères  fleuries.  Variante  : 

A  tant  s'en  tournent  conréé  et  garni 
Le  passelet  à'Orgeul,  le  cbief  enclin  j 
Bien  samblenl  gent  de  bien  faire  ahati. 
Un  terlre  puie  dus  Bègues  li  inarcliis; 
Levai  avale,  en  l'autre  point  s'est  mis. 
Lors  garde  à  val ,  les  chevaliers  choisi 
Qu'ot  embuschiés  Thiebaus  del  Plasséis. 
Parmi  les  Landes  vit  ces  chevaus  saillir. 
Rigaut  apielc  ,  etc. 

Cette  leçon  semble  plus  correcte,  mais  on  ne  la  trouve 
que  dans  le  msc.  9654. 

4.. 


82  LI  ROMANS  DE 

—  «  Par  Dieu  ,  hiaiis  pères,  liaste-ioi,  >^  Rigaiis  dit 

—  «  Si  m'ait  Dicx,  voir,  »  ilist  li  pèlerins, 
«  Parmi  les  Landes  en  a  plus  de  set  vint.  » 
Moult  s'en  esniaie  la  belle  Biatrix. 
Encontre  vienent,  si  ont  les  escus  prins, 
Et  Bègues  sist  sor  le  cheval  de  pris, 
"Voit  ceus  de  là,  fièrement  lor  a  dit: 

—  «  Qui  estes-vous,  qui  gardez  cest  chemin  ?  >- 

—  «  Bien  le  saurez,»  li  cuens  Thiebaus  a  dit, 
«  Mar  acointastes  la  belle  Biatrix. 

'<  Fis  à  putain!  com  fustes  si  hardis 
<<  Qu'en  ceste  terre  osastes  bien  venir, 
«  Puis  qu'océistes  dant  Ysoré  le  gris? 
«  Or  vos  convient  de  maie  mort  morir.  » 

Bègues  l'oït,  à  pou  n'enrage  vis; 
Il  ne  demande  qui  est  né  cist  né  cil  *, 
En  son  escu  va  le  premier  férir, 
Desoz  la  boude  li  a  frait  et  mal  mis, 
Le  blanc  haubert  déront  et  dessarti; 
Mort  le  trébuche  dou  destrier  où  il  sist. 
L'autre  rabat  et  le  tiers  a  ocis. 


I  Biaiis  pères.  Ici  l'enfant  Rigaut  transmet  les  ordres 
de  Bègues  au  vilaiu  Hervis,  son  père. 

'  Qui  est  né  cist  né  cil,  qui  est  ou  celui-ci  ou  celui  là. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  83 

A  tant  ez-vous  le  bon  villain  Ilervis  , 
Lui  et  Doon  et  Hiiedon  et  Gaudin  '  ; 
Lieve  la  noise,  si  enforce  li  cris. 
Quant  Biatrix  voit  le  inarteléïs 
De  la  paor  et  de  ce  qu'ele  vit, 
Le  jor  senti  son  damoisel  Gerin  2. 
Li  Bordellois  fuissent  jà  desconfit  ; 
Là,  lor  ocient  et  Ponçon  et  Thieri. 
Qui  dont  véist  Begon ,  le  fil  Hervi , 
Au  branc  d'acier  la  presse  départir, 
Vis  et  mentons  et  cervelles  bolir  3, 
De  noble  prince  li  péust  sovenir. 
Descouû  fuissent,  quant  Guillauraes  lor  vinf*, 
Hains  de  Bordelle  et  li  quens  Harduins. 

«  Lui  et  Doon,  etc.  Variantes  : 

Lui  et  Doon  et  Simon  et  Tierri. 
(Msc.  7542.) 

Lui  et  Simon  et  Droon  et  Henri. 

(S.  Germ.  2041.) 
>  Gerin,  l'enfant  quelle  portait  dans  son  sein. 
3  Bolir,  boulir,  rouler,  qui  eût  vu  rouler  visasses ,  men- 
tons et  cervelles,  etc. 

-i   Guillaumes ,   surnomme   le  Marquis.  Vov.   tom.  I"'. 
pag.  agS,  v.  3. 


84  LI  ROMANS  DE 

XXXI. 

ÎRAKs  fu  la  noise  à  l'estor  coraencier  ; 
[©Là  véissiez  maint  fort  escu  percier 
j^^sEt  tant  vassal  à  terre  trébuchier. 
Qui  dont  véist  Begons  les  rans  cerchier  ^  , 
Et  à  l'espée  gueuchir  et  reparier , 
Cui  il  afaint  n'a  soing  de  dosnoier  *. 
Thiebaut  abat  qui  voloit  sa  moillier, 
Et  les  talons  en  fait  à  mont  drecier; 
Puis  lor  abat  Guinemant  et  Gautier. 
Dos  li  Venerres  lor  ocist  Manessier. 
Mais  Bordelois,  cui  Diex  doint  enconbrier! 
Begon  navrèrent  dou  branc  forbi  d'acier; 
Dou  sanc  de  lui  fu  ses  haubers  moillés, 
Pardesous  lui  ont  ocis  son  destrier, 
Et  Biatrix  corent  au  frain  sachier  3  ; 

1  Les  rans  cerchier,  les  rangs  parcourir.  Cette  expres- 
sion cerchier,  tourner,  est  très-pittoresque.  Quant  à  cette 
phrase,  qui  dont  véist,  elle  se  reproduit  souvent  comme 
ici, sans  avoir  de  conclusion  apparente;  ilfaut  l'eutendre  : 
Chacun  (qnisque)  aurait  pu  voir,  etc. 

2  Dosnoier,  faire  le  plaisant. 

3  Et  Biatrix,  ils  courent  saisir  Béatrix  par  le  frein  de, 
son  cheval. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  85 

Jà  l'enmenassent  li  glolon  pautonnier  . 
Quant  la  ducheise  commença  à  huchier  : 

—  «  Hé!  Bègues,  sire,  porDieu,  ne  me  laissiez!  » 
Bègues  l'oït,  mais  ne  li  puet  aidier, 

Li  sans  dou  cors  li  raie  à  terre  et  chiet  : 

—  «  Lasse,  «  dit-elle,  «  ci  a  grant  enconbrier; 
(1  Ne  verrai  mais  ton  gent  cors  droiturier, 

it  Né  vous  le  mien  que  vous  tant  amiez! 
«  Mes  daraoisiaus  qui  en  mon  cors  gisez, 
«  Dieu  te  doint  vie  que  le  puisses  vengier  !  » 


XXXII. 

v^SS^'^'i  dont  véist  la  belle  Biatrix 

^^^«^Corn  se  démente  et  crie  à  haut  cris  : 

if^^^4«-  Hé!  Bègues,  sire,  frans  chevaliers  gentis, 

«  Ne  verrai  mais  ton  gent  cors  siguori  ! 

<■  Mes  damoisiaus  qu'en  mon  ventre  norris, 

<•  Dieu  te  doint  force  qui  en  la  crois  fut  mis , 

«  Que  tu  destruire  puisses  tes  anemis  ! 

<■  Mort  ont  ton  père  qui  en  ce  sablon  gist, 

«  Lasse!  dollante,  que  pourrai  devenir?  » 

—  «  Dame  ,  »  dist  Haimes ,  «  vous  venrez  avec  mi , 

«  Or  vous  tens-je  et  de  vous  suis  saisis; 

»  Si  vous  donrai  Thiebaut  dou  Plaisséys , 


86  LI  ROMANS  DK 

«  Riches  hons  est,  et  si  vos  aime  si 
«  Que  jà  no  peut  né  mangier  né  dormir.  » 
Et  dit  la  dame  :  '<  Mieus  vouroie  morir 
«  Que  jà  ma  chars  pust  la  soie  sofrir'.  « 

Atant  ez-vous  Doon  et  dant  Hervin  ^ 
Et  Berengier,  Berart  et  Goscelin  ; 
L'uns  fiert  Droon  et  l'autres  fiert  Landri  '  ; 
Hervis  abat  le  signor  de  Chauni  ^ , 
Dos  li  Venerres  ala  Haimon  ferir, 
Poitraus  né  single  ne  le  pot  garentir; 
Tant  durement  à  terre  le  flati 
Devant  les  pies  la  belle  Biatris, 
Que  le  bras  destre  li  a  brisié  parmi. 
—  «  Dieu  !  »  dist  la  dame  ,  <•  com  gent  cop  a  ici  !  » 

Qui  dont  véist  le  bon  vilain  Hervi , 
A  la  grant  hache  la  presse  départir; 
Cui  il  ataint  tout  est  de  la  mort  fis  5. 
Uns  escuiers  en  va  droit  à  Belin 
Là  où  estoient  li  chevalier  de  pris  , 

'   La  soie,  la  sienne. 

*  Doon,  etc.    Dos   le  Venerres  et  le  vilain  Hervis. 

3  Landri,  le  châtelain  de  la  Faldoine.  —  Droon ,  Droé» 
d'Amiens.  (Voy.  lom.  I'''' ,  pag.  '-qS.  ) 

4  Le  signor  de  Chauni ,  Aliaumes. 

5  Fis,  assuré. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  87 

Les  bêles  dames  et  li  serjant  hardi  ; 
Le  duc  atendent  qui  là  devoit  venir, 
Por  faire  joie  corne  de  lor  ami 
Et  de  sa  ferae,  la  bêle  Biatris  : 
Oiicques  la  dame  ne  fu  mais  cl  pais. 
Là  véissiez  vallès  escus  tenir, 
Les  chalemiaus  ,  les  vielles  tentir, 
Et  les  caroles  chanter  et  esbaudir. 
L'escuier  voient  parmi  les  chans  venir, 
Il  li  demandent  :  «Vient  li  dus  Bègues  ci  ?  '■ 
Et  cil  respondent  :  «  Si  m'ait  Diex,  nenil  ; 
«  Li  Bordeloi  ont  mon  signor  Irai, 
«  Ma  dame  enmainent  et  le  conte  ont  ocis; 
«  Je  ne  cuis  mais  que  nuns  le  voie  vif.  » 
Quant  cil  l'oïrent  n'i  ot  né  jeu  né  ris , 
Tout  maintenant  sont  as  armes  sailli; 
Là  véissiez  le  chastel  estormir 
Et  les  haubers  et  les  hia urnes  vestir. 
Les  chevaliers  sur  les  destriers  saillir, 
Les  escus  prendre  et  les  espiés  saisir, 
Les  dars  trencans  por  lancier  et  férir. 
Se  tant  atendent  Bordelois^  ce  m'est  vis, 
Tart  en  seront ,  ce  croi,  au  repcnlir. 
Là  véissiez  les  grands  Landes  tentir  ' 

I  Les  grands  Landes  tentir.  J'ai  suivi  la  leçon  du  msc. 
7542.  Les  autres  portent  : 

Là  vcissiés  les  graiis  lances  tenir. 


88  LI  ROMANS  DE 

Et  le  sablon  remuer  et  guenchir; 

Li  bon  cheval  font  les  caillons  croissir. 

Cens  de  BordcUe  véissiez  effréir; 

Hainion  enportent,  ne  le  vourent  guerpir; 

La  dame  laissent,  maulgré  en  aient-il. 

Et  Bialrix  vint  deseur  son  mari; 
Durement  plore,  ne  s'en  peiit  astenir; 
Pour  çou  que  voit  le  duc  descoulori  : 

—  «  Lasse ,  «  fait-elle,  «  corn  grant  dolor  a  ci  !  » 
Li  Loherens  a  bien  sa  feme  oï , 

La  teste  dresce  contremont  un  petit. 

—  «  Dieu  !  »  dist  la  dame,  «  or  est  vis  mes  maris  ! 

Li  Gascon  vienent  fretelant  le  chemin  i , 
Il  les  enchaucent  une  liue  acompli  ; 
De  Bordelois  i  firent  grant  train  ' , 
Plus  de  quarante  leur  en  i  ont  ocis  ; 
Puis  en  repairent  coureçous  et  marri. 
Là  sunt  venu  oiî  li  dus  Bègues  gist, 
Et  font  litière  sor  quoi  il  l'ont  assis  ; 
Lor  autres  mors  ont  toz  en  terre  mis  : 
Crois  font  sor  aus,  qu'il  erent  droit  martir, 
Por  lor  seignor  orent  esté  ocis  ^. 

»  Fretelant,  parcourant  à  la  liàle  le  chemin. 

2  Trahi,  régime  de  trais. 

3  Orent  esté  ocis.  Vous  voyez   que  le  royaume    des 
cieux  appartenait  de  droit  à  quiconque  mourait  pour  dé- 


GARIIV  LE  LOHERAIN.  89 

Bef^on  enportent  au  chastel  de  Belin. 

Moult  sunt  navre  li  qucns  Dos  et  Hcrvis; 
Au  chastel  entrent,  ains  que  past  li  midis; 
Begon  désarment  dont  enforce  li  cris, 
Moult  ot  saigné,  si  fu  descouloris, 
Il  fu  plus  blans  que  ne  soit  fleur  de  lis. 
Les  mires  mandent,  par  trestot  le  pais. 
Qui  sunt  moult  sage  et  de  sens  bien  garnis, 
Car  en  Salerne  furent  né  et  norri  \ 

fendre  son  légitime  seigneur,  et  que  la  religion  elle-même 
ne  distinguait  pas  le  maître  terrien  du  maître  céleste. 
Dogme  admirable,  le  premier  auquel  nous  ayons  cessé  de 
croire. 

D'après  ce  passage,  on  serait  tenté  de  penser  qu'au 
xi^  siècle,  on  ne  traçait  pas  encore  la  croix  indistinctement 
sur  toutes  les  tombes  chrétiennes.  Il  est  certain  du  moins 
que  dans  les  premiers  siècles  du  christianisme,  le  grand 
signe  de  la  religion  nouvelle  était  un  agneau;  et  sans  doute, 
quand  on  traça  pour  la  première  fois  la  croix  sur  une  tombe , 
on  voulut  rappeler  la  mort  violente  d'un  soldat  de  Jésus- 
Christ. 

'  En  Salerne.  "Voici  la  deuxième  fois  que  Bègues  est 
grièvement  blessé  (voy.  tom.  I'^'',  pag.  266),  et  deux  fois 
les  médecins  de  Salerne  lui  sauvent  la  vie.  L'école  de  Sa- 
lerne, fondée  suivant  toutes  les  apparences  par  les  Arabes , 
était  célèbre  dans  le  monde  chrétien  dès  le  x*  siècle.  Le 
nom  de  mire,  synonyme  de  médecin  ,  vient  du  mot  arabe 
émir  (maître,  seigneur). 


go  LI  ROMANS  DE 

Les  plaies  serchent  en  chief,  en  cors ,  en  pis; 

Li  lins  à  l'autre  le  confiessa  et  dist  : 

«  S'il  a  aide,  liien  en  porra  garir.  » 

Diex!  com  se  paine  la  hèle  Biatrix 

Et  les  pncelles  et  les  femes  gcntis  , 

Li  damoisel  qui  furent  orphenins! 

Premiers  parla  li  mires  Ascelins  ; 

Il  en  apele  le  bon  vilain  Hervin  : 

"  Faites  oster  ces  gens  et  départir, 

'  Si  emmenez  la  belle  Biatrix; 

«  Que  la  grant  noise ,  si  m'ait  Diex,  l'ocit  i. 

«  Jusqu'à  quinzaine,  por  verte  le  vos  di, 

«  Le  vous  rendrai  sain  et  sauf  et  gari.  » 

Hervis  Tentent,  mont  joians  en  devint: 

—  '<  Or  en  pensez ,  >»  dist-ii ,  "  li  miens  amis  , 

'<  Tous  mes  trésors  vous  soit  abandon  mis  j.» 


I  L'ocit,  tue  Begon. 

*  Mes  trésors,  au  singulier.  Abandon.  Ce  mot  a  bien 
occupé  les  étymologistes.  Oiïre-t-il  la  réunion  des  trois 
mois  :  A-han-don,  ou  seulement  des  deux:  A-bandou, 
ou  bien  est-ce  un  mot  simple,  comme  je  pencherais  à 
le  croire?  La  racine  est-elle  barbare  :  bann  ou  band ? 
Est-elle  latine  :  habendum  ? 

Du  Cange  a  cité  ce  vers  du  Garin  dans  son  Glossaire; 
mais,  comme  je  l'ai  fait  jusqu'à  présent  moi-même ,  il  a 
en  tort  d'écrire  à  bandoii  ;  car  lous  les  manuscrits ,  sans 
exception,  s'accordent  à  donner  abandon.^ 


GARIN  LE  LOHERAIN.  91 

—  «  N'en  parlez  mie,  sire,  «  dit  Ascelins, 

'<  Jà  n'en  arai  vaillant  un  parisis, 

'<  Tant  que  il  soit  respassés  et  garis.  » 

Les  plaies  cuevrcnt  maintenant  sans  respit, 

L'emplastre  mistrent,  lor  bandiaiis  ont  assis. 

Une  grant  pièce  ont  fait  le  duc  dormir. 

Puis  demanda  à  mangier  un  petit. 

Li  mires  fut  sages  et  bien  apris, 

Herbes  destrempe  et  un  chaudel  en  fist  i  ; 

Dans  les  plus  anciennes  chartes  latines,  on  rencontre, 
avec  la  même  acception ,  liabandum  ;  et  l'on  peut  en 
conclure  que  si  le  mot  abandon,  habandon  ou  à  ban- 
don,  emporte  l'idée  d'une  mise  en  possession,  «  res 
arbitrio  cujusque  exposila»  (Du  Gange),  son  origine  doit 
être  le  participe  habendnm,  qui  précisément  offre  la  même 
signification. 

Cette  origine  naturelle  ayant  été  bientôt  méconnue, 
au  lieu  de  dire  seulement  :  abandon  soit,  traduction  d'Aa- 
hendum  sii,  on  transforma  le  participe  latin  en  substantif 
vulgaire  et  l'on  crut  mieux  faire  en  disant  :  être  mis 
à  bandon;  puis  :  être  au  bandon  de  quelqu'un;  puis  enfin  : 
abandonner.  Mais  gardons-nous  d'établir  le  moindre  rap- 
port entre  ces  expressions  et  la  racine  tudesque  bann  ou 
band,  laquelle  a  formé  d'autres  mots  entièrement  étran- 
gers au  sens  de  Y/tabendum.  Ces  mots  sont  :  ban,  bannir, 
bandit,  bannière,  etc. 

I  Un  chaudel,  ou  chaudeau,  sorte  de  consommé.  Monet 
le  traduit  heureusement  par:  calidum jusculum.  La  défi- 


92  LI  ROMANS  DE 

Le  col  en  passe  trois,  quatre  fois  ou  six'. 
Dient  li  mire  :  «  Par  tens  sera  garis.  » 

Huimais  devons  à  Ilaimon  revertir 
Qui  ot  le  bras  trestout  brisié  parmi  ; 
Dos  li  Vénères  l'ot  atourné  einsi. 
Cil  qui  garisseut  s'en  sunt  bien  entremis, 
Le  bras  relient,  s'ont  les  emplastres  mis, 
Et  les  estelles  i  ont  moult  bien  assis  ^. 

Aval  Bordelle  fu  la  noise  et  li  cris; 
Lor  fils  regretcnt  et  lor  charnés  amis. 
En  terre  metent  et  frères  et  cousins , 
Thiebaut  maudient  qui  est  dou  Plaisséis  , 
Que  en  la  gtierre  r'avoit  Bordelois  mis  ; 
Il  sevent  bien  de  mal  venra'en  pis. 

Bègues  li  dus  fu  auques  bien  garis. 
Il  a  mandé  sa  gent  par  le  païs; 

nition  de  l'Académie  est  beaucoup  moins  satisfaisante  : 
«  Chaudeau,  sorte  de  broiiet  ou  de  bouillon  chaud,  que 
«l'on  porte  quelquefois  aux  mariés,  le  matin  du  lende- 
«  main  de  leurs  noces.  » 

»  Le  col  en  passe,  etc.  Nous  dirions  aujourd'hui  d'une 
manière  moins  pittoresque  :  //  en  prend  trois  ou  quatre 
gorgées. 

2  Estelles,  écharpes. 


GARIN  LE  LOUERA  IN.  gB 

Tiès  bien  se  ferme  de  murs  et  de  palis, 
Les  estagiers  fait  ou  chastel  venir  '. 

Haimes  li  quens  et  li  dus  Harduins 
Bien  se  porchascent;  Diex  les  puist  maléir  ^  ! 
Snudoiers  mandent  de  si  à  quatre  mil  ^; 
De  longes  terres  i  vienent  lor  amis, 
Li  quens  Guillaumes  de  Blancaflor  i  vint, 
Piniax  de  Oeuvres  et  ses  frères  Landris**, 
Et  de  Boorges  i  revint  Amauris  5. 
Thiebaus  i  vint ,  et  ses  frère  Estorrais  ; 
A  grant  merveille  i  vint  de  Poitevins. 
Je  qu'en  diroie?  quant  sunt  ensemble  mis, 
Mien  escient,  bien  furent  trente  mil. 
Aine  ne  finèrent,  si  vinrent  à  Belin, 
De  toutes  parts  la  viande  lor  vint. 
Qui  dont  véist  le  grant  charroi  courrir, 
Proies  mener  et  vivres  accoillir, 
Mosliers  brisier  et  viandes  saisir, 

'  Les  estagiers,  ceux  des  vassaux  qui  élaient  tenus  de 
résider  durant  un  temps  déterniiDé  dans  le  château  dusu- 
zeraiu,  pour  contribuer  à  sa  défense.  De  là ,  chez  nos  pra- 
ticiens, les  mots  conservés  de  stage  et  d'avocat  stagiaire. 

î  Se  porchascent,  se  préparent. 

3  De  si  à  quatre  mil,  jusques  à  quatre  mille. 

4  De  Genvres,  Gênes.  Variante  :  D'Acense  (msc.  9654). 

5  Amauris.  Variante:  Estormis  (msc.  9654).  Le  vers 
suivant  n'est  pas  dans  cette  leçon. 


94  Ll  ROMANS  DE 

De  grant  dolor  li  poïst  sovenir. 

Bègues  repaire  don  nioiisticr  Saint-Miirtin  , 
Messe  ot  oie  en  non  Saint-Esperit  »  : 
A  tant,  ez-vous  le  Loherenc  Hervin, 
Où  voit  le  duc  si  l'a  à  raison  mis  : 
—  «  Sire,  »  fait-il,  «  que  demorez-vous  ci? 
'(  Cil  de  Bordelle  ont  vostre  proie  pHns; 
«  Véez-les-vous  où  il  ont  le  feu  mis?  » 
Par  le  chastel  ont  tuit  lor  armes  prins  : 
Bègues  s'arma,  un  blanc  haubert  vesti, 
Et  lasce  un  helme  à  un  cercle  bruni; 
S'espée  tint  la  belle  Biatris , 
Ce  fu  Floberge  la  belle  au  pont  d'or  fin  ; 
Li  dus  la  voit ,  par  la  renge  la  tint  ^. 
Li  bons  chevaus  en  la  place  li  vint, 
De  plaine  terre  est  aus  arçons  sallis  , 
Entre  ses  poins  son  roit  espié  forbi , 
Dont  il  avoit  maint  grant  sangler  ocis. 
Rigaus  li  baille  son  fort  escu  voutis' 

Sa  gent  devise  et  renja  et  assist , 

«  En  non.  Variantes  :  Bel  voir. 

2  La  renge,  ceinture  dans  l'auneau  de  laquelle  était 
passée  l'épée.  Ce  nom  vient,  suivant  Biakton  et  Du  Gange, 
de  ce  qu'elle  entourait  les  reins;  niais  il  semhle  plus  natu- 
rel de  le  ramener  au  saxon  hring,  anneau. 

3  Voutis,  arrondi.  Variante  :  Flori. — Son  escu  à  or  fin. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  9$ 

Et  si  lor  dit  :  «  TS'^e  vous  mouvez  de  ci  : 

«  Se  il  m'enchaucenl,  pensez  de  recoillir; 

«  Son  droit  sii^uor  ue  doit-on  point  falir; 

<  Qui  le  feroit,  il  esteroit  plus  vis  '.  » 

Devant  les  autres,  plus  qu'wns  ars  ne  traisist% 

S'en  va  li  dus  d'ire  mautalentis; 

Et  après  lui  de  chevaliers  set  vins; 

Lion  resemble  qui  de  gaut  soit  partis  ^. 

Aus  ardéors  s'en  va  sans  nul  respit; 

Fiert  le  premier,  mort  le  giète  sovin^; 

Trois  en  abat  li  dux  à  son  venir, 

Sore  lor  court  com  fait  lous  à  berbis  ^. 

Par  tropéaus  les  meine  desconfis, 

Aus  grans  batailles  les  fait  sovent  flatir^. 

Ains  que  Haimes  né  ses  frères  venist. 

En  ot  li  dus  abatus  vint  et  sis. 

Adont  commence  et  la  noise  et  li  cris. 

«  ris,  vil. 

*  Uns  ars,  etc.  Nous  avons  déjà  vu  celte  expression, 
tome  \",  page  265. 

3  De  gaut,  de  bois. 

4  Suvin,  à  bas  (siipinus). 

5  Sore  lor  court,  leur  court  sus. 

6  j4us  grans  batailles,  etc.,  souvent  il  fait  reculer  los 
fourriers  jusqu'au  gros  de  leur  bataille. 


96  LI  ROMANS  DE 

XXXIII. 


^ri  dont  véist  le  conte  droiturier 
'^f.j  ffj^Au  branc  d'acier  la  place  chalon^ier", 


'^^ 


tSS.^ 


f^'Bien  li  membrast  de  vaillant  chevalier. 
Hervis  li  prous  et  Doons  li  guerriers 
Maint  bon  vassal  i  firent  trebuchier. 
Cui  chaut  de  ce?  pou  ce  leur  peut  aidier; 
Que  Haïmes  fait  sa  bataille  rentier, 
L'un  après  l'autre  en  conroi  chevauchier. 
Et  Bègues  tourne,  il  et  si  chevalier, 
Les  siens  enmainne,  cui  que  doie  anoier. 
Jusqu'à  la  porte  où  furent  li  archier. 

XXXIV. 

iïgvê^KEVANT  Belin  qui  siet  sor  le  sablon, 
^Ti  rj^ D^  palis  fut  trestout  clos  environ  : 
3^^^^ Mainte  bannière  véoir  i  poïst-on, 
Et  maint  archier  et  maint  serjant  félon. 
Et  Bordelois,  qu'aient  maleïçon! 
L'ont  bien  assis  entour  et  environ  ; 
Mais  li  dus  Bègues,  qui  ait  beneïçon! 
Sen  ist  souvent  il  et  si  compaignon; 
Maint  en  i  laissent  gisant  sor  le  sablon 
Dont  à  plusors  chaïrent  li  pormon.  P 

'  Chalongier,  disputer. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  97 

XXXV. 

«^-^^2^1  Bordelois  ont  Loherenc  assis; 
^^1^ Maint  trcf  i  ot  et  tendu  et  forni; 
l^ilQg:^  De  toutes  pars  la  viande  lor  vint, 
BlaFchié  ont  grant  et  de  pain  et  de  vin. 
Et  li  dus  Bègues,  li  fis  au  duc  Hervi, 
Souvent  lor  saut  au  soir  et  an  matin; 
Nés  au  mangier  ne  pueent-il  séir  ', 
Né  en  lor  lis  n'ousent-il  pas  dormir, 
Ains  les  sorprent  et  les  tue  et  ocit. 
De  grant  folie  s'est  Haimes  entrerais 
Mien  escient,  tel  chose  a  entreprins 
Dont  il  seia  couréciés  et  marris 
Se  Diex  garit  le  roi  de  Saint  Denis, 
Et  son  barnage  et  ses  riches  amins. 

En  son  palais  fu  Bègues  de  Belin  : 
Après  mangier  entra  en  un  jardin, 
Aveuc  lui  fu  la  belle  Biatris  "; 

1  iVéj,  même. 

2  Aveuc  Udfu.  Variante:  Dcjostelui.  Le  mot  aveuc  se 
trouve  écrit  ailleurs  avoec  et  avocques.  Ces  différentes  or- 
thographes indiquent  clairement  la  racine  tant  cherchée, 
à  voce  ou  ad  vocem  alicujus.  Dans  plusieurs  provinces,  on 
prononce  encore  avâ  et  avoc. 

II.  5 


98  LI  R03IANS  DE 

Caraousscs  fu  li  Loherens  gentis  ^ 

Del  bon  haubert  qu'il  ot  sovent  vestis; 

Doon  apelle  et  le  villain  Hervi  : 

—  «  Consilliez-moi,  franc  chevalier  gentil; 

«  On  soloit  dire  qu'estoie  fis  Hervi 

«  Le  Loherenc  qui  les  mons  d'Aussai  tint, 

«  Et  Val  saint  Dye,  là  où  li  argens  git; 

«  On  soloit  dire  que  je  avois  amins , 

«  Mais  mal  i  pert,  que  céans  suis  assis 

«  Pai'  ces  garsons  qui  sunt  povre  et  chetis; 

«  Mi  home  sunt,  moi  dcussent  servir, 

fc  Et  il  me  voudrent,  li  mal  glouton,  murdrir. 

«  Ne  sais  que  faire ,  ne  sais  que  devenir; 

«  Se  n'ai  vengeance,  je  cuit  de  duel  morir. 

«  Oï  l'ai  dire  et  vérités  est-il , 

«  Que  moult  est  fous  qu'eslongne  ses  amins, 

«  Honors  né  biens  ne  l'en  puet  advenir.  » 

—  «  Sire,  »  dist  Dos,  «  que  est-ce  que  tu  dis? 

«  Pas  ne  le  sevent  cil  de  vostre  pais, 

«  Né  vostre  fi'cres  né  li  bourgoins  Aubris; 

u  Or  envoiez,  à  nuit  ou  le  matin, 

«  Au  roi  de  France ,  dont  vous  devez  tenir, 

I  Camoussés  ou  camoisiés,  c'est-à-dire  meurtri,  écrasé. 

cil  au  perchant ,  Guillaumes  li  genlis  , 
N'a  point  de  barbe  encore,  ce  m'est  vis; 
Mais  un  pel  porté  qui  est  lonc  el  traitis. 
Nos  Sarrasins  en  a  camoisiés  si.  .  . . 

(Chanson  ses  Enfances  Guillaume.  ) 


GARIN  LE  LOHERAIN.  99 

n  Vengne  li  rois  son  aleu  maintenir  ; 
«  Se  il  vous  faut ,  or  mandez  vos  amis, 
«  Gerart  dou  Liège  ou  l'Allcniant  Ouri.  » 
Respont  dus  Bègues  :  «.  Certes  bien  avez  dit , 
«  Mais  du  message  sui-je  moult  esbahis.  » 

—  «  J'en  sais  un  bon ,  siie,  »  ce  dit  Hervis, 
«  Qui  bien  connoit  la  terre  et  le  païs.  » 

Et  dist  li  dus  :  «  Ci  le  faites  venir.  « 

Il  s'en  torna  maintenant,  sans  respit; 
En  la  taverne  tôt  maintenant  s'en  vint. 
Iluec  trouva  Mcnuel  Galopin  * 
Lez  le  tonncl ,  en  sa  main  trois  dés  tint 
Et  trois  putains,  tels  estoient  ses  delis  '  ; 
Quatre/ribaus  ont  les  mustiaiis  rostis  ^. 
Hervis  le  voit,  si  l'a  à  raison  rais  : 

—  «  ï,h  Diex  te  saut  !  Menuel  Galopin  !  » 
Et  il  respont  :  «  Diex  bénéie  ti! 

a  Venez  seoir  et  si  getez  au  vin  ^.  » 

Et  dit  Hervis  :  «  Onques  por  ce  ni  vins; 

'(  Bègues  vous  mande,  vostre  germains  cousins, 

»  Menuel.  Yariante  :  Menidet,  —  Moinial,  —  Manuel. 
Tous  les  détails  suivants  de  la  vie  de  Galopin  ne  se  trou- 
vent pas  dans  le  nisc.  de  Navarre. 

I  Putains.  Variante  :  ilesch'mes. 

3  Les  miLsliaus  (voy.  toni  II,  pag.  20.) 

4  Getez  au  vin,  jetez  les  des  pour  jouer  le  vin. 

5. 


8'enCTHECA 


ïoo  LI  ROMANS  DE 

«  Vos  parcns  est,  ne  H  devez  faillir.  » 
Dist  Menues  :  «  Onqiies  ne  m'apartint, 
«  Je  n'ai  mestier  de  si  riche  voisin  ; 
«  Mieus  aims  taverne  et  le  soûlas  dou  vin , 
«  Ces  deniisieles  que  vous  véez  par  ci, 
"  Que  je  ne  fais  duchés  à  maintenir.  » 

—  «.  Voir,  »  dit  Hervis,  «  paine  i  a  au  tenir  '  ! 
«  Mais  se  vous  pi  ait,  venez  parler  à  li; 

«  Il  vous  demande  en  son  palais  marbrin.  » 
«  Dist  Menues  :  «  Faites  pais  de  cest  vins  % 
«  Que  autrement,  je  ne  m'en  puis  partir.  » 

—  (c  Vollentiers  voir,  «  ce  dist  li  cuens  Hervis. 
Le  tavernier  appelle,  si  li  dist  : 

—  «  Je  vous  rendrai  deus  sous  de  Poitevins  3.  » 
L'ostes  respont  :  «  Tout  à  vostre  plaisir  !  » 

Par  la  main  destre  le  prist  li  cuens  Hervis , 
Sus  au  pallais  le  mena  avoec  li. 
Li  dus  le  voit,  si  l'a  à  raison  mis; 

1  Paine  i  a  au  tenir,  c'est-à-dire,  on  ne  tient  pas  les 
duchés  sans  peine. 

2  Pais,  payement. 

3  Deux  sous  de  Poitevins ,  c'est-à-dire ,  la  valeur  de 
deux  sous,  en  mailles  poitevines.  Ces  mailles  poitevines, 
appelées  quelquefois  pictavenses  masculi,  étaient  extrême- 
ment petites.  Variantes  :  Quatre  sous  d'Angevins. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  loi 

Il  li  demande  :  «  Dont  es-tu,  biaus  amins?  » 

—  «  De  Clermont,  sire  ,  si  ai  nom  Galopin, 
n  Si  est  mes  frères  li  prous  quens  Jocelinsy 
«  D'un  père  fumes  amdui  engénui, 

«  Et  d'une  mère  et  porté  et  norri  : 

«  Je  suis  ainsnés;  mais  il  me  va  ensi 

«  Com  vous  povez  et  véoir  et  oïr.  « 

Et  dit  dus  Bègues  :  «  Certes,  ce  poise  mi, 

«  Or  reconnois  que  tu  es  mes  cousins , 

«  Et  la  folie  que  tu  as  se  guerpis  ', 

«  Je  te  ferai  chevalier,  le  matin , 

«  Trestoute  Auvergne  vous  partirai  par  mi  ^.  » 

Quant  il  l'entent,  si  en  a  fait  un  ris  3, 

Puis  li  a  dit  :  «  Por  noient  l'avez  dit. 

«  Mieus  aims  taverne  et  de  putains  les  dis, 

«  Que  ne  feroie  une  conté  tenir. 

«  Mais  commandez  et  dites  vo  plaisir, 

«  Ou  je  m'en  vois  arrières  au  froit  vin.  » 

—  «  Non  ferez ,  frères ,  »  li  dus  Bègues  a  dit. 

'  Séguerpis,  si  tu  te  détournes  de  la  vie  insensée  que  tu 
mènes. 

2  Partirai,  entre  ton  frère  et  toi. — Par  mi,  par  moitié. 

î  Ce  vers  manque  dans  la  plupart  des  manuscrits,  et  le 
suivant  commence  : 

Dist  Tranchebise.  . . . 


102  LI  ROMANS  DE 

«  Ne  véez-vous  com  je  suis  cntreprins? 
«  Mi  homme  lige  m'ont  ra  dedans  assis.  » 
Dit  Menues  :  «  Traïtor  sunt  tous  dis, 
«  Onques  n'amcrent  homme  de  nostre  lin  ; 
«  De  dame-Dieu  soient-il  tout  honni!  » 
Respont  li  dus  :  «  Certes,  bien  avez  dit. 
'<  Or,  m'en  alez   en  Frailce]  au  roi  Pépin, 
«  Et  à  ma  dame,  la  franche  empércris  ; 
«  Si,  lor  contez  com  je  suis  entreprins. 
«  Vengne  li  rois  acquiter  son  païs , 
«  Ou,  se  ce  non,  il  en  sera  honis. 
«  Dites  mon  frère,  le  Loherenc  Garin, 
«  Que  me  secoure,  la  soie  grant  merci  ; 
«  Aus  nions  d'Aussai  m'en  irez  à  Thieri , , 
'<  Il  est  mes  oncles,  si  ne  me  doit  faillir; 
«  Gerart  dou  Liège  ne  metez  en  obli, 
«  Lui  et  Garnier,  Huon  de  Cambrési 
«  Et  revenez  par  l'allemant  Ouri  : 
«  N'obliez  mie  le  borgoing  Auberi. 
«  Par  Orlenois  m'en  irez,  biaus  amins , 
K  Ma  seror  dites  qu'elle  m'envoit  son  fis 
«  Et  son  nevou,  dant  Jofroi  l'Angevin , 
«  Huon  del  Mans  et  Garnier  de  Paris.  » 
Dist  Menues  :  «  Ne  vous  doi  pas  faillir  ; 
«  Jou  irai  là,  tout  à  vostre  plaisir.  » 
Et  dist  li  dus  :  «  De  Dieu  vous  en  mercis.  » 


GARIN  LE  LOHERAIN.  io3 

Son  capelain  à  appeler  en  prist  ', 
Fait  faire  lettres  et  cartes  et  escris  », 
Aine  ne  fina  de  si  à  l'ensérir. 
De  lettres  porte  li  gars  plain  un  barril  ^; 
Par  la  corgie  à  son  col  le  pendit  *. 


•  Son  capelain.  A  l'époque  de  la  composition  du  Garin, 
et  sans  doule  long-temps  après,  toutes  les  missives  étaient 
écrites  pai*  des  clercs,  attendu  qu'elles  étaient  rédigées  en 
latin.  On  voit  souvent,  dans  notre  puëme,  les  barons  dic- 
ter en  roman  des  lettres  à  leurs  chapelains,  qui  les  trans- 
crivent en  lalin.  On  ne  peut  d'ailleurs  trop  répéter  que 
dans  les  temps  chevaleresques  l'art  d'écrire  était  un  métier 
incompatible  avec  celui  des  armes.  Un  guerrier  pouvait 
être  fort  lettré  et  ue  pas  savoir  tracer  les  lettres  de  son 
nom.  En  effet,  le  maniement  de  la  lance  et  de  l'épieu  était 
un  obstacle  à  celui  de  la  plume ,  et  les  missives  écrites  par 
des  mains  accoutumées  au  gantelet  auraient  été  nécessaire- 
ment illisibles. 

2  Cartes,  chartes. 

^  Barril,  aujourd'hui  barillet.  Ce  mot,  conservé  en  gal- 
lois dans  le  même  sens  (voyez  Johnson's  Diclionnary),paraît 
avoir  la  même  racine  que  le  to  bear,  auj.  to  bare  anglais, 
(porter).  Voyez  aussi  la  note  i  de  la  page  178,  tome  I^^ 

4  Corgie.  En  Champagne,  on  nomme  encore  courgie, 
une  gaule  faite  de  plusieurs  branches  d'osier  tressées. 
Nicot,  qui  connaissait  le  mot  courge  (  bâton  flexible  à  por- 
ter les  seaux  à  la  rivière),  «  se  doute  qu'on  a  voulu  dire 
une  courbe;  »  pour  moi,  je  pense  que  ce  mot  vient  de 


io4  LI  ROMANS  DE 

—  '<  Frères,  »  dit  Bègues,  «je  dont  forment  l'issir 
«  Que  des  traïstres  ne  soiez  entrcorins. 
«  Je  nel  vouroie  por  niillc  mars  d'or  fin,  » 
Dist  Menuiés  :  «  Por  néant  l'avez  dit; 
«  Car  s'il  l'avoient  et  juré  et  plévi, 
«  S'en  isteroie  maulgré  en  aient-il.  » 

Il  dit  un  charme  que  il  avoit  aprins  ' ,. 
Trois  fois  siffla ,  dou  chastel  est  partis, 
En  l'est  s'en  vint  où  li  barnages  git; 
Vit  les  chevaus  et  torcher  et  covrir, 
Haubers  rolcr  et  hiaumes  esclarir; 
De  toutes  pars  la  viande  venir. 
Onques  par  homme  ne  li  fu  conti'edis. 

Vespres  estoit  quant  de  l'ost  départit; 
Plus  tost  s'en  va ,  quant  il  fu  au  chemin , 
Que  ne  fait  lièvres  quant  li  chiens  le  choisi. 

courge,  sorte  de  plante  rampante,  d'abord  employée  pour 
tresser  les  mêmes  baguettes. 

I  Un  charme.  Variante  :  Uncherme, —  Un  carme.  Déjà, 
dans  l'antiquité,  le  mot  carmen  se  prenait  fréquemment 
dans  un  sens  magique.  Apulée  et,  d'après  lui,  Corn.  Agrippa 
attribuaient  même  à  certains  vers  le  pouvoir  de  bouleverser 
la  nature  entière.  (  Yojez  le  dernier,  De  occult.  Philos., 
cap.  69,70,  71,  72  et  73.) 


GARIN  LE  LOHERAIN.  i 

Vint  à  Gironde,  en  un  batel  se  mist, 
Il  la  trépasse,  la  nuit  à  Blaives  vint, 
Au  matinet  est  par  Grantniont  guenchis  '  ; 
Aine  ne  fina  jusqu'à  Isoudun  vint  », 
La  nuit  i  jut,  au  matin  s'en  parti, 
Vint  à  Orliens,  ains  que  past  li  midis. 

La  nuit  hauberge  chicz  la  belle  Héloïs  ; 
Elle  le  vit ,  si  l'a  à  raison  mis, 
Puis  lui  demande  :  «.  Com  as-tu  nom,  amins  ?  » 
Bien  reconnut  à  la  chiere  et  au  vis 
Qu'il  apartint  le  conte  Josselin. 

—  «  En  non  Dieu,  dame,  Menucl  Galopin.  » 

—  «  Diex  !  >)  dist  la  dame,  «  jà  es-tu  mes  cousins. 
«  Por  Dieu,  biaus  niés,  dont  venez- vous  ici?  » 

—  «  En  non  Dieu ,  dame,  don  chastel  de  Bélin.  » 

—  «  Que  fait  mes  frères  et  ma  suers  Biatris  ?  » 

—  «En  non  Dieu,  dame,  il  sunt  moult  entrepris; 
«  Cil  de  Bordelle  ont  moult  vers  lui  mesprins. 

n  L'aulrier  le  vourent  detrenchier  et  murdrir 
«  Et  sa  moillier  par  outrage  tolir; 


t  Grantmont,  à  cinq  lieues  au-delà  de  Limoges,  dans 
la  direclion  d'Issoudun  et  Orléans.  (Voy.  tom.l"^,  p.  i88, 
note  6.  ) 

>  Issoudun,  À  cinq  lieues  de  Bourges. 

5.. 


; 


io6  LI  ROMANS  DE 

«  Por  un  petit  que  il  ne  fiist  ocis  : 

«  Mais  Diex  de  gloire  ne  le  vout  pas  sofrir. 

«  Or  est  assis  au  chastel  de  Belin.  » 

La  dame  l'ot ,  tout  li  sang  li  frémist , 

Tenrement  plore ,  ne  s'en  pot  astenir  ; 

—  «  Hé  !  Diex  !  »  dist-elle,  «  sauvez-moi  mon  amin!  » 

—  «  Dame,  »  dist-il,  «  où  trouverai  Pépin?  » 

—  «  Et ,  »  dist  la  dame,  «  le  matin  sera  ci  ^ 
«  Et  la  roïne  au  gent  cors  seignori.  » 

En  la  taverne  est  aies  Galopins; 
La  nuit  sejorne  de  ci  à  le  matin. 
Parmi  la  ville  le  fait  querre  Heloïs 
Et  devant  lui  le  fait  amont  venir. 
Puis  dit  la  dame  :  "  Dont  venez-vos,  amins  ?  » 

—  «  De  la  taverne,  dame,  »  dist  Galopins. 

—  «  Diex  !  »  dist  la  dame,  «  merveille  puis  oïr  ! 
«  Je  ai  céans  trois  cens  tonniaus  de  vin, 

«  Dont  eussiez  tout  à  vostre  plaisir.  » 
Dist  Menues  :  «  Par  le  cors  saint  Denis! 
«  La  compangnie  aime  moult  lez  le  vin.  » 
La  dame  l'ot,  bonnement  en  a  ri. 

A  ces  parolles  ez-vous  venu  Pépin; 
A  Sainte-Croix  el  mostier  descendi  ' , 

»  A  Sainte-Croix.  C'est  le  nom  de  la  cathédrale  d'Or- 


GARIN  LE  LOHERAIN. 

La  messe  chante  li  capelains  Henris  '; 
Dame-Dieu  prie  que  li  fasse  merci. 
Puis  remontèrent,  el  palais  sunt  guenchi  2; 
Et  Heloïs  ne  se  mit  en  obli , 
Parmi  le  poing  a  saisi  Galopin  : 

—  «  Amins!  »  dist-elle,  «  venez-en  à  Pépin, 
«  Et  si  verrez  la  franche  empererls.  » 

—  «  Dame,  »  dist-il ,  «  tout  à  vostre  plaisir  !  » 

Jusqu'au  palais  ne  prinrent  auques  fin, 
Iluec  trouva  l'emperéor  Pépin  : 

—  «  Cil  vous  saut,  sire,  qui  en  la  crois  fu  mis, 
«  Et  la  roïne  qui  si  a  cler  le  vis! 

n  Drois  emperères,  Bègues  m'envoie  ci; 
«  Secourez-le ,  por  Dieu  qui  ne  menti. 

léans,  depuis  la  fin  du  iv*"  siècle,  époque  de  sa  première 
érection  sur  les  ruines  de  Saint- Etienne.  Saint  Euverte 
l'avait  construite  et  saint  Agnan  embellie.  Les  Normands 
la  brûlèrent  en  865,  et  sous  le  règne  du  roi  Robert,  en  999. 
elle  fut  de  nouveau  réduite  en  cendres.  Un  nouveau  bâti- 
ment  plus  somptueux  fut  alors  construit  à  l'aide  d'un  trésor 
que  saint  Euverte  avait  jadis  caché  dans  les  anciens  fon- 
dements et  que  découvrit  l'évèque  Arnoul.  Il  subsista 
jusqu'à  la  fin  du  xm*'  siècle. 

'  Li  capelains  Henris,  l'aumônier  du  roi. 

î  El  palais.  Ce  palais  était  le  Clidtelet  dont  le  portail, 
bàli  dans  le  x"  siècle,  fut  abattu  en  1732. —  Remontèrent, 
sous-enleudu  :  sur  leurs  palefrois. 


io8  LI  ROMANS  DE 

«  Si  homme  l'ont  durement  assulli 

«  Sans  défiance,  que  riens  ne  lor  forfit; 

«  Dedans  les  Landes  à  pou  ne  fut  ocis; 

«  Navrés  i  fu  ,  mais  or  est  bien  garis. 

«  Et  si  li  vourent  vostre  nièce  tollir, 

«  C'est  Biatris,  ains  plus  belle  ne  vi. 

«  Or  l'ont  assis  au  chaste!  de  Belin, 

«  Si  ont  la  terre  trestout  en  charbon  mis, 

'c  II  i  pert  bien  que  il  est  sans  amis. 

«  Vez-ci  les  lettres  que  t'envoie  par  mi.  » 

Li  rois  les  baille  son  chapelain  Henri; 
Nés  fu  de  Mez ,  s'a  les  lettres  saisi. 
Moult  fu  dolans  quant  la  merveille  vit, 
Le  roi  le  conte  et  la  roïne  ausi. 
Li  empereres  en  fut  moult  esbahis  , 
Et  la  roïne  moult  fièrement  li  dist  : 
—  «  Sire,  «  fait-elle,  «  ne  le  devez  sofrir; 
«  C'est  grans  outrages  qu'il  font,  ce  m'est  avis. 
'<  Par  mainte  fois  t'ont  durement  laidi, 
«  Ne  fust  de  Mez  dus  Bègues  et  Garins 
«  De  douce  France  vous  eussent  fors  mis. 
«  Rois,  quar  chevauche  et  mande  tes  amins, 
«  Ains  que  li  dus  soit  retenus  et  prins. 
«  Se  tu  le  pers,  France  en  sera  plus  vis.  » 

A  ces  parolles,  vint  Bernars  de  Naisil , 


GA.RIN  LE  LOHERAIN.  log 

En  sa  compaigne  chevaliers  quatre  vint; 

Encontre  dresse  l'enipcrères  Pépins: 

—  «  Sire  Bernars,  bien  puissiez-vous  venir! 

«  Moult  grant  merveille  povez  ici  oïr. 

«  Vostre  lignage  m'a  forment  entreprins; 

«  Hainies  li  cuens  qui  a  Begon  assis 

«  L'autrier  es  landes  voult  le  baron  raurdrir 

«  Et  ma  niepce  li  vourent-il  tollir , 

«  Dont  jou  à  Blaivcs  le  mai'iage  fis.  '> 

Et  dist  Bernars  :  «  Biaus  sire,  qui  le  dist? 

«  De  Bordelois  veng-je,  dès  samedi; 

«  Avec  Guillaume  de  Blancafort  la  oit* 

«  Laissai  Begon,  de  verte  le  vos  dis, 

«  Feste  en  faisaient  durement  nostre  ami  , 

«  Né  de  ta  nièce  oncques  parler  n'oï; 

«  Se  fait  l'eussent  ne  fuisse  pas  ici. 

«  Ne  devez  croire  un  vilain  esbahi , 

«  Bien  le  sachiez,  qui  le  dist  a  menti.  » 

Ce  dist  Pépins  :  «  Les  lettres  vindrent  ci , 

«  Par  le  message  que  voyez  devant  mi.  » 

Bernars  l'oï ,  s'a  Galopin  saisi , 

Jà  l'éust  mort  devant  le  l'oi  Pépin  , 

Quant  la  roïne  de  ses  mains  li  tolli  : 

i  Blancafort.  Aujourd'hui  Blanquefort ,  bourg  de  trois 
cents  feux  environ ,  à  une  lieue  de  la  Garonne,  du  côté  de 
Bordeaux.  C'était  un  des  principaux  fiefs  de  la  famille 
Froniont. 


110  LI  ROMANS  DE 

—  «  Sire  Bernars,  trop  par  estes  hardis, 
«  Mal  dallés  ait  qui  ensi  vous  aprint! 

n  Quant  devant  moi  bâtez  si  mes  amins. 
«  Ensi  féistes  à  la  cort ,  à  Paris, 
a  Par  vostre  orgueil  fut  Isorés  ocis  ; 
«  De  l'abaïe  mauvais  moines  issis  * , 
«  Tu  ne  dois  mie  or  à  bien  revertir.  » 

—  «  Tais ,  folle  garce,  »  dist  Bernars  de  Naisil , 
«  Fols  fu  li  rois  quant  de  vous  s'entrerait. 

«  Mal  dallés  ait  qui  mariage  en  fist! 

«  Ne  l'en  puet  bien  né  honors  avenir.  » 

Dit  la  roïne  :  «  Vos  i  avez  menti  ! 

«  Lerres,  parjures,  brisières  de  chemins, 

«  Ne  déussiez  en  haute  cort  venir, 

«  Ne  l'empereres  ne  vous  déust  soffrir.  » 

Eus  en  sa  chambre  toute  plorant  en  vint  2 

Avoec  li  maine  Menuel  Galopin. 

Or  vous  dirai  de  la  belle  Héloïs  ; 
Parmi  la  ville  a  fait  crier  son  cri , 
Que  n'i  remaigne  qui  armes  pust  sofrir, 

'  De  l'abaïe,  etc.  C'était  là  peut-être  un  proverbe;  mais 
je  crois  plutôt  que  la  reine  fait  allusion  à  quelque  circou- 
s(ance  de  la  vie  de  Bernard,  anlérieure  à  l'action  de  notre 
poëme.  Nous  avons  déjà  vu  une  de  ces  allusions  dans  le 
premier  volume,  paye  233. 

2  Eus.  Je  crois  que  c'est  ici  la  traduction  du  latin  usque. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  m 

Ne  uns  né  aulres,  li  tyrans  né  li  petis. 
Nis  les  bouchicrs  i  fait-elle  venir  ', 
Qui  portent  haclies  aus  aciers  poitevins. 
Trestuit  en  vont  vers  le  palais  Pépin  : 
Bernars  ne  sait  à  quel  gcnt  il  s'est  prins, 
S'il  n'a  aide,  il  lui  convient  morir. 

A  tant  ez-vous  le  Loherenc  Garin  , 
En  sa  compaigne  de  chevaliers  set  vint; 
Ains  que  li  dus  ses  espérons  traisist 
Li  vint  encontre  l'emperères  Pépins. 
Souef  l'accole  et  en  riant  li  dist  : 
«  Sire  Garins,  bien  pussiez-vous  venir!  « 
Et  dist  li  dus  :  «  La  vostre  grant  merci!  » 
Puis  s'en  tourna  vers  Bernart  de  Naisil  ; 
Bernars  le  voit,  onques  mot  ne  li  dist. 
Ains  se  maintint  com  li  batus  mastins  '. 

Et  la  nouvelle  vint  à  l'empéreris , 
Sa  chanbéricre  maintenant  li  a  dit  : 
—  «  En  non-Dieu  ,  dame,  au  palais  est  Garins.  v 
Toute  dolante  hors  de  la  chambre  issit; 

"  Nis,  même. 

Jins,  etc.  Variante  du  msc.  de  Navarre 

Aios  se  contient  comme  li  chiens  mastins. 


iiî  LI  ROMANS  DE 

Desafublée,  cliaucie  d'escapins  ', 
Par  ses  espaulcs  li  raioient  si  crin  ^, 
Un  chappelet  ot  sor  son  chief  assis  3; 
Elle  ot  ploré,  s'ot  marmiteus  le  vis'*; 

»  Desafublée,  la  lète  découverte.  Comme  dans  le  tome  1*"' , 

page  297.  —  Cliaucie  d'escapins.  Variante  : 

A  eschapins  en  vint. 

Cbuchie  en  escapins. 

Estoit  en  un  sainis. 

Et  cbaucie  en  chapins. 

Le  chapin,  escapin  ou  eschapin,  aujourd'hui  escarpin, 
était,  au  temps  de  notre  poëme,  une  espèce  de  chaussure 
de  chambre,  ou  pantoufle  : 

Lors  s'agenoille  devant  le  roi  Pépin , 

Si  li  embrasse  la  chausse  et  Veschapin. 

(Auberis  li  borgoins.) 

2  Par  ses  espaulcs,  etc.  La  plupart  des  leçons  donnent  : 

Sor  ses  épaules  li  gîsoient  si  crin. 
Mais  celle  que  j'ai  suivie  me  paraît  bien  autrement  pittores- 
que, et  par  conséquent  plus  fidèle. 

3  Un  chappelet.  Sorte  de  couronne  faite  avec  des  grains 
ou  des  fleurs,  d'où  nous  avons  gardé  ce  mot ,  comme  syno- 
nyme de  l'espagnol  rosario.  Il  existe  un  ancien  opuscule 
poétique  manuscrit,  sous  le  titre  du  Chapelet  des  sept 
fleurs. 

4  S'ot  marmiteus  le  vis.  Variantes  : 

Si  ot  trouble  le  vis. 
S'ot  inascuré  son  vis. 

Nicot  explique  fort  bien  le  mot  marmiteus  :  «  qui  fait  pi- 


GARIN  LE  LOHERAIN.  ii!* 

Encontre  va  li  Loherens  Garins, 
Mais  la  roïnc  onques  mot  ne  li  disf. 
Li  dus  l'csgarde  devant,  enini  le  vis, 
Les  cleres  larmes  li  voit  des  ieiis  issir  : 

—  «  Dame ,  »  dist-il ,  «  por  Dieu  ne  soit  menti , 
«  Qui  vous  a  fait  courécier  et  marrir? 

n  Soz  ciel  n'a  homme  fors  seul  le  roi  Pépin, 

«  S'il  vous  avoit  seulement  desmenti, 

«  Que  jà  nul  jour  fust  jamais  mon  amin.  » 

—  X  Sire,  »  dist-elle,  «  dans  Bernars  de  Naisil 
«  M'a  laidengie ,  devant  le  roi  Pépin  ^  ; 

«  Li  viex  traîtres,  parjures,  foi-mentis.  » 
Oit  le  li  dus,  une  table  a  saisi. 
Vint  à  Bernart,  s'en  iîert  enmi  le  vis. 
Quatre  des  dens  li  a  brisié  parmi  ; 
Prinst  le  aus  temples  ,  si  l'a  à  ses  pies  mis. 
Et  li  borjois  se  sunt  el  palais  mis, 
Jà  l'océissent,  mais  li  rois  lor  toli. 
Dist  Heloïs  :  «  Mar  estordera  vis  ^.  » 

teuse  mine.  »  Mais  il  a  fort  d'ajouter  :  «  Usez  plutôt  des 
formules  àepéneiix.  »  Car  marmiteiis  valait  bien  mieux. 

'  Onques.  Ici  et  dans  tous  les  autres  passages,  plusieurs 
leçons  écrivent  atiqucs.  N'aurait-il  pas  plutôt  le  sens  de 
l'adjectif  aucun  que  de  l'adverbe  jamais,  lequel  serait  ici 
un  remplissage? 

2  Laidengie,  offensée ,  outragée.  De  laedere. 

3  Estordera,  sortira.  De  extra  oriri,  et  non  à! extorquerez 
comme  le  pense  Roquefort. 


114  LI  ROMANS  DE 

Dist  li  rois  :  «  Dame ,  por  Dieu  ne  me  bonnir  '.  » 

En  la  cappelle  li  quens  Bernars  se  mist  % 
De  l'autre  part  l'en  fist  li  rois  issir. 
Là  fors  aus  chans  en  la  champaignc  vint  "  ; 
Langenerie  passa  à  l'anuitir  ^ , 
Toute  nuit  a  chevauchic  au  serin  , 
Que  il  ne  fust  adescs  ne  ma! mis. 
Ainsi  va  d'homme  qui  mauves  plaist  bastit. 
Dedans  la  Biausse  n'osa-il  pas  dormir, 
Tant  fort  douta  le  Lohérenc  Gariu. 
Vint  à  Estampes  quant  il  fu  esclari , 
Ne  finera  li  dolans  esbahis 
Jusques  à  Lens  le  chastel  seignori  ^. 

Hui  mes  dirons  dou  Lohérenc  Garin. 
Moult  fu  dolans  quant  la  novele  oï 

ï  Ne  me  honnir.  Tournure  elliptique  latine.  Ne  veuillez 
pas  me  honnir. 

2  En  la  cappelle.  AUenante  au  palais  d'Orléans  et  qui , 
sans  doute,  avait  droit  d'asile. 

3  Champaigne.  Synonyme  de  campagne. 

4  Langenerie.  Variante  :  Languenerie,  aujourd'hui  Lan- 
genière,  hameau  à  peu  de  distance  d'Orléans ,  dans  la  di- 
rection de  l'Ile-de-France. 

5  Lens.  Demeure  ordinaire  de  Fromont;  c'est  pour 
cela  peut-être  que  le  poète  l'appelle  le  chastel  seignori. 
(Voy.  la  note  du  tome  I^"^,  page  182.) 


GARIN  LE  LOHERAm.  ii5 

Que  assis  ert  dans  Bcgucs  de  Bclin. 
Par  toute  terre  fait  semoudre  Pépins  : 
De  saint  Vincent  qui  de  sor  la  mer  sist  ', 
Et  dus  qu'à  mont  saint  Michiel ,  ce  m'est  vis , 
Jusqu'à  Garmaisse  qui  est  de  sor  le  Rhin, 
Wi  remainst  bonis  qui  en  l'ost  ne  venist. 
Dedans  la  court  l'empéreor  Pépin  , 
N'i  ot  garson  né  Chamberlain  gentil, 
Queu  de  cuisine  né  eschanson  de  vin 
Qui  ne  port  lettres  et  saélés  escris  ^. 
Garins  manda  et  seniont  ses  amins  ; 
Je  qu'en  diroie  ?  tout  li  mondes  i  vint, 
Et  li  charrois  qui  moult  grant  place  tint, 
Marchéandise  et  de  pain  et  de  vin 
Or  et  argent ,  et  le  vair  et  le  gris. 
Li  changéor  i  vienent  de  Paris  ^. 

Li  charrois  passe  Loire  endroit  miedi; 

1  De  saint  Vincent.  Nous  avons  déjà  vu  ce  lieu  cité  dans 
la  première  chanson,  page  84 ,  et  nous  n'avons  pu  en  indi- 
quer la  position.  Quanta  Garmaisse,  c'est  Germesheim 
sur  le  Rhin,  comme  je  l'ai  dit  plus  haut. 

2  Saélés.  Des  écrits  scellés. 

3  Li  changéor.  Les  changeurs  étaient  très-nécessaires  au 
milieu  de  tous  ces  marchands  venus  de  différentes  provin- 
ces et  qui  tous  voulaient  être  payés  en  monnaie  courante 
chez  eux. 


ii6  LI  ROMANS  DE 

Li  os  s'arroute  et  se  mit  en  Berri, 

Jusqu'à  Croissant  ne  priment  onques  fin  ', 

Iluec  hauberge  li  os  devant  midi, 

Laissent  Caors  de  vers  destre  un  petit  '; 

Tôt  droit  vers  Blaives  est  nostre  gent  verti. 

Trois  jors  sejornent  à  Blaives,  la  fort  eit, 

Les  nés  porchassent  et  les  challans  coisis  \ 

Premiers  passa  li  Lohérens  Garins, 

Girars  dou  Liège  et  l'Allemans  Ouris; 

Et  la  nouvelle  en  l'ost  Haimon  en  vint; 

On  li  escrie  :  «  Quens,  que  faites-vous  ci? 

«  Franceis  chevauchent,  Normant  et  Angevin, 

«  Se  il  te  treuvent,  malement  es  baillis.  « 

Quant  cil  l'oï,  tout  en  fu  esbahis; 

Dedans  son  tref  fait  ses  amins  venir, 

II  lor  conta  que  Franceis  vienent  ci. 

—  «  Il  n'i  a  plus,  »  li  quens  Guillaumes  dist4, 

«  Alons-nos-en ,  li  conseil  en  est  prins, 

1  Croissant.  "Variantes  :  Crosane,  la  Crosane.  C'est  Cro- 
saut,  ou  Crousant,  paroisse  du  diocèse  de  Limoges,  située 
sur  la  Creuse ,  à  huit  lieues  de  Gueret  et  sur  les  frontières 
du  Berry  et  de  la  Marche. 

2  Caors.  Variante  ;  Chaours,  c'est  Cahors, 

3  Les  challans  corsis.  De  course.  Les  bateaux  nommés 
souvent  corserii,  dans  les  chartes.  Voyez  Du  Gange, 

4  //  ni  a  plus,  il  faut  cesser  nos  attaques. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  117 

«  Dedans  Bordelle  nostre  cité  de  pris; 
«  S'il  ains  de  nous  i  poiivoient  venir  *, 
«  Mien  escient,  li  chastiaus  seroit  pris.  » 

Il  font  trousser  palefrois  et  roncins 
Sor  le  charroi  ont  lor  armures  mis  ", 
A  Bordiaux  vinrent  quant  il  dut  anvxitir; 
L'arriére  garde  li  quens  Guillaumes  fîst 
En  sa  compagne  deus  cens  et  quatre  vint. 

Et  l'aloette  chante  quant  li  jors  vint  : 
La  gaite  corne  del  chastel  de  Bélin  , 
En  l'ost  regarde,  mais  auques  riens  ne  vit, 
Vint  en  la  chanbre  où  li  dus  Bègues  gist, 
Entre  ses  bras  la  belle  Biatrix; 
L'oreiller  crolle  et  cil  est  estormis  ^. 

I  S'il  ains  de  nous,  etc. ,  si  les  gens  du  roi  étaient  avant 
nous  à  Bordeaux. 

ï  Sor  le  charroi,  etc.  Variante  : 

Sor  les  charrestes  ont  les  pavaillons  mis. 
(Msc.  7533.2-2.) 
Quant  aux  armures,  il  ne  faut  pas  oublier  que  nos  guer- 
riers les  revêlaient  seulement  à  l'iuslaut  de  combattre. 
Cette  toilette  exigeait  un  certain  temps,  et  voilà  pourquoi 
les  surprises  et  les  embuscades  étaient  si  communes  et  si 
difficiles  à  prévenir. 

3  Estormis.  Variantes  :  Effréis,  —  Espéris. 


ii8  LI  ROMANS  DE 

Bègues  li  dist  :  «  Que  vues-tu,  biaus  amins? 

«  Sais-tu  novelles ,  as-tu  noient  aprins?  » 

Et  cil  respont  :  «  Si  maït  Diex,  oïl  : 

'<  Haimes  s'en  fuit,  s'a  le  siège  guerpi.  » 

Ce  dit  li  dus  :  «  Novelles  ont  oï  ' 

«  De  lor  espies  qu'ont  au  passage  mis. 

'<  Sonnez  un  cors  por  mes  gens  esbaudir.  » 

Lors  véissiez  le  chastel  estormir, 
Et  les  borjois  aus  deffenses  venir; 
Tant  chevaliers  armer  et  fervestir, 
Car  il  cuidoient  qu'on  déust  assallir. 
Bègues  s'atorne,  hastivement  le  fist; 
Lasce  unes  chances ,  nuns  plus  belles  ne  vit  ; 
Sor  les  talons  li  ont  espérons  mis , 
Vest  un  haubert,  lasce  un  elme  bruni  ; 
Et  Biatrix  li  ceint  le  branc  forbi, 
Ce  fu  Floberge,  la  belle  au  pont  d'or  fin. 
'(  Sire,  «  fait-elle,  «  Diex  qu'en  la  crois  fu  mis, 
«  Vous  défende  liui  de  mort  et  de  péril!  » 
Et  dit  li  dus  :  «  Dame ,  bien  avez  dit  !  » 
Il  la  regarde,  moût  grant  pitié  l'en  prinst"; 

1  Novelles  ont,  etc.,  les  espions  qu'ils  avaient  mis  sur  la 
route  leur  ont  donné  l'alarme. 

2  11  la  regarde.  Ce  vers  et  les  quatre  suivants  ne  se  trou- 
vent que  dans  le  msc.  de  Colbert,  n°  9664. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  119 

Relevée  ert  de  nouvel  de  Gerin. 

—  «  Dame,  "  dist-il,  •<  entendez  ra  à  mi  : 

«  Pour  Dieu  vous  proi  que  pensiez  de  mon  fil.  » 

Elle  respont  :  »  Biaus  sire,  à  vos  plaisir!  » 

On  li  amaine  un  destrier  arabi, 

De  plaine  terre  est  aus  arçons  sallis  '; 

L'escu  au  col ,  si  a  un  espié  prins 

Dont  li  fers  fu  d'un  vert  acier  bruni. 

Ez-vous  Doon  et  le  vilain  Hervi, 

Bien  sunt  deus  cent  sor  les  destriers  de  pris; 

Bègues  li  dus  les  a  à  raison  mis. 

Vit  les  borjois,  fièrement  leur  a  dit  : 

—  «  Gardez  la  ville,  signor,  je  vous  en  pri',  » 

Dit  aus  serjans  :  «  Vous  remanrez  ici.  » 

Tant  cheuaucha  li  frans  dus  de  haut  pris 
Que  vit  Bordelle  qui  sor  Gironde  sist; 

•  De  plaine  terre.  Le  poëte  ne  manque  pas  de  remar- 
quer cette  circonstance  ;  en  effet ,  quand  le  guerrier 
était  couvert  de  ses  chances,  de  son  haubert  et  de  ses 
armes  offensives,  c'était  pour  lui  un  grand  tour  de  force 
de  s'élancer  d'un  terrain  uni  sur  son  cheval.  Ordinairement 
il  passait  lourdement  du  haut  d'une  borne  ou  d'un  perron 
sur  sa  monture  et  s'il  était  renversé  durant  le  combat,  il 
ne  pouvait  espérer  de  remonter  qu'avec  le  secours  de  ses 
compagnons. 

»  Shnor.  Variante  :  Baron, 


I20  LI  ROMANS  DE 

Devant  lui  garde  en  un  vaucel  petit', 

Près  de  la  ville  à  l'entrée  des  jardins, 

Et  voit  Guillaume  qui  l'arrier-garde  fist. 

Doon  apelle  :  «  Quel  gent  sunt  ores  ci?  » 

Et  cil  respont  :  «  Guillaumes  li  marquis, 

«  A  l'escu  d'or,  et  au  lioncel  bis  ". 

«  Jà  fut  uns  jors  qu'il  estoit  vostre  amins.  » 

Et  dit  li  dus  :  «  Ore  est  mes  anemius. 

«  Dedans  les  Landes  l'autre  jor  m'assalit 

«  Sans  défiance,  et  au  cors  me  férit; 

«  Diex  me  doint  force  que  li  puisse  mérir  ^l 

«  A  tous  vous  prie,  prenez  garde  de  li, 

«  Qui  le  poura  penre  né  retenir 

«  Ocie-le,  ne  me  l'amaine  vis.  » 

—  «  Sire,  »  dist  Dos ,  «  se  povait  avenir, 
«  En  grant  respos  esteroit  ois  païs, 

«  Jamais  li  autre  n'oseroient  grondin  » 

—  «  Baron  ,  »  dis  Bègues ,  «  car  les  alons  férir.  » 
Rigaut  apelle  qui  son  escu  li  tient; 

Le  destrier  broche  des  espérons  d'or  fin. 


1  r'a«ce/,  vallon  (Vallicellum.) 

2  Et  au  lioncel  bis.  Variante  :  Au  lioncel  petit.  L'écu 
de  Guillaume  de  Blancafort  est  le  même  que  portait  Isoré 
de  Boulogne.  (Voyez  tome  I"^',  page  253 ,  et  la  note.) 

3  Mérir,  payer,  donner  récompense. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  121 

Uus  chevaliers  qu'est  des  autres  parti 
Feri  dus  Bogues  tant  corne  il  pot  venir; 
L'escu  li  fait  desoz  le  bras  flatir, 
Onques  la  maille  dou  blanc  haubert  treslis 
Ne  li  valut  un  bliaut  de  saniis; 
Mort  l'abati  del  destrier  arrabi. 

A  ces  parolles,  ez-vous  poignant  Thierri, 
Doon  le  preus  et  le  vilain  Hervis 
De  rustes  cous  commencent  à  ferir. 
Charpentiers  senblcnt  qui  en  gau  soient  mis  '. 
Desconfi  fuissent  Bordelois,  ce  m'est  vis, 
Quant  vint  Bouchars  et  li  quens  Harduins; 
Ore  en  penst  Diex  qui  en  la  crois  fu  mis! 
Que  li  dui  cens  assenblent  à  trois  mil. 
Jà  i  fust  Bègues  destranchiés  et  ocis, 
Quant  Garins  vint  et  li  dus  Auberis, 
A  quatre  mil  chevaliers  de  grant  pris. 
Devant  en  vient  l'enseigne  saint  Denis, 
Rouge  vermeille,  nus  plus  bêle  ne  vit  ". 

'  Gau,  bois;  d'où  le  vieux  mot  gaudine,  et  saus  doute 
gaule  et  gauler.  L'an-jlais  wood  est  de  la  même  famille. 

2  Rouge  vermeille.  Tous  les  manuscrits  donnent  cette 

leçon,   ou   bien  rouge    et   vermeille;   à  rexception    du 

n"  7535  3-  3.J  lequel  porte  blanche  et  vermeille.  Du  Cange, 

citant  le  même  passage  au  mot  Auriflamma ,  a  précisé- 

II.  6 


122  LI  ROMANS  DE 

Haïmes  regarde ,  s'a  les  penons  choisis, 
Dist  à  Guillaume  :  «  Alons-nos-en ,  amis , 

ment  suivi  la  mauvaise  leçon,  et  l'un  de  mes  amis, 
M.  Rey,  dans  un  grand  ouvrage  qu'il  prépare  sur  nos  en- 
seignes et  couleurs  nationales,  avait  eu  déjà  l'occasion  d'en 
exprimer  sa  surpiise.  Combien  d'écrivains  et  d'artistes  ont 
pourtant  représenté  l'oriflamme  tantôt  rouge  et  blanche, 
tantôt  bleue  parsemée  de  fleurs  de  lis ,  oubliant  ainsi  que  la 
bannière  de  saint  Denis  et  la  bannière  royale  furent  tou- 
jours distinctes ,  et  que  sur  cette  dernière  seulement  pou- 
vaient être  représentées  les  couleurs  et  les  armoiries  de 
la  couronne  de  France! 

Au  reste,  il  ne  faut  pas  chercher  dans  la  forme  ou  dans 
les  couleurs  de  la  bannière  de  saint  Denis,  la  raison  du 
mot  oriflamme.  Dans  nos  plus  anciens  poënies,  on  la  dé- 
signe rarement  sous  ce  nom,  que  d'ailleurs  on  accorde  aux 
étendards  des  Sarrasins,  des  Wandres  et  même,  d'une 
façon  générale ,  à  tous  les  étendards. 

Le  P.  Anselme,  Félibiea,  du  Gange  et  tous  les  antiquaires 
pensent  que  nos  rois  ne  firent  porter  la  bannière  de  saint 
Denis  à  la  tète  des  armées  que  depuis  la  réunion  du  Vexin 
à  la  couronne  de  France,  sous  Louis-le-Gros.  J'ai  de  la 
peine  à  me  ranger  de  cette  opinion.  Je  sais  bien  que  les 
anciens  comtes  du  Vexin  étaient  feudataires  de  l'abbaye, 
qu'ils  avaient  le  privilège  de  porter  l'orLQamme  et  de  venir 
la  prendre  sur  le  tombeau  de  saint  Denis;  mais  cela  ne 
doit  pas  nous  empêcher  de  croire  que,  bien  long-temps 
avant  le  douzième  siècle,  cette  bannière  ne  fut  déployée 


GARIN  LE  LOHERAIN.  i23 

p.  Icist  déables  n'icrt  jà  par  nous  ocis. 
n  Je  voi  Roiaus  et  Loherains  venir, 


dans  les  armées  royales.  Car  saint  Denis  avait  toujours  été 
le  patron  de  la  France  :  c'était  sous  sa  garde ,  depuis  Da- 
gobert,  que  nos  rois  avaient  mis  leur  sépulture,  et  l'on  ne 
nous  persuadera  pas  que  ce  surnom  de  Roi  de  Saint-Denis, 
si  commun  dans  nos  plus  vieilles  chansons  de  Geste,  ait 
été  affecté  par  les  monarques  français ,  en  raison  de  la 
réunion  du  Vexinà  leur  couronne.  Et  puis,  si  Louis-le- 
Gros  a,  le  premier,  eu  l'idée  de  venir  prendre  l'oriflamme 
à  Saint-Denis,  il  faut  en  conclure  qu'immédiatement  avant 
lui  la  France  avait  une  autre  bannière  sacrée ,  ou  qu'elle 
n'en  avait  aucune.  Ces  deux  conclusions  sont  également 
invraisemblables;  et,  dans  tous  les  cas,  nos  historiens  au- 
raient parlé  d'uue  révolution  aussi  grave,  à  une  époque 
de  ferveur  religieuse. 

L'erreur  des  antiquaires  vient  d'une  charte  mal  inter- 
prétée. Dans  cette  pièce,  datée  de  ii24>  Louis-le-Gros , 
après  avoir  rappelé  son  intention  d'imiter  la  dévotion  de 
ses  ancêtres  pour  saint  Denis,  ajoute  :  «  Cum  ad  aures  nos- 
«  tras  perveniret  Alamannorum  regem  ad  iugrediendum  et 
«  opprimendum  regnum  nostrum  excrcitum  praeparare, 
«  communicato  cum  palatinis  nostris  consilio,  ad  ipsam 
«  sanctissimorum  Martyrum  basilicam,  more  antecessorum 
«  nostrorum  ,  fcstinavimus...  Prœsenti  itaque  venerabili 
«  Suggerio,...  vexillum  de  allario  beatorum  Marlyrum,  ad 
«  quod  comilalus  Vilcassiui  quem  nos  ab  ipsis  in  feodum 
«  habemus  spectare  dignoscilur,  morem  antiquum  anteces- 

6. 


12/,  LI  ROMINS  DE 

«  Veez-vous-ci  l'enseigne  saint  Denis? 

«  S'es  attendons,  tuit  sonies  mors  et  ])ris  '.  » 

Li  coart  sunt  de  cest  mot  esbaïs; 
Dedens  les  murs,  por  guarir,  se  sunt  mis.   • 
Devant  la  porte  ot  riche  poignéis, 
Et  li  serjant  se  sunt  es  barres  mis; 
Volent  sajetes  comme  pleve  d'avril  ". 

«  sorum  nostrorttm  servantes  et  imitantes,  sign'iferijure  sicut 
«  comités  Vilcassini  soliti  erant,  suscepimus. »  A  mon  avis, 
le  sens  de  ce  fameux  passage  est  que  Louis  se  rendit 
au  tombeau  de  saint  Denis,  suivant  l'ancien  usage,  pour 
invoquer  la  protection  du  patron  de  la  France  et  y  pren- 
dre l'oriflamme.  Et  comme,  de  temps  immémorial,  c'était 
aux  comtes  de  Vexin  qu'appartenait  le  privilège  de  déta- 
cher cette  bannière  du  tombeau  même ,  lui  le  roi ,  main- 
tenant comte  de  Yexin,  l'avait  détachée,  comme  le  fai- 
saient auparavant  ses  prédécesseurs,  les  comtes  du  Vexin. 
On  peut  voir  également,  dans  le  P.  Anselme,  Louis  VU 
et  Philippe- Auguste  prendre  de  leur  propre  main  l'ori- 
flamme sur  le  même  tombeau,  et  même  la  tenir  durant 
le  combat;  Guillaume  le  Breton  dit  dans  sa  Philippide  : 

Ast  regi  salis  est  tenues  crispare  par  auras 
Vexilluin  siinplex,  cendato  siinplice  textum. 
Quod  cum  flamma  habeat  vulgarité!' aurea  nomen.... 

I  S'es,  si  nous  les,  etc. 
»  Pleve,  pluie. 


GARIN  LE  LOIIERAIN.  la! 

Diex  !  com  le  fait  dus  Bègues  de  Belin  ! 
La  riche  cote  qu'ot  vestue  au  matin 
Toute  est  sanglente  et  la  selle  à  or  Gn, 
Garins  le  voit,  si  l'a  à  raison  mis  : 

—  '(  Par  Dieu,  biaus  frères,  trop  par  estes  hardis, 
«  Trop  folement  vous  voi  sovent  venir; 

«  A  grant  folie  le  vous  puet-on  tenir, 
«  Quant  à  deus  cent  assenblastes  à  mil; 
«  Se  je  ne  fusse,  mors  fussiez-vous  ou  prins. 
'<  Tel  vasselage  prisai-je  moût  petit  '.  ». 

—  «  Je  n'en  puis  mais ,  «  li  dus  Bègues  a  dit  ' , 
«  Car  por  un  pou  que  il  ne  m'ont  ocis 

«  Dedans  les  Landes,  où  je  fus  assallis, 
"  Et  ma  moillier  me  vourent-il  tollir; 
«  Après  m'assirent  ou  chastel  de  Belin  , 
«  Ma  terre  ont  arse  et  destruit  mon  pais. 
«  Envers  moi  sunt  parjure,  foi-mentis.  » 

—  «  Ne  vous  chaut,  frères,  or  vos  convient  soufrir, 
«  Car  de  vengier  avons-nous  bon  loisir  : 

"  N'en  tomerons  si  les  arons  toz  prins.  » 
Bègues  respont  :  «  La  vostre  grant  merci! 
»  A  vous  me  claime  et  à  tous  mes  amis.  » 


•  Fasselage,  action  chevaleresque. 
^  Je  n'en  puis  mais,  nous  avons  conservé  ce  gallicisme 
Je  n  en  puis  plus , 


126  LI  ROMANS  DE 

Et  Bordelois  ne  sunt  mie  endormis  : 
Par  là  dedens  font  les  portes  garnir 
Et  bien  terrer,  que  nus  n'en  puist  issir  '  ; 
Mais  devers  mer  nés  puet-on  assallir  ^. 

Li  os  se  loge  tôt  ensi  com  il  vint  : 
Le  tref  le  roi  tendent  en  un  jardin  ' , 
Lez  un  pomier  menuement  flori  ; 
De  l'autre  part  se  reloge  Garins  ; 
Devers  Gironde,  Mansel  et  Angevin; 
Et  Allemant  et  cil  d'outre  le  Rin 
Se  sunt  logés  lez  le  ferré  chemin  ; 
Et  par  de  ça  ,  lez  le  broil  de  sapin , 
Se  loge  Bègues  et  ses  niés  Auberis  ; 
Et  en  la  voie  qui  vient  dou  Plaisséis 
Là  se  logèrent  Breton  ce  m'est  avis, 

I  Terrer,  terrasser. 

ï  Nés  puet-on,  etc.,  on  ne  les  peut  attaquer  du  côté 

de  la  mer. 

3  Le  tref  le  roi,  etc.  Variantes  : 

Le  tref  le  roi  tendent  en  un  larris 
Lez  un  pomier  novelement  flori. 

(St.-Germ.  2044.) 

Le  tref  le  roi  tendent  en  un  jardin 
En  uu  sablon  joste  un  pomier  flori. 
(Mss.  76o&et7628.^) 


GARIN  LE  LOHERAIN.  117 

De  l'une  part  ont  bien  la  ville  assis  '. 

Bègues  manda  par  trestot  le  païs, 
Qui  tant  ne  quant  de  lui  veulent  tenir 
Vienent  à  lui  et  n'i  metent  respit. 
Tolosain  vienent  à  force  et  à  estri , 
Cil  de  Limoges  et  tuit  li  Caoursin. 

Descendus  est  l'emperères  Pépins  '; 
En  une  garde  robe  li  rois  vint , 
Vest  un  bliaut  qui  bêlement  li  sist  ^, 
Et  afubla  un  mantel  sebelin; 
En  son  tref  entre  dont  li  pan  sunt  sus  mis; 
Et  li  vens  vente  qui  par  dedcns  s'est  mist. 
Esches  demande,  si  est  au  jeu  assis. 

—  «  A  tant,  ez-vous  le  seneschal  en  vint  : 
'<  Ceu  est  dus  Bègues  dou  chastel  de  Belin  !  >> 

I  De  l'une  part,  du  côté  de  l'occident,  ht  pays  entre 
deux  mers  est  à  l'orient  de  Bordeaux. 

î  Descendus,  de  cheval.  Le  logement  du  roi  étant  dé- 
terminé, le  roi  s'y  rend,  descend  de  cheval,  quitte  son 
vêtement  de  guerre  et  passe  dans  sa  garde-robe. 

3  Vest  un  bliaut,  etc.  Yariante  : 

Viest  ane  cote  ki  durement  li  sist. 
Le  bliaut  ou  bliaud  était  proprement  une  tunique  longue  ; 
et  nos  blaudes  ou  blouses  villageoises  conservent  encore 
aujourd'hui  le  souvenir  du  nom  et  de  la  forme  primitive. 


128  LI  ROMANS  DE 

Ensemble  o  lui  maint  baron  de  haut  pris. 

Et  si  i  ot  assez  de  ses  amis. 

Le  roi  salue,  si  tost  corn  il  le  vit. 

Li  rois  li  dist  :  ■<  Bègues,  com  vous  est-il?  » 

—  «  Sire,  moult  bien,  la  dame  Dieu  merci! 
«  A  vous  me  claime  de  Haimon  le  marchis 

«  Et  de  Guillaume  et  de  toz  lor  amis. 
«  La  vostre  nièce  me  vourent-il  tolir, 
«  Honte  me  firent  assez,  je  le  vous  di  : 
«  Mi  home  estoient  et  de  mon  fief  saisi.  » 

—  «  Mar  le  pensèrent,  «  ce  dit  li  rois  Pépins. 
«  Je  preng  sor  moi  la  honte  et  le  despit. 

«  Or  i  perra  com  le  ferez ,  amins  : 

><  Traiez  à  terre  les  fors  chastiaus  perrins  ', 

«  Et  abattez  et  villes  et  maisnis. 

«  Prenez  trestout,  tant  qu'il  soient  chaitis, 

«  Qu'eus  en  conviegne  issir  de  cest  pais  ; 

«  Car  de  Bordelle  venrai-je  bien  à  fin, 

«  Ne  tornerai ,  s'aurai  la  cité  pris.  » 

Mais  cil  dedens  ne  sunt  pas  bien  assis  j 
Par  mer  lor  vient  et  li  pains  et  li  vins. 
Quant  Bègues  ôt  ce  que  li  rois  a  dit, 
Moult  en  fu  liés,  joians  et  esbaudis; 
De  l'ost  se  part  à  trois  mil  fervestis, 

'  Les  fors  chastiaus  perrins,  les  châteaux  en  pierre  qui 
étaient  daus  le  Bordelais. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  129 

Entre  en  la  terre  ses  morteus  ennemis, 
Tout  art  et  proie  et  destruit  et  laidit; 
N'i  remaint  vaclie  ne  bues  qu'il  ne  préist; 
Prins  a  Monnublc  et  abatu  Montclin  '. 

■    Huimès  dirons  de  Bernart  de  Naisil  ; 

Il  s'en  est  fui  d'Orliens  la  noble  cit, 

Ains  ne  fina  de  ci  qu'à  Lens  en  vint. 

lluec  trova  Fromons  le  poesti, 

Lui  et  son  frère  Guillaume  de  Monclin  : 

Fromons  le  voit ,  à  son  frère  le  dist  : 

«  Sire,  »  fait-il,  «  li  quens  Bernars  vient  ci.  » 

Quant  cil  l'oï,  encontre  en  est  saillis. 

Il  descend!  del  destrier  arrabi , 
Tos  les  degrés  sus  au  palais  en  vint , 
Afublés  fu ,  s'ot  le  chaperon  mis  '. 

'  Monnuble.  Variantes  :  Montnoble,  Monviele.  —  Mont- 
clin.  Variantes  :  Moncld  et  Monci.  Dans  tous  les  cas ,  ce 
Montclin  n'est  pas  le  château  de  Vorguillous  Guillaume, 
situé  entre  ^Nîaisil  et  Verdun.  (Voyez  lomel'",  page  235.) 

2  S'ot  le  chaperon  mis.  Dans  une  initiale  du  manuscrit 
7842.  ^•3-,  on  voit  en  effet  Fromont  et  Bernard,  celui-ci 
couvert  d'une  cape  rouge  dont  le  capuchon  est  ramené 
sur  sa  tète;  celui-là  vêtu  d'un  bliaut  et  n'ayant  sur  les  che- 
veux qu'une  espèce  de  calotte. 

Du  Cange  a  cité  ce  passage,  à  l'article  Cappa.  Il  en  a  tiré 

6.. 


i3o  LI  ROMANS  DE 

—  «  Ostcz  vos  chape,  »  11  quens  Fromons  a  dît , 
'<  Moult  vos  vois  ore  enbrunchiés  et  pensis  '.  » 

—  «  Par  Dieu,  biaus  niés,  maleraent  sui  baillis. 
«  Si  m'a  batu  li  Loherens  Garins, 

«  Ne  fuist  li  rois,  voir  il  m'éust  ocis. 

«  Il  et  sa  suer  la  putain  Héloïs, 

«  Et  la  roïne  à  cui  il  est  cousins 

«  Les  lor  vilains  firent  sor  moi  venir. 

«  Li  emperères  en  un  mosticr  me  mist , 

«  A  moult  grant  peine,  certes  me  garentis.  » 

Osta  sa  chape,  si  lor  moustra  son  vis. 

Les  tiens  regarde  Fromons  li  poestis, 

Et  dist  Guillaumes  :  «  Malvais  afaire  a  ci; 

«  Li  Loherens  est  trop  engordelis  ', 

la  preuve  que  la  cappe  était  un  vêlement  de  tête.  «  Certè 
»  capam  os  et  vultum  lexisse  docet  le  roman  de  Garin,  etc.  » 
Je  crains  que  du  Gange  ne  se  soit  mépris.  On  peut  trou- 
ver ici  la  disliuction  de  la  cJtape  et  du  chaperon;  Bernard 
avait  gardé  non  seulement  la  chape  contre  l'usage  de  ceux 
qui  montaient  les  degrés  des  salles  seigneuriales ,  mais  il 
avait  en  outre  rejeté  sur  la  tète  le  chaperon  ou  capuchon 
de  sa  chape.  Tel  est  du  moins  mon  avis. 

1  Embrunchiés ,  sombre,  noir,  triste;  s.  d.  du  latin: 
obumbraUis. 

2  Engordelis.  Variantes  : 

Por  la  roine  est  trop  engrondelis. 
(Msc.  9654.) 


GARIN  LE  LOHERAIN.  i3i 

n  Qui  si  déracine  et  destruit  nos  amins; 
«  Mal  dahés  ait  qui  le  vodra  sofrir  !  » 

Ce  dist  Fromons  :  «  Por  noient  nel  fist-il , 
«  N'a  pas  tant  mal  ou  Loherenc  Garin  ; 
«  Dites,  biaus  oncles,  comment  il  vous  avint.  » 
Et  dit  Bernais  :  «  Jà  le  porez  oïr  : 
«  Li  Loherens  si  avoit  feme  prins  ; 
«  Le  mariage  ot  fait  li  rois  Pépins. 
«  Droit  s'en  aloit  de  Blaives  à  Belin  ; 
«  Dedens  les  Landes  fu  li  dus  assaillis: 
«  Haimes  li  dus,  qui  souef  vos  norrit, 
«  Et  vostre  niés ,  Thiebaus  dou  Plaisséis, 
«  Toliir  li  vourent  la  belle  Biatrix; 
a  Navrés  i  fu ,  à  pou  ne  fust  ocis. 
«  Après  l'assisrent  ou  chastel  de  Belin, 
«  Toute  la  terre  ont  essillié  et  prins  : 
«  Secors  manda  l'enperéor  Pépin; 
«  Nostre  emperères  en  fut  moult  enbrunchis , 
«  Et  je  fui  moult  iriés  de  mes  amins 
«  Et  les  Guidai  par  paroles  covrir. 


Ed  orgoillis. 

(Msc.  :542.3-3.) 

Je  n'ai  vu  que  là  engordeits,  donl  le  sens  est  évidemment 
celui  à'enorcrueilti. 


i3a  LI  ROMANS  DE 

«  Et  li  garçons  forment  m'en  entreprint  r, 

"  Je  l'abali  devant  le  roi  Pépin; 

«  Et  la  roïne  malvais  semblant  me  fist, 

«  Laidengea  moi,  et  je  li  autresi.  » 

—  «  Tort  en  éustes,  »  li  quens  Fromons  a  dit, 

«  Bien  vos  en  doit  maus  et  honte  avenir. 

«  Jà  vostre  langue  ne  vous  laira  ami  ; 

«  Et  li  glouton  ourent  tort  autresi  2 

«.  Quant  lor  signor  osèrent  assaillir; 

«  Par  desraison  eu  ont  lor  foi  menti; 

«  Si  m'ait  Dieu,  il  en  seront  honni  : 

«  Et  toz  li  mondes  le  doit  jugier  ensi.  » 

—  «  Or,  entendez,  «  li  quens  Bernars  a  dit  : 
«  Li  Loherens  droit  à  la  cort  en  vint; 
«  Si  se  clama  à  lui  l'empéreris, 
«  Et  il  me  vint  dou  poing  èz  dens  férir , 
«  Si  m'a  blecié,  com  vous  povez  véir.  » 

'  Li  garçons.  Celui  qui  avait  fait  le  message  de  Bègues 
auprès  de  l'empereur. 

2  Li  glouton,  c'est-à-dire,  Guillaume  le  marquis  et 
Thiebaut  du  Plaisséis,  —  Ce  discours  de  Fromont  est 
plein  de  loyauté.  Le  poète  ue  cesse  pas  de  le  repré- 
senter sous  un  jour  favorable,  jusqu'au  moment  où  ses 
malheurs  le  réduisent  au  désespoir  et  lui  font  renoier 
Jesu-Crist. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  i'i3 

Ce  dist  Froraons  :  «  Si  m'ait  Dieu,  bien  fist.  » 

Et  dit  Guillaumes,  l'orguillous  de  Monclin  : 

«  Sire  Fromons,  ne  faites  mie  ensi; 

«  Qui  son  nés  coupe  il  déserte  son  vis. 

n  Se  vous  soffrez  vostre  frère  soit  prins, 

«Vous  i  perdrez  et  s'en  serez  plus  vis.  » 

Et  dit  Bernars  :  "  Vérités  avez  dit. 

«  J'oï  seraondre  et  li  rois  et  Garins , 

«  Il  sunt  déjà  à  Bordelle  la  cit.  » 

Et  dit  Fromons  :  «  Je  vous  ai  bien  oï; 

«  N'en  chauroit  gaires  Haimon,  ce  m'est  avis', 

«  Né  vous  méisraes ,  s'en  folie  ère  mis  ; 

«  Jà  à  mon  col  n'en  sera  escus  prins; 

«  Je  les  lairai  de  guerre  convenir, 

«■  S'aront  tout  ce  qu'ont  porchascié  et  quit. 

«  De  tele  chose  ne  les  doi-je  covrir. 

«  Mal  vous  remenbre  de  la  cort  à  Paris; 

«  Garins  li  dus  estoit  moult  nostre  amins, 

«  Et  vous  l'alastes  en  la  salle  envaïr; 

«  Là  fu  par  vous  quens  Isorés  ocis.  » 

Et  dit  Bernars  :  «  Laissiez  ester,  chaitis  ', 

»  N' en  cliauroit  gaires ,  etc.,  c'est-à-dire,  Haimon  et 
vous-même  se  soucieraient  peu  des  préparatifs  du  roi, 
si  j'étais  de  moitié  dans  leur  agression.  Folie  s'est  pris 
souvent  dans  un  sens  analogue  :  du  Gange  le  traduit  alors 
par  convicium. 

?  Laissiez  ester,  arrêtez. 


i34  LI  ROMANS  DE 

«  Tu  ne  vaus  pas  l'estrain  sor  quoi  tu  gis  '.  » 
—  «  Faites  le  bien,  »  li  quens  Guillaumes  dit, 
«  Alons-nos-en  à  Bordiaus,  sans  respit, 
«  Prenez  la  ville  et  la  faites  garnir, 
«  Puis  querez  pais  envers  le  roi  Pépin  ; 
«  Ensi  doit-on  bien  aidier  ses  amins.  » 
Et  dit  Fromons  :  «  Certes,  bien  avez  dit; 
'(  Mais  je  irai  de  gens  bien  enforcis.  » 

Lettres  fait  faire  et  saiélés  escris  : 
De  toutes  pars  a  fait  sa  gent  venir. 
Li  quens  Guillaumes  en  va  droit  à  Monclin  ', 
Chevaliers  quiert ,  tant  qu'il  en  ot  set  vint. 
A  Monstereul  qui  desor  la  mer  sist  ', 
S'en  est  venus  Fromons  li  poestis; 
Nés  porchascia ,  tant  qu'il  en  ot  set  vint". 
Iluec  assenblent  li  grant  et  li  petit; 
Et  li  Flamens  moult  richement  i  vint, 

'  L'estrain,  la  paille,  le  siège  garni  de  paille;  à  moins 
que  Bernard  ne  veuille  parler  d'une  natte  placée  sous  les 
pieds  de  Fromont.  (De  stramen.) 

2  Monclin,  entre  Naisil  et  Verdun.  Bègues  l'avait  abattu; 
mais  depuis  la  dernière  guerre,  Guillaume  l'avait  sans  doute 
relevé.  (Voyez  tome  I""',  page  235.) 

3  Monstereul,  Moutreuil-sur-mer,  qui  appartenait  à  Fro- 
mont, depuis  son  mariage  avec  la  comtesse  Hélisend. 

4  Nés  porchascia,  il  réunit  des  vaisseaux. 


GARIN  LE  LOHERAJN.  i35 

Bien  sunt  troi  mil  de  chevaliers  gentis, 

Et  de  serjans  amené  bien  dui  mil. 

Ez  vissiers  metent  les  bons  chevaux  de  pris  ' 

Et  ans  sentines  les  bons  tonniaus  de  vin, 

La  char  sallée  dont  il  sunt  bien  garni  : 

Dedens  entrèrent  li  grant  et  li  petit; 

Huit  jours  nagièrent,  jel  vous  dis  sans  mentir  % 

Et  au  naviesme  paresploitèrent  si 

'  Es  vissiers ,  elc.  Variantes; 

Es  baisiers  metent  les  boins  cbevanx  de  pris. 

(Msc.  9654.) 

Et  es  hoissieres  meteut  les  cbevals  arabis 
Et  es  santernes  les  bons  toniaus  de  vin. 

(St.  Germ.  2041.) 
Ens  ez  nés  metent  les  auferrans  de  pris. 

J'ai  préféré  vissiers,  parce  qu'on  trouve  plusieurs  fois  ce 
mot  dans  Ville-Hardoin ,  avec  le  sens  de  barque  à  trans- 
porter les  chevaux. —  Quant  aux  sentines,  ce  n'est  pas 
une  sorte  de  barques,  comme  le  dit  Roquefort,  mais  tout 
simplement  la  partie  inférieure  des  nefs,  le  fond  de  cale. 
De  ce  mot,  on  a  fait  sans  doute  celui  de  sentinelle,  qui 
fait  le  guet  dans  la  sentine. 

ï  Nagièrent,  naviguèrent  (natarunt).  Fromont  ne  son- 
gea pas  à  gagner  par  terre  le  Bordelais  ;  il  eût  été  arrêté 
en  route  par  le  Maine,  l'Anjou,  l'Orléanais  et  l'Ile-de- 
France,  que  tenaient  les  ennemis  de  sa  famille. 


i36  LI  ROMANS  DE 

Que  de  Bordelle  ont  la  grant  tor  choisi  '; 
Les  aigles  voient  et  les  pomiaux  luisir  ': 
El  port  se  sunt  et  enbattu  et  mis  ^. 
Des  nés  sachèrent  les  auferrans  de  pris , 
Les  belles  armes  et  le  vair  et  le  gris. 
En  la  ville  entre  Fromons  li  poestis. 

En  la  cité  furent  li  ostel  prins; 
N'i  out  bordel  qui  tant  parfust  petis  '* , 
Mien  escient,  chevaliers  n'i  géist. 
Encontre  va  Bouchars  et  Harduins  ; 
Voit  Fi'omondin,  entre  ses  bras  le  prist , 
Si,  li  baisa  et  la  bouche  et  le  vis. 
«  Beaus  niés,  »  dist-il,  «  moult  a  fait  que  gentis, 
«  Fromons  mes  frères,  quant  vint  en  cest  pais.  » 
—  «  En  non  Dieu  ,  sire  ,  »  çou  a  dit  Fromondins , 
«  Tort  en  avez,  si  com  mes  pères  dist.  » 

Li  quens  Fromons  el  palais  descendi, 
Tout  courouciés  emrai  la  sale  vint. 

1  La  grant  tor.  Variante  :  Les  moustiers.  Cette  grande 
tour  appartenait  sans  doute  au  superbe  palais  de  Tutele, 
démoli  vers  1700. 

2  Les  aigles.  Sans  doute  ceux  qui  surmontaient  les  tentes 
des  assiégeants.  Variante  ;  Et  l'aigle  d'or. 

3  Enbattu,  arrêtés. 

4  Bordel,  grange. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  i37 

Encontre  va  Haimes  li  signoris, 

—  «  Sire,  »  fait-il,  «  bien  puissiez-vous  venir!  » 

—  «  Fis  à  putain  !  »  li  viens  Fromons  a  dit, 
«  De  dame-Dieu  soiez-vous  malcis  ! 

«  Mauvais  traîtres,  déléaus,  foi-mentis, 

«  Corn  fustes  tel,  né  en  penser  vos  vint 

n  Vostre  seignor  osastes  envaïr! 

«  A.  vos  nature  devez  bien  revenir, 

«  Car  vous  issites  des  hoirs  aus  Poitevins 

«  Onques  n'amèrent  né  parens  né  voisins  ; 

«  N'a  lor  signor  ne  vourent  obéir, 

»  S'il  ne  le  porent  engignier  ou  traïr. 

«  Ne  cuidiez  mie  por  vous  voise  à  déclin , 

«  Perde  ma  terre  et  ce  que  dois  tenir; 

'<■  Je  vous  rendrai  l'emperéor  Pépin , 

«  Très  bien  vos  pende,  quar  l'avez  desservi, 

«  Parmi  la  goule  comme  mauvais  mastins.  » 

Haimes  l'entent ,  mot  ne  l'i  respondi. 

Fromons  commande  qu'on  li  féist  un  lit; 
Travilliés  fut  de  la  mer  dont  il  vint. 
Son  queu  apelle,  son  mangier  li  a  dit. 
Plus  de  sept  vint  se  couchièrent  ausi , 
Par  le  palais  se  sunt  tuit  endormi. 

Mais  dans  Bernars  n'ot  cure  de  dormir  '  : 
'  Dans,  damp.  {Dominas.) 


i38  LI  ROMANS  DE 

Dou  lit  se  liève,  les  degrés  descend!; 
Vint  à  l'ostel  Haimon  et  Hardiiin  : 

—  «  Franc  chevalier!  que  faites-vous  ici? 
<i  Contre  le  roi  faisons  un  nouvel  cri; 

«  S'arons  Fromons  en  la  folie  mis, 
«  Jamais  nus  lions  ne  l'en  porra  partir.  « 
Et  cil  coururent  les  blans  haubers  vestir, 
Hastivement  font  leur  chevaus  covrir, 
For  s'en  issirent  deux  cent  et  quatre  vint. 
Jusqu'aus  hauberges  ne  prirent  onques  fin. 
Li  cris  enforce  contreval  l'ost  Pépin, 
Il  se  coururent  de  lor  armes  garnir. 
Li  dus  Garins  sor  un  grant  cheval  sist 
Qui  vint  d'Espagne,  si  l'i  estoit  tramis; 
Bien  reconnut  Bernart  quant  il  le  vit. 
Il  li  escrie  com  jà  pourez  oir  : 

—  «  Ha  !  traîtres,  parjures,  foi-mentis  , 
«  Fis  à  putain,  vous  n'i  pourez  garir  !  » 
Bernars  l'entend,  mais  pas  ne  respondi. 

Qui  dont  véist  Bernart  le  jour  guenchir, 
Destre  et  senestre  trestorner  et  férir , 
De  boiii  vassal  li  poïst  sovenir. 
Mais  ne  li  vaut  vaillant  un  Angevin, 
Que  malgré  sien,  li  en  convient  foïr. 
Parmi  la  porte  les  enchauce  Garins  ; 


GARTN  LE  LOHERAIN.  iSg 

El  bore  de  fors  fii  grans  li  poignéis  ' , 
Ens  el  marché  ot  maint  borjois  ocis. 
Se  cil  de  l'est  vousissent  bien  venir, 
Bien  le  sachiez,  Bordelie  eussent  prins. 

Li  borjois  montent  es  soliers,  ee  m'est  \is'y 
Giètent  grans  pierres  et  les  pieiis  féreïs; 
Fromons  se  lieve,  qui  entendi  le  cri, 
Par  la  fenestre  a  retourné  son  vis, 
Vit  les  royaux  par  la  porte  venir, 
Parmi  les  rues  vit  les  borjois  foir, 
Testes  saigner,  boiaus  de  cors  issir  : 
Et  voit  son  oncle  dant  Bernart  de  Naisil 
Qui  se  défent  au  branc  d'acier  forbi. 
—  «  Diex,  »  dist  Fromons,  «  bien  vois,  je  suis  trais. 
«  Or  tost  aus  armes  !  franc  chevalier  gentil , 
«  S'ensi  nos  prendent ,  dont  sommes-nous  honnis.  « 
Aus  ostés  courent  por  lor  armes  saisir  : 

'  El  bore  de  fors.  Je  ne  puis  mieux  faire  ici  que  de  citer 
du  Gange:  «  Burgus forensis ,  id  est,  burgus  qui/ômest, 
«  seu  extra  urbem.  Hinc  nostrum  Faiixbourg  derivatum 
><  existimo.  Vrmo  forsboiirg  e\.forbourg;  deinde  fauxbourg 
«  dictum  est.»  (Gloss.,  au  mot  Burgus.)  —  On  voit  en- 
core par  ce  vers,  qu'avant  forsbourg  on  avait  dit  bowc 
de  fors. 

*  Soliers,  terre-pleins  et  galeries  supérieures  des  mu- 
railles. 


i4o  LI  ROMAINS  DE 

Là  véissiez  les  blans  haubers  vestir, 
De  chevaliers  les  grans  rues  emplir. 
Bien  apariit  quant  Guillaumes  i  vint, 
Fromons  et  Fouques  et  li  prous  Jocelins, 
Et  Galerans  et  ses  frères  Gandins  , 
Pieres  d'Artois  ,  li  Flamens  Bauduins. 
Lohérens  ont  et  Frans  arrière  mis  : 
Grans  fut  la  presse  quant  vint  au  départir. 
Li  dus  Garins  tant  le  jor  i  soffri, 
Ains  chevaliers  si  richement  nel  fist. 
Diex!  qu'or  n'i  fust  dus  Bègues  de  Belin! 
Fromons  perdi  en  icelui  venir  , 
Biais  les  Roiaus  a-il  fait  départir. 

Et  les  buisines  sonnent  au  tref  Pépin  : 
Grans  fu  li  brais  et  grant  furent  li  cri; 
Et  li  navrés  vont  criant  Dieu  merci. 
Garin  abatent,  le  chevalier  gentil. 
Il  fu  à  pié  coureçous  et  marris. 
Li  quens  Bernars ,  ses  mortes  anemis , 
Moult  le  défoule  et  déboute  et  laidit  ; 
Jà  l'éust  mors,  quant  l'Allemans  i  vint, 
Hues  de  Troies ,  Girars  qui  Liège  tint; 
Garin  remontent,  mais  ne  s'i  pot  tenir; 
Entre  lor  bras  quatre  conte  l'ont  prins , 
Dedens  son  tref  l'ont  maintenant  assis; 
Il  ne  fust  drois  qui  li  donnast  Paris. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  141 

Qui  dont  véist  l'empcreor  Pépin 
Sor  le  destrier  le  grant  cstor  tenir, 
Deux  en  abat  et  le  tiers  a  ocis. 
Mais  li  Flamens,  Guillaiimes  de  Monclin  , 
Sor  les  serjans  font  les  nos  reflatir  *; 
Traient  Arcliier,  plus  en  i  ot  de  mil  : 

—  "  Diex  !  u  dist  li  rois,  «  aide,  saint  Denis  ! 
<(  Or  n'i  est  mie  dus  Bègues  de  Bélin  ! 

«  Où  est  aies  mi  drus ,  li  dus  Garins  ?  » 

—  «  En  non-Dieu ,  sire ,  »  ce  li  dist  Savaris , 
«  Enmi  les  chans  le  vis  moult  entreprins  , 

«  Entre  ses  bras  le  tint  uns  siens  amins , 
«  Tant  fu  batus  jà  n'en  estordra  vis.  » 
Et  dist  li  rois  :  «  Maie  novelle  a  ci! 
«  Sainte  Marie  qui  le  cors  Dieu  teras  ! 
'<  Deffendez  moi,  que  ne  soie  honnis  ; 
'<  Bers  saint  Denis  !  Proiez-en  Jésu-crit, 
«  Car  de  vous  dois  la  couronne  tenir  !  » 

Moult  fu  doUans  l'emperères  Pépins, 
Quant  à  véu  Bordel  ois  esbaudir. 
Prisons  mener  et  bons  chevaus  tenir  "; 

«  Sor  les  serjans;  c  est-à-dire,  repoussent  les  Royaux  sur 
les  sergents.  Il  faut  se  rappeler  qu'autrefois  les  cavaliers, 
dans  leur  première  course ,  dépassaient  souvent  le  corps 
d'armée  ennemi  ;  le  danger  était  au  retour. 

2  Prisons,  prisonniers. 


i42  LI  ROMAINS  DE 

Le  jor  gaignèrent  assez  li  Poitevin. 
Bernars  apelle  Fromont,  si  li  a  dit  : 

—  «  Peignons  au  roi,  car  il  est  desconfis, 
«  Et  se  li  rois  i  povoit  estre  prins, 

«  Pais  avérions ,  tout  à  nostre  plaisir.  » 

—  «  Tais-toi,  biaus  oncles,  »  Fromons  li  respondi, 
«  Nos  sires  est  l'empcrères  Pépins, 

«  Je  suis  ses  hons  et  féauté  li  fis. 
«  Tornons  arrières,  trop  l'avons  entreprins.  « 
Et  dist  Bernars  :  «  Non  ferai,  biaus  amins , 
«  Tant  que  je  l'aie  détranchié  et  ocis.  » 
Ce  dit  Fromons  :  «Vous  me  voilez  honnir, 
«  Et  de  ma  terre  fors-metre  et  desaisir; 
«  Mais  par  la  foi  que  je  dois  saint  Martin, 
«  Il  n'i  a  ores  chevaliers  si  hardis , 
«  Se  je  le  vois  trestorner  né  guenchir, 
«  Que  ne  le  voise  de  m'espée  férir  '.  » 
Derrier  se  met,  les  siens  en  fait  venir, 
Parmi  la  porte  ens  Bordelle  sunt  mis. 

Français  repairent  coureçous  et  marris, 
Perdus  i  ont  assez  de  lor  amis. 
Diex!  com  se  plaint  li  Lohérens  Garins! 
A  son  tref  font  li  bon  mire  venir, 
Emplâtres  firent  por  le  vassal  garir, 

ï  Que  ne  le  voise,  que  je  ue  l'aille.... 


GARIN  LE  LOHERAIN.  143 

Tout  ot  enflé  et  bras  el  teste  et  pis  ; 

N'est  pas  merveille,  car  de  grans  cous  a  prins. 

Véoir  li  va  l'empeières  Pépins  : 

—  «  Comment  vous  est,  »  dist  li  rois,  «  biaus  amins?  » 

—  «  Mauvaisement,  »  ce  dist  li  dus  Garins  , 

«  Cist  maus  me  tient ,  par  tôt  le  cors  s'est  mis.  « 

En  l'ost  font  duel  ;  mais  Bernars  de  Naisil 
En  fait  grant  joie  ,  Fouques  et  Jocelins. 
Fromons  commande  qu'on  les  tables  méist', 
Et  l'on  si  fait ,  léans  en  un  jardin  ; 
Onze  vint  tables  i  poissiez  choisir'. 
Devant  les  autres  est  venus  Fromondins, 
Et  out  o  lui  de  damoisiaus  bien  vint; 
N'i  out  celui  ne  li  appartenist. 
Bernars  le  voit,  à  l'encontre  li  vint, 
Il  li  baisa  et  la  bouche  et  1»  vis, 
Il  en  apelle  le  Flamenc  Bauduin  : 

—  «  Or  esgardcz,  quel  nevou  avons  ci! 
«  Et  car  prions  Fromont  le  poesti 

«  Que  il  féist  chevalier  de  son  fil.  » 

—  «  Et  je  l'otroi,  «  li  Flamens  respondi. 

A  Fromont  vienent,  si  l'ont  à  raison  mis  : 

•  Les  tables.  Variante  :  Les  nappes. 

>  Onze  Vingt.  Variantes  :  Quinze  Vingt,  —  Onze  cens. 

—  Quinze  cens.  —  Dui  mitle. 


i44  LI  ROMANS  DE 

—  «  Or  esgardez ,  biaus  niés,  «  Bernars  a  dit , 
«  Com  cil  est  biaus  et  de  bras  et  de  pis! 

«  Car  en  faisons  chevalier,  le  matin  ; 

«  Il  piiet  moult  bien  grosses  lances  croissir  ', 

«  Et  guerroier  ses  mortes  ancmins; 

«  Se  tu  vivois  jusqu'au  jor  del  juïs", 

«  En  meilleur  point  n'iert  chevaliers  tes  fis'.  » 

Et  dist  Fromons  :  «  Merveilles  avez  dit; 

«  Il  est  trop  joues,  ne  le  pouroit  sofrir.  » 

—  '(  Si  fera  voir,  »  dit  Bernars  de  Naisil , 
«  Vous  estes  vieus  et  chenus  et  floris, 

«  Reposez-vous  et  faites  vos  délis; 

«  Et  cil  voudra  la  guerre  maintenir  '*.  » 

Fromons  l'oït ,  à  pou  n'enrage  vis  : 

—  «  Sire  Bernars,  vous  m'avez  aati  ^, 

1  Grosses  lances  croissir.  Tariante  :  Ses  garnimens  tenir. 

2  Deljuïs,  du  jugement  dernier. 

3  En  meilleur  point ,  etc.,  c'est-à-dire,  ton  fds  ne  serait 
pas  meilleur  chevalier  qu'il  ne  le  sera  aujourd'hui. 

4  Bernard  avait  sans  doute  l'inteution,  en  soulevant  la 
question  de  Yadoubement  de  son  petit-neveu,  de  piquer 
Fromont  d'émulation  et  de  l'engager  davantage  à  conti- 
nuer la  guerre.  11  faut  remarquer  que  Fromont  avait  lui- 
même  autrefois  parlé ,  dans  le  même  sens ,  à  son  père 
Hardré.  (Voyez  tome  I*"^,  page  82.) 

5  Aati.  Variante  :  Laidi.  Les  deux  mots  ne  sont  pas  syno- 
nymes, Aatir  repond  assez  bien  à  heurter,  attaquer,  que- 
reller. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  1^5 

n  Que  me  clamez  viellart  et  rasotti  '  ; 

«  Encor  puis  bien  sor  mon  cheval  saillir 

0  A  grant  besoin^,  et  mon  droit  maintenir*. 

«  Au  grant  cstor  demain  vous  en  envi  ^  ; 

n  Et  cil  qui  pis  ou  de  moi  ou  de  ti 

«  Le  fera,  oncles,  savez  que  je  vos  di? 

«  Li  espérons  li  soit  coupés  parmi 

«  Près  du  talon ,  au  branc  d'acier  forbi  '*.  » 

Et  dit  Bernars  :  «  Biaus  niés,  por  Dieu,  merci! 

1  Rasotti,  au  lieu  de  rasoité  et  pour  la  rime.  Nicot 
l'explique  encore;  devenu  soi. 

2  A  grant  bcsoing,  à  la  grande  utilité,  au  grand  profit 
des  miens. 

3  Au  grant  estor  demain  vous  en  envi,  je  vous  cite  à 
prouver  vos  dits  à  la  grande  lutte  de  demain.  Variantes  : 
A  grant  estor,  —  Au  grant  tornoi. 

4  Li  espérons,  etc.  Voici  l'un  de  ces  passages  précieux 
dont  du  Cange  a  tiré  bon  parti  dans  ses  admiiables 
travaux.  Mais  l'usage  de  déposer  les  éperons  n'existait-il 
pas  également  et  pour  les  chevaliers  que  l'âge  avait 
privés  de  leurs  forces,  et  pour  ceux  que  la  lâcheté  de  leur 
conduite  rendait  indignes  du  nom  de  chevaliers.*'  (Voyez 
sur  ce  point  1  Histoire  de  messire  Erars  de  Valéry,  dans  le 
Romancero  français,  pages  121  et  122.)  Quoi  qu'il  eu  soit, 
la  première  pièce  de  l'adoubement  d'un  chevalier  était 
Véperon ,  et  quand  il  perdait  ce  titre,  l'éperon  était  la 
première  pièce  qu'il  devait  quitter.  Aujouid'hui  les  épau- 
leltes  ont  remplacé  Véperon. 

II.  7 


i46  LI  ROMANS  DE 

«  Jel  dis  por  bien ,  si  m'en  ont  vostre  amin 
«  Trestout  proie,  por  verte  le  vous  dis.  » 
—  «Volez-le-vous?  »  Fromons  li  respondi, 
«  Je  le  ferai,  puisqu'il  vous  siet  ensi.  » 

A  son  hostel  est  venus  Fromondins  : 
Les  cuves  font  d'iave  trestout  emplir'  ; 
Entrés  i  est  li  damoisiaus  de  pris  % 
Et  des  vallès  chascuns  la  soie  prist  ^. 
Là  véissiez  les  chamberlans  venir 
Qui  portent  robes  et  bons  dras  de  samis. 
Les  escuiers  aus  murs  et  aus  roncins  *, 
Aus  palefrois  et  aus  chevaus  de  pris. 
Fromons  envoie  Baucent  à  Fromondin  ^, 

1  Les  cuves  font.  Variantes  :  Une  grant  cuve,  —  Cin- 
quante cuves.  "Aucuns,»  disoit  encore  Antoine  de  la  Salle, 
sous  le  règne  de  Cbarles  VII,  •<  se  font  chevaliers  qui  sont 
«  baignés  en  cuves  el  puis  revestus  tout  de  neuf.  »  Compa- 
rez la  description  de  l'adoubement  de  Fromondin  avec 
ceux  de  Bègues,  tome  l" ,  page  64;  d'Auberi-le-Bour- 
goiug,  page  85;  de  Guillaume  de  Monclin,  page  aSg;  et 
surtout  avec  celui  de  Rigaut  que  nous  verrons  bientôt. 

2  De  pris,  précieux ,  illustre. 

3  Des  Vallès ,  des  damoiseaux  qui  accompagnaient  Fro- 
mondin. 

4  Aus  murs,  aux  ou  avec  les  mulets. 

5  Baucent,    cheval  d'un  certain  poil.  Voyez  lelymo- 


GARIN  LE  LOHERAIN.  i47 

Son  bon  destrier,  que  il  paramait  si  : 
Bone  est  la  selle  qui  de  Tolouse  vint'. 
De  plaine  terre  saillit  sus  Fromondins  % 
Fist  un  eslai,  arriéres  s'en  revint  3; 
Hurte  de  coste  dant  Bernart  de  Naisil, 
Por  un  petit  que  il  ne  l'abati. 
—  «  Sire  viellars ,  >  tout  en  riant  li  dit, 
«  De  ma  mesnie  serez  ,  je  le  vous  pri.  « 
Et  dist  Bernars  :  «  Sire,  voslre  merci! 

logie  proposée  de  ce  mot,  tome  F"^,  page  66.  Cependant, 
dans  le  Roman  du  Renard ,  le  nom  du  sanglier  est  Bau- 
cent  : 

Estoit  et  Bancens  li  sanglers, 
Li  pourciaus  i  fu  Wanemers. 

(Renard  le  Novel.) 
Et  ue  doit-on  pas  en  conclure  que  le  cheval  Baucent  avait 
le  poil  roux  du  sanglier? 

1  Le  Cordouan  de  Piovence  était  autrefois  célèbre, 
comme  on  le  voit  par  la  pièce  du  Concile  dApostoles  (édi- 
tion de  M.  Crapelet,  page  n5).  On  sait  qu'autrefois  on 
donnait  volontiers  au  Languedoc  le  nom  de  Provence. 

2  De  plaine  terre,  c'est-à-dire,  sans  le  secours  des 
étriers,  et  bien  que  revêtu  de  ses  armes  :  ce  qui  élait  un 
véritable  tour  de  force  fort  commun  dans  nos  Chansons 
de  Geste,  mais  sans  doute  fort  rare  dans  les  temps  histo- 
riques. Voyez,  dans  Sainte-Palaye,  la  citation  de  Percefo- 
rest :  «  Puis  vint  à  son  cheval,  et  saillit  sus  de  plaine 
«  terre,  que  des  estriers  ne  se  daigna  aider.  » 

3  Fisl  un  eslai.  Nous  dirions  aujourd'hui  :  caracola. 

7- 


i48  LI  ROMANS  DE 

«I  Par  tel  convent  que  ferez  mon  plaisir. 
«  Or  vous  convient  des  espérons  férir, 
«  Et  honorer  les  chevaliers  gentis  '  ; 
«  Donner  aus  pauvres  et  le  vair  et  le  gris. 
r  «  Car  une  chose  vous  aconte  et  vous  dis  : 
1     «  Nuns  avers  princes  ne  puet  terre  tenir  ^,  » 
^'  «  Ains  est  doraages  et  dolors  quant  il  vit. 
Dist  Fromondins  :  «  Je  ferai  vo  plaisir.  » 
El  vergier  entre  oii  li  mangiers  fut  mis: 
A  une  table  est  assis  Fromondins , 
Dejouste  lui,  Guillaumes  de  Mouclin. 

Huimais  devons  à  Begon  revenir. 
Forfaire  vient  de  sor  ses  anemins^: 
Diex  !  com  grant  proie  a  fait  li  dus  venir, 
Vaches  et  bues  et  moutons  et  bcrbis! 
L'arriére  garde  flst  li  dus  Auberis, 
En  l'avant  garde  Hues  del  Cambrisis; 
Dos  li  venerres  d'autre  part  se  r'est  mis, 
Devers  senestre  li  bons  vilains  Hervis. 


•  Et  honorer,  etc.  Ce  vers  ne  se  trouve  que  dans  les  mss. 
de  Navarre  et  7608.  Seul  il  peut  expliquer  le  suivant . 
Donner  aus  pauvres...- 

2  Nuns  avers  princes.  Voyez  tome  I'^'',  page  2^9. 

3  Forfaire  vient,  elc.,  il  vieut  de  porter  dommage,  nuire 
à  ses  ennemis.  [Du  Cange,  à  Forisfacere.) 


GARIN  LE  LOHERAO.  149 

En  son  vergier  li  quens  Fromons  se  sist; 
Il  vit  les  routes  de  chevaliers  venir'  ; 
Il  en  apelle  Bouchart  et  Harduin  : 

—  '<■  Qués  gens  sunt  ore  que  je  vois  là  venir?  » 
Et  dist  Bouchars  :  «  C'est  Bègues  de  Bélin , 

n  Qui  lez  nos  terres  vient  ardoir  et  bruir.  » 

—  a  II  a  grant  droit,  certes,  «  Fromons  a  dit, 
'<  S'il  en  povoit  au  deseure  venir  *, 

«  Il  vous  devroit  escorchier  trestoz  vis^ 
'<  Fis  à  putain  !  de  quoi  vous  movoit-il , 
'<  Quant  vos  signeur  osastes  envaïr 
t  En  traison,  et  sa  feme  tollir?  » 

—  «  Laissiez  ester,  »  dist  Bernars  de  iVaisil, 
«  Une  autre  chose  faites,  je  vous  en  pri  : 

«  Mandez  au  roi  le  tornoi,  le  matin  ^; 
n  S'esprouverons  vostre  fil  Fromondin 
«  Comment  saura  trestourner  et  guenchir.  « 
• —  «  Je  l'olroi  bien ,  »  Fromons  li  respondi. 

Il  en  apelle  dant  Josserant  le  gris  : 

—  «  Biaus  dous  amins,  alez-en  à  Pépin  ; 

r  Les  routes,  les  troupes ,  les  compagnies. 

»  Au  deseure  venir,  en  venir  à  ses  fins ,  triompher. 
Voyez,  dans  le  Romancero  français ,  la  chanson  de  Flore 
et  Blanche/leur,  page  65. 

3  Le  tornoi.  Dans  le  sens  absolu  de  lutte,  combat. 


i5o  LI  ROMANS  DE 

«  Dites  le  roi,  gardez  n'i  ail  menti, 
«  Que  chevaliers  est  mes  fils  Fromondins , 
rt  Et  nous  aroiis  le  toriioi ,  le  matin  ; 
n  Je  veus  savoir  com  le  fera  mes  fis.  » 
Dit  li  mesages  :  «■  Très  bien  le  sera  dit.  » 

Ez-vous  Begon  à  son  trcf  descendi. 
Il  fil  assez  qui  nouvelles  11  dit 
Comment  ses  frères  fu  batus  et  laidis. 

—  «  Si  va  de  guerre!  »  li  dus  Bègues  a  dit  '. 
Au  tref  le  duc  est  venus  li  niarchis, 
Trueve  Garin  qui  en  son  lit  se  gist; 

Il  fu  plus  noirs  que  n'est  charbons  estains^ 
Par  les  espaules  et  par  bras  et  par  pis. 
Bègues  le  voit,  si  l'a  à  raison  mis  : 
■■  —  «Levez-sus,  frères,  trop  i  avez  dormi j 
«  Ne  faites  mie  joians  vos  anemis.  » 

—  «  Je  nel  puis,  frères,  »  ce  dit  li  dus  Garins, 
«  Car  tant  me  duel  ne  me  puis  sostenir'.  » 
Vous  ist  ou  non  li  Loherens  Garins , 
Chaucier  le  fait  maintenant  et  vestir; 

Puis  sunt  monté  sor  les  chevaus  de  pris, 
A  quinze  contes  vont  à  la  cour  Pépin. 

I  Si  xa  de  guerre,  telle  est  la  guerre. 

»  Car  tant  me  duel  ne,  je  souffre  tant  que ,  etc. 


GARIN  LE  LOHERAIN. 

Li  rois  ot  joie  quant  il  le  vit  venir, 
De  ranc  en  ranc  sunt  entour  lui  assis. 


Atant  ez-vous  le  mesager  en  vint  '■ 
Que  de  Bordelle  li  ot  Fromons  tramis; 
Le  roi  salue  ,  com  jà  povez  oïr  : 
—  «  Cil  dame-Dieu  qui  onques  ne  menti , 
'<  Il  saut  et  gart  l'emperéor  Pépin , 
«  Sa  compeignie  et  ceus  que  je  voi  ci. 
«  Li  quens  Fromons  m'a  envoie  à  ti 
«  Et  si  te  mande,  de  par  lui  le  te  dis  : 
n  Chevaliers  est  li  siens  fis  Fromondins 
«  Et  de  tornoi  te  semont  le  matin.  » 
Et  dit  Pépins  :  «  Merveilles  puis  oïr  ! 
n  Je  cuidois  bien  Fromons  pais  me  quéist , 
«  Et  il  me  mande  le  tornoi ,  le  matin  ! 
«  Amis,  biaus  frères,  à  ton  signor  me  di 
«  De  tornoier  n'ai  encor  conseil  prins  ', 
«  Que  ma  gent  suut  moult  malement  laidi; 

I  En  'vint.  Nous  conservons  ce  vieux  gallicisme  dans  les 
phrases  :  s'en  venir,  le  messager  s'en  inni,  etc.  ;  mais  l'ad- 
dition du  pronom  se  me  semble  plutôt  dans  le  génie  de  la 
langue  italienne,  à  laquelle  nous  l'aurions  emprunté  vers 
le  xvi''  siècle. 

*  N'ai  encor  conseil  prins,  je  ne  suis  pas  encore  délibéré 
d'accepter  le  combat. 


i52  LI  ROMANS  DE 

«■  Par  ces  hauberges  en  gisent  bien  set  vint  \ 

"  Devant  deus  mois  ne  seront  mais  gari.  » 

Et  dit  li  mes  :  «  Merveilles  puis  oïr! 

«  Que  quens  palais  roi  de  France  aati 

«  De  tornoier,  et  il  l'en  faut  ensi  *; 

«  Tuit  cil  qui  l'oent  en  doient  dire  li.  » 

—  «  Amis  vassaus,  «  li  dus  Bègues  a  dit, 

«  Laissiez  ester  l'emperéor  Pépin  , 

«  Tant  que  sa  gent  soient  moult  bien  gari. 

«  Esmaié  sunt  de  ce  que  lor  avint , 

«  West  pas  merveille,  n'en  estoient  apris. 

«  Dites  Fromont  de  Lens  le  poestis, 

«  Qu'encontre  nous  s'est-il  là  dedans  mis  ^; 

«  Au  tornoier  ne  puet-il  pas  faillir. 

«  Se  demain  vient,  trouvera  au  férir.  « 

Derrier  lui  garde, si  voit  Rigaut  venir. 

Un  damoisel  fd  au  vilain  Hervi; 

Gros  out  les  bras  et  les  membres  fornis''^ 

1  Hauberges.  Ce  mot  se  prend  pour  loge  ou  logis,  en  gé- 
néral; et  dans  nos  poëmes  ,  loge  est  synonyme  de  tente. 

2  Que  quens  palais,  etc.,  de  ce  qu'un  comte  du  palais 
offre  le  combat  à  un  roi  de  France,  et  celui-ci  le  refuse. 
—  Fromont,  depuis  la  mort  d'Hardré,  avait  le  titre  de 
comte  du  palais.  (Voyez  tome  I*"^,  page  i53.) 

3  Qu'encontre  nous,  etc.,  qu'il  s'est  enfermé  dans  Bor- 
deaux pour  nous  tenir  tète. 

4  Les  bras.  Variante  :  Les  os. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  i53 

Entre  deus  iaus  plaine  paume  acomplij 
Larges  épaules  et  si  ont  gros  le  pisj 
Hireciés  fu ,  s'ot  charbonné  le  vis  ' , 
Ne  fu  lavés  de  six  mois  acomplis  , 
Né  n'i  ot  aive  se  du  ciel  ne  chai  *  ; 
Cotele  ot  courte,  jusqu'aus  genous  li  vint, 
Hueses  tirées  dont  li  talons  en  ist. 
Bagues  le  voit,  si  l'a  à  raison  mis  : 

—  «  Venez  avant,  »  fait-il ,  «  sire  cousins; 
«  Chevaliers  est  li  vallès  Fromondins, 

<c  Aisnés  es-tu  de  lui,  ce  m'est  avis; 

«  Vous  resérez  chevaliers ,  se  je  vis , 

't  Ains  demain  soir,  par  le  cors  saint  Denis. 

«  Et  si  vous  doins  le  cheval  Fromondln, 

«  Sur  coi  sera  au  tornoi,  le  matin.  » 

Rigaus  respond  :  «  Sire,  vostre  merci!  ■' 

Li  rois  l'oït,  si  a  bouté  Garin  : 

—  «  Avez  oï  du  forsené  que  dit  ?  » 
Et  dist  Garins  :  «  Merveilles  puis  oïr, 

«  Que  ce  donnez  dont  vous  n'estes  saisis  ; 
«  Mal  connoissiez  Fromont  le  poestis, 
«  Lui  et  Bernars  le  signor  de  Naisil , 
«  Qui  contre  vous  se  sunt  là  dedans  mis.  » 

•  Hireciés,  hérissé. —  Cliarbonné.  Variante:  Mascuvé. 
2  Né  n'i  ot  aive,  et  il  ne  coula  d'autre  eau  sur  son  visage 
que  celle  de  la  pluie. 

7. 


i54  LI  ROMANS  DE 

Respont  li  dus  :  «  Je  vous  ai  bien  oï, 
«  Vous  et  le  roi  qui  France  a  à  tenir; 
«  Forment  vous  ont  et  batus  et  laidis, 
«  Vous  les  doutez,  je  le  sai  bien  de  fi: 
«  Moi ,  je  nés  prise  vaillant  un  parisi. 
«  Se  devers  aus  vous  en  voiliez  tenir. 
«  Et  l'eussiez  et  juré  et  plevi, 
«  Si  averois  le  cheval  Fromondin. 
«  Mesagiers,  frères,  encorcs  le  te  dis  : 
«  Dites  Fromont  de  Lens,  le  poestis, 
«  Que  j'ai  donné  le  cheval  Fromondin, 
«  Maugré  Bernart  le  signor  de  Naisil, 
«  Haim  de  Bordelle,  et  le  conte  Harduinj 
«  Maugré  en  aient  trestult  li  Poitevin , 
«  Si  le  donral  mon  nevou  Rigaudin.  » 
Et  dit  li  mes  :  «  Je  vous  ai  bien  oï  ; 
«  Si  m'ait  Diex,  n'en  sera  mot  menti.  » 

Li  mesagiers  arrières  s'en  revint. 
Parmi  la  porte  ens  Bordelle  se  mist, 
Jusqu'au  vergier  ne  print-il  onques  fin 
Trueve  Fromont  soz  un  pomier  flori  ; 
Cil  chevalier  furent  par  le  jardin, 
Çà  dis,  çà  trente,  là  quarante^  là  vint: 
Si  com  il  virent  le  mesagier  venir, 
Entor  Fromont  maintenant  se  sunt  mis 
Por  les  nouvelles  escouter  et  oïr. 


GARIN  LE  LOHERA.m.  i55 

Fromons  le  voit,  si  l'a  à  raison  mis  : 

—  «  Di  va  !  »  fait-il ,  «  que  me  mande  Pépins'  ? 
«  Averons-nous  le  tornoi ,  le  matin?  « 

Et  cil  li  dist  :  «  Si  ra'aïst  Diex,  oïl. 

«  De  par  le  roi  i  eussiez  failli, 

n  Ne  fust  dus  Bègues  que  desor  lui  le  prist. 

'<  Iluecques  vis  un  damoisel  venir, 

«  Ce  fu  Rigaus,  fis  au  villain  Hervi; 

«  Ains  de  mes  ieus  tel  chevalier  ne  vis. 

«  Bègues  li  dus  l'apella  son  cousin, 

«  Nel  cela  pas  mais,  oiant  tuit,  li  dist 

«  Qu'il  lui  donrait  le  cheval  Froraondin.  » 

—  «  Fis  à  putain  !  »  li  quens  Bernars  a  dit, 
n  Fol  mesagier,  Diex  te  puist  maléir, 

«  Qui  tes  nouvelles  nous  a  ores  si  dif!» 
Et  dit  li  mes  :  «  Encor  a-il  plus  dit. 
«  Bègues  vous  mande  que  malgré  vostre  vis 
«  Et  le  parage,  quanque  de  vous  a  ci  ^, 
«  Si  aura-il  le  cheval  Fromondin.  » 

'  Di  va.  J'ai,  dans  le  premier  volume  (page  agS),  tenté 
d'analyser  celle  inlerjection  ;  mais  j'aurais  dû  remarquer  que 
Grégoire  de  Tours  emploie  déjà  wa,  dans  le  même  sens, 
"  Cum  (Chlothacarius)  graviler  vexabatur  à  febre,  aiebat  : 
«  A>a.'  quid  putalis  qualis  est  ille  rex  cœleslis,  quisiclam 
«  magnos  reges  interficit?  »  (Lib.  iv,  cap.  xxi.) 

^  Tes,  telles. 

^  Quanque,  autant  que. 


i56  LI  ROMANS  DE 

—  «  Jà  ne  l'ara,  »  li  quens  Bernars  a  dit, 
«  Le  sien  cheval  li  convenra  guerpir.  » 

—  «  Or  bellement  !  »  li  quens  Fromons  a  dit  ' , 
«  Mal  connoissez  dant  Bcgon  de  Bélin; 

«  Il  l'aura  tost ,  puisqu'il  l'a  entreprins. 
«  Alez  veiller,  Froinondins,  sire  fils  % 
«  En  l'onor  Dieu  qui  en  la  crois  fu  mis, 
«  Qu'il  vous  défende  de  honte  et  de  péril.  » 
Et  li  Vallès  s'en  va  à  Saint-Seurin  ^j 
La  nuit  veilla  ,  grant  luminaire  fist. 

Li  rois  de  France  enmi  les  champs  en  vint, 
En  sa  compagne  mil  chevaliers  de  pris. 

1  Or  bellement!  dans  le  sens  de  tout  beau!  On  le  dit 
encore  en  Champagne; — ^ comme  à  Paris  :  Joliment! 

2  Veiller.  Les  antiquaires  nous  parlent  tous  de  la  veille 
des  armes  comme  d'une  cérémonie  qui  devait  toujours 
précéder  Vadouhement.  En  effet,  l'usage  en  remonte  au 
moins  au  xiii®  siècle.  Mais,  dans  notre  poëme,  on  voit 
qu'originairement  les  damoiseaux  étaient  tenus  de  veiller, 
non  pas  avant  d'être  armés  chevaliers ,  mais  seulement 
comme  tous  les  autres  guerriers ,  la  nuit  qui  devait  pré- 
céder un  combat.  C'est  ainsi  que  Bègues  avait  veillé  avant 
de  combattre  Isoré  le  gris. 

'  3  Saint-Seurin ,  aujourd'hui  faubourg  de  Bordeaux, 
autrefois  cimetière  fameux  et  église  révérée,  dont  il  est 
fréquemment  parlé  dans  la  suite  du  poëme. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  iS? 

Et  dit  li  rois  :  «  Por  Dieu  entendez  ci  : 

«  Ains  puis  que  Bègues  de  moi  se  départi, 

«  Ne  pus  en  l'ost  resposer  né  dormir. 

n  De  l'eschargaite,  por  Dieu ,  qu'en  sera-il  '  ?  » 

—  «  Je  la  ferai,  »  dist  Bègues  de  Belin , 
«  Par  tel  couvent  com  vous  porez  oïr; 
«  Que  s'on  i  pert  vaillant  un  Angevin 

«  Je  en  rendrai  un  auferant  de  pris.  » 
Il  en  apelle  Huon  de  Cambrésis 
Et  de  Lembort  Gallerant  et  Gaudin , 
Et  si  apelle  le  Borguignon  Aubri  : 

—  «  Prenez  vos  armes ,  franc  chevalier  gentil , 
«  Si  veillerez  trestuit,  ensemble  mi.» 

Et  il  li  dient:  «  Tout  à  vostre  plaisir  !  » 
De  l'ost  issirent  de  chevaliers  dui  mil; 
A  quatre  portes  ont  lor  agais  bastis. 
Et  à  chascune  ot  cinq  cens  fervestis. 
Bien  gart  Fromont  et  sa  gent  à  l'issir*. 

Li  jors  s'en  va  et  la  nuis  asséri. 

«  L'eschargaite,  la  garde.  Il  est  ici  substantif  et  non  pas 
adjectif  comme  dans  le  tome  F',  page  20,  où  jai  eu  tort 
de  préférer  la  leçon  eschauguettes.  En  effet,  ce  mot  est 
formé  de  scara,  interprété  dans  les  monuments  du  tiii^ 
siècle  par  titrma,  actes;  et  de  wachte,  garde. 

*  Bien  gart,  il  prend  bien  garde  comment  Fromont 
sortira. 


i58  LI  ROMANS  DE 

Les  gaitcs  cornent  desor  le  mur  anti  ' , 

Fromons  se  siet  sor  le  pont  tornéis, 

Sa  gent  devise  si  a  ses  gaites  mis  ""; 

Puis  en  apelle  dant  Bernart  de  Naisil  : 

—  «  Issez-vous-en,  oncles,  »  Fromons  a  dit, 

«  Jusqu'aus  hauberges  les  alez  estormir; 

«  Qui  en  gieu  entre,  le  gieu  doit  consentir, 

«  Et  l'on  doit  bien  grever  sou  anerai.  » 

Respont  Bernars  :  «  Sire ,  vostre  merci  !  « 

En  l'ostel  vinrent  et  tost  furent  garni. 

Issir  vouloient  quant  la  gaite  lor  dist  : 

«  N'en  issez  mais,  franc  chevalier  gentil, 

«  Quar  Bègues  gaite  à  deus  mil  fervestis.  » 

Et  dit  Fromons  :  «  Je  ne  lo  pas  l'issir.  » 

Arrières  vint  dans  Bernars  de  Naisil  ^; 

Dist  Fromons  :  «  Oncle,  or  vous  povez  dormir, 

«  Plus  serez  frais  por  aidier  Froraondin.  » 

La  nuis  s'en  va,  et  l'ajornée  vint. 
Et  Fromondins,  par  main,  la  messe  oï^ , 
Puis  a  mangié  et  béu  un  petit  ; 
Il  se  cuicha  et  fu  tost  endormi. 

1  La  gaite,  sentinelle  de  la  ville. 

2  Si  a  ses  gaitcs  mis.  Fromonl  fait  ici  à  peu  près  ce  que 
nous  appelons  relever  les  postes. 

3  arrières,  par  derrière. 

4  Par  main,  au  malin. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  169 

Et  li  dus  Bègues  de  son  gait  est  partis  '  ; 

Par  les  entrées  des  très  en  l'ost  s'est  mis. 

Son  escuier  apelle,  si  li  dist  : 

«  Oste  la  selle  mon  auferrant  de  pris, 

«  Frote  le  dos,  par  Dieu ,  je  le  te  pri , 

«  Puis  li  remès  la  selle,  biaus  amins.  » 

Trestout  armés  se  cuicha  en  un  lit , 

Fors  son  espée  nule  rien  n'en  tolli. 

Dit  au  Borgoin  :  «  Or  faites  autre  si , 

«  Plus  serez  frais  quant  vous  oirez  le  cri.  » 

Li  jors  fu  biaus,  li  solaus  esclarcis  , 
Li  quens  Fromons  se  gisoit  en  son  lit;- 
La  fenestrelle  un  seul  petit  ouvrit, 
Et  la  clartés  le  fiert  enmi  le  vis. 
Tôt  maintenant  s'est  chauciés  et  vestis; 
Trestout  armés  fors  de  la  chambre  issi 
Cheval  demande,  et  on  li  fait  venir. 
Parmi  la  ville  les  a  toz  estormis. 
A  l'ostel  vint  son  enfant  Fromondin  ', 
Treuve  l'enfant  qui  dormoit  en  son  lit, 
Bernart  apelle  :  «  Çà  véez  de  mon  fil , 

»  De  son  gait  est  partis,  c'est-à-dire,  la  nuit  étaut  pas- 
sée, Bègue  quitta  son  poste  de  gaite  extérieure,  et  rentra 
dans  l'intérieur  du  camp. 

2  Son  enfant,  c'est-à-dire,  de  son  enfant. 


i6o  LI  ROMANS  DE 

«  Qui  se  déust  et  accroistre  et  norrir  '; 

«  Or  ri  convient  son  blanc  aubert  vestir  !  » 

A  vois  escri  :  «  Levez  sus,  Froniondins ! 

'<  Ne  devez  pas,  biaus  sires,  tant  dormir. 

«  Li  grans  tournois  jà  déust  départir.  » 

L'enfés  saut  sus,  quant  la  parolle  oï  : 

Li  escuier  vinrent  por  lui  servir, 

En  pou  de  terme  est  chauciés  et  vestis. 

Li  quens  Guillaumes,  li  sires  de  Monclin, 

Li  ceint  l'espée  à  la  renge  d'or  fin, 

Voiant  trestoz,  et  bellement  li  dist  : 

—  «  Je  te  chastois,  biaus  dous  niés  Froraondins  i, 

«  Ne  croire  mie  né  garçon  né  frarin  '  ; 

«  Haus  bons  seras  se  tu  longement  vis'', 

«  Or  soiez  fors  et  conquérans  tos  dis', 

«  Fel  et  estons  contre  vos  anemins  ®, 

«  A  maint  prodonime  donnez  et  vair  et  gris; 

«  Par  cest  afaire  monterez  en  haut  pris.  » 

ï  Et  accroistre  et  norrir,  prendre  du  corps  et  des  forces. 

2  Je  te  chastois,  je  te  recommande,  je  te  donne  en  leçon. 

3  Né  garçon  né  frarin,  ni  débauchés  ni  misérables. 
Du  moins  je  pense  que  tel  est  le  sens  de  frarin.  La  reli- 
gion ne  reconnaissait  que  des  frères;  mais  les  hommes 
de  peu  étaient  des  frarins. 

4  Haus  lions,  grand  seigneur. 

5  Tos  dis,  toujours. 

^  Fel  et  estons,  fin  et  rusé. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  i6i 

—  '  Tout  est  en  Dieu ,  sire ,  »  dist  Fromondins. 

On  li  amaine  un  bon  cheval  de  pris, 

Li  Vallès  monte,  que  volontiers  le  fist; 

Escu  ot  d'or,  à  un  lion  anti  '. 

Les  portes  fait  li  quens  Fromons  ovrir, 

Tous  les  serjans  fait  primerains  issir. 

Lisses  fait  faire  où  se  porront  tenir 

S'on  les  efforce,  por  lor  cors  garentir. 

Premiers  s'en  ist  li  vallès  Fromondins, 

Et  après  lui,  Guillaumes  de  Monclin. 

Après,  Bernars  et  Fauconnès  ses  fis. 

Et  de  Verdun  li  riches  Lancelins, 

Forques  et  Hues  et  de  Grantpré  Henris, 

Herbers  de  Roie,  Huèdes  de  Saint-Quentin, 

Robers  de  Boves,  Anjorrans  de  Couci, 

Pieres  d'Artois,  li  Flamens  Bauduins, 

Droés  d'Amiens  et  ses  fis  Amauris. 

Après  s'en  ist  li  quens  des  Beauvoisins , 

De  Montdidier  Gerars  et  Jocelins, 

Guis  de  Surgière  il  et  Simons  ses  fis. 

Après  s'en  ist  Forques  qui  tient  Aunis  , 

'  ytnti,  élevé,  droit.  Ce  passage  jusUfie  assez  bien  le  sens 
que  j'ai  donné  au  même  mot  dans  le  Romancero  français. 
J'ai  pu  me  tromper  en  prenant  le  latin  altus  pour  sa  ra- 
cine, mais  il  n'est  guère  possible  d'admettre  ici  celle  d'a«- 
t'tquus,  proposée  par  M.  Raynouard.  (  Voy.  Journal  des 
Savants,  février  i834.) 


iG2  LI  ROMANS  DE 

De  la  Rochelle  Aliaumes  li  floris, 
De  Mauléon  Joifrois  et  Savaris; 
Apres  içous  signors  que  je  vous  di, 
S'en  ist  Guillaumes  li  quens  aus  Poitevins, 
Et  de  Boorges  Thiebaus  et  Amauris, 
Et  de  Limoges  Jociaiimes  et  Gondrins. 
Adont  s'en  ist  Fromons  li  poestis. 
En  l'est  enforce  et  la  noise  et  li  cris. 
Là  véissiez  les  boisines  tentii-, 
Les  moniaus  et  corner  et  bondir  ', 
Et  les  banieres  encontre  mont  flatir. 
Là  sunt  arme  plus  de  quarante  mil, 
Por  Fromondin  le  chevalier  gentil. 

Nostre  emperères  fait  l'estendart  venir  2 , 

1  Les  moniaus.  Saos  doute  les  moiniaus  de  la  ville. 
On  donnait  ce  nom  aux  cloches  d'un  petit  diamètre, 
qu'on  employait  pour  former  une  espèce  de  carillon.  Ce 
mot  semble  avoir  l'origine  du  latin  monitum,  bas-lat.  mo- 
nitale.  Variantes  :  ménuiaus,  mojeniaus,  menolaus  et  mo- 
uines. 

2  L'estendart.  Dans  nos  anciens  auteurs ,  il  faut  toujours 
entendre  par  ce  mot  le  point  central  de  l'armée,  indiqué  par 
un  pal  ou  mât  quelquefois  fiché  en  terre,  le  plus  souvent 
dressé  sur  un  chariot.  Voilà  pourquoi,  chez  les  Italiens,  il 
n'avait  pas  d'autre  nom  que  celui  de  caroccio.  Au  sommet 
du  mât  se  développait  la  forme  ondoyante  d'un  dragon  dont 


GARIN  LE  LOHERAIN.  i63 

Si  le  fait  bien  de  chevaliers  emplir 
Et  de  serjans,  por  le  fais  soutenir. 
Premiers  s'en  ist  des  monts  d'Aussai  Tierris, 
Gerars  dou  Liège  et  l'Allemans  Ouris , 
Renaus  de  Toul ,  de  Bar  li  dus  Henris, 
De  Saint  Michiel  quens  Hues  li  floris; 
Après  s'en  ist  Hues  qui  Troics  tient, 
Et  d'Aspremont  Thiebaus  li  poestis. 
Après  chevauche  li  Loherains  Garins 
A  grant  compaigne  de  chevaliers  gentis; 
Cil  de  Tornucre  et  Garniers  de  Paris  ', 
Et  de  Nevers  li  prous  quens  Amauris; 
Cil  de  Chalons ,  de  Genevois  Thieris  '. 

]a  gueule  était  toujours  tournée  dans  la  direction  qu'on 
voulait  donner  à  la  marche  des  combattants. 

D'après  tous  les  textes  que  jai  vus,  et  surtout  d'après  le 
vers  du  tome  F"^,  page  38,  je  pencherais  à  croire  que  Ves- 
tendard  était  ordinairement  entouré  de  vastes  lices  ou  bar- 
rières. C'était  là  que  se  tenait  ce  que  j'appellerais  volontiers 
la  réserve;  c'était  là  d'où  partaient  les  chevaliers  pour 
fournir  leur  carrière  et  qu'ils  revenaient  quand  ou  les  avait 
forcés  de  reculer.  Ces  lices  peuvent  seules  complètement 
expliquer  le  vers  suivant. 

'  De  Tormiere.  Variantes:  D'Estorniere, — De  Comere , 
Tormirre ,  —  de  Gomerc.  Je  crois  qu'il  s'agit  ici  de  Ton- 
nerre. 

2  De  Genevois.  "Variantes  ;  De  Marmion , — El  d'Avalois. 
—  d'Aminois. 


i64  LI  ROMANS  DE 

S'en  ist  Achars  icil  qui  Rivicrs  tient, 
Hues  del  Mans  et  Jofrois  l'Angevins, 
Hunaus  de  Nantes  et  Salemons  ses  fis, 
De  Pierelate  Fouquères  li  petis; 
Après  Aliaume,  Guichars  qui  tient  Beaugi  '. 
De  Normandie  li  dus  Richars  en  ist 
Et  d'Orlenois  li  prous  qiiens  Hernaïs. 
Ancor  se  dort  li  prous  quens  Auberis, 
Bègues  ses  oncles,  li  Ardenois  Thieris, 
Gautier  dou  Mans,  Hues  de  Cambresis; 
La  nuit  veillèrent,  por  ce  dorment-il  si. 
Et  les  batailles  commencent  à  venir 
Le  petit  pas,  n'i  out  que  du  ferir. 
Premiers  dérange  li  vallès  Fromondins 
L'escu  au  col  haucié  et  avant  mis. 
Un  chevalier  va  maintenant  férir. 
Que  les  estriers  li  fait  amdui  guerpir^; 
Puis  rabat  l'autre,  si  que  bien  on  le  vit. 
Entre  dui  rens  nos  abati  Thierri. 
Trestuit  escrient  :  «  Or,  après  Fromondin*!  » 
Amont  dérengent  après  lui  si  ami. 
Devers  seneslre  li  Flamens  Bauduins , 
Pour  le  garder  qu'à  son  frain  ne  venist 

1  Aliaume  d'Avignon. 

2  Dérange ,  précisément ,  sort  des  rangs. 

3  Que,  au  point  que. 

4  Trestuit,  tous  ceux  de  son  parti. 


GARIN  LE  LOIIERAIN.  i65 

Nus  chevaliers  qui  le  péust  saisir; 
Et  devers  destre  Guiliaumes  de  Monclin, 
Hains  de  Bordele,  Bouchars  et  Harduins , 
Et  dans  Bernais  qui  durement  le  fist; 
Bien  puet  li  enfes  son  espoindre  fornir', 
Que  jà  par  homme  n'i  aura  contredit, 
Deci  que  vengne  dus  Bègues  de  Belin, 
Aubris  ses  niés,  Hues  de  Cambresis. 
Mais  il  se  dorment,  si  com  moi  est  avis. 

Et  li  tornois  fut  tôt  ensemble  mis  '  : 
Là  Dissiez  grosses  lances  croissir, 
Et  chevaliers  contre  terre  flatir 
Dont  li  cheval  fuient  par  les  larris. 
En  quatre  lieus  ou  en  cinq  ou  en  sis, 
Fu  li  tornois  et  grans  et  esbaudis  3. 
Trestûus  li  fais  en  vint  desor  Garin: 
Quatre  chevaus  li  ont  soz  lui  ocis. 
Li  dus  retourne  que  plus  nel  pout  sofrir; 
Desconût  fuissent,  quant  vinrent  Angevin, 
Breton  ,  Normant,  por  le  fais  sostenir; 
Mais  la  grant  gent  Fromont  le  poestis 

'  Li  enfes,  l'enfant.  —  Son  espoindre,  sa  carrière, 
î  Li  tornois  f(t  tôt  ensemble,  les  deux  baades  se  mêlè- 
rent conoplétcment. 

î  Esbaudis,  vif,  excilé. 


i66  LI  ROMANS  DE 

Soz  l'estcndart  font  les  nostre  vertir. 

—  «  Diex!  »  dist  li  rois,  «  aide,  saint  Denis! 
«  Défendez-moi  ne  soie  mors  né  prins. 

«  Où  est  dus  Bègues  qui  à  aus  s'aati  '  ?  » 
Uns  chevaliers  qui  de  langue  servi  : 

—  «  Sire,  »  dist-il,  «  ce  fut  après  le  vin  =>; 
«  Oublié  l'a,  en  nonchalloir  l'a  mis; 

«  Vous  ncl  verrez  hui  en  ester  venir.  « 
Uns  damoisiaus  que  Bègues  ot  norri 
Moult  durement  parla  et  si  li  dist  : 
«  Dans  chevaliers  vous  i  avez  menti! 
«  Li  dus  se  dort  qui  er  soir  l'agait  fist".  » 

Le  destrier  broche  des  espérons  d'or  fin, 
Ains  ne  fina,  as  hauberges  en  vint 

1  Qui  à  aus  s'aati,  qui ,  la  veille,  les  a  défiés. 

2  Ce  fut  après  le  'vin ,  c'est-à-dire  :  «  Bègues  avait  bu 
quand  il  accepta  hier  le  combat  ;  il  n'aurait  pas  parlé  ainsi 
à  jeun;  ou,  dans  tous  les  cas,  il  l'a  oublié.  »  Ce  chevalier 
qui  daube  auprès  du  roi  le  Loheraiu,  fait  allusion  à 
l'ancien  proverbe  :  Serment  d'ii-rogne,  doul  nous  avons  dé- 
tourné le  sens,  comme  de  la  plupart  de  nos  proverbes; 
heureux  quand  nous  n'en  avons  pas  corrompu  les  termes, 
comme  dans  nos  ridicules  Mars  en  carême,  —  Os  de 
boudin,  etc. 

3  Qui  er  soir  l'agait  fist,  qui  fit  sentinelle  hier  soir. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  167 

Dedans  le  ti-ef  où  li  dus  Bègues  gist  : 

—  '<  Levez  sus  ,  sire,  trop  i  povcz  dormir, 
«  Car  le  tornois  se  vuet  ja  départir. 

«  A  la  promesse ,  par  Dieu ,  avez  failli 
«  Que  vous  féistes  Rigaut  le  fil  Hervi.  » 

—  «  Çà,  mon  cheval,  »  li  dus  Bègues  a  dit, 
'<  Envolez  querre  mon  nevou  Rigaudin.  » 
Ains  que  li  dus  à  son  cheval  venist 

Li  baron  vieuent  et  li  dus  Auberis; 

Moult  doucement  lor  a  proie  et  dit  : 

«  Signor  baron ,  je  me  suis  aatis 

«  Contre  Froment  et  envers  ses  amis , 

«  De  mort  me  héent,  ce  set-on  bien  de  fi. 

'(  Ancor  verrez  bon  chevalier  en  mi  ; 

«  Prenez  vous  garde  de  moi  je  vous  en  pri.  » 

—  «  Moult  vollentiers,  »  ce  dist  li  dus  Aubris, 

Li  dus  s'en  torne  et  sa  gent  autresi. 

Bruient  baniercs  et  penoncel  fliori  '; 

Li  escu  hurlent  aus  hiaumes  poitevins, 

Levé  la  poudre  et  li  jors  oscuri  ^j 


'  Bruient,  bruissent.  Les  bannières,  que  les  hauts  ba- 
rons avaient  seuls  le  droit  de  tenir  et  autour  desquelles 
se  groupaient  les  penuons  ou  pennonceaux  des  écuyers  et 
moindres  chevaliers. 


î  Oscuri,  devient  obscur. 


i68  LI  ROMANS  DE 

Les  chaillous  fendent ,  s'en  font  le  feu  saillir. 
Sor  son  cheval  dus  Bègues  de  Belin 
S'en  va  plus  tôt  que  quarriaus  ne  traisist, 
Bernart  encontre,  si  l'a  à  raison  mis  : 

—  «  Où  est  aies  vostre  niés  Fromondins? 
«  Son  bon  cheval  ai  donné  Rigaudin.  >' 

—  «  Ne  l'ara  mie,  »  li  quens  Bernars  a  dit. 
Bègues  l'oï,  à  poi  n'enrage  vis  : 

Grant  coup  li  donne  de  l'cspié  Poitevin, 
Tout  estendu  l'a  jus  du  cheval  mis. 
Puis  abati  Guillaume  de  Monclin  , 
Le  tiers  encontre ,  eelui  a  fait  morir  '. 
Son  rang  sormonte,  s'a  son  poindre  forni  *. 
Lors  traist  Floberge ,  son  branc  d'acier  forbi , 
Entre  aus  se  lance,  de  bien  faire  aatis, 
Coupe  visaiges  et  bras  et  poins  et  pis. 
Diex!  à  quel  paine  Guillaume  de  Monclin 
Ont  remonté ,  et  Bernart  de  Naisil  ! 
Très  bien  i  pert  puis  que  Bègues  i  vint, 

I   Celui ,  ce  troisième. 

î  Son  rang  sormonte ,  c'est-à-dire,  en  frappant  devant 
lui,  il  se  Irouve  avoir  dépassé  les  rangs  opposés,  comme 
l'avait  fait  tout  à  l'heure  Fromondin.  La  posilion  du  jou- 
teur devenait,  dans  ce  cas,  fort  dan;;ereuse:  car  il  devait 
de  nouveau  se  faire  jour  au  milieu  des  ennemis  resserrés 
derrière  lui. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  169 

'X  Chastel!  »  esciie,  por  sa  geiit  esbaudir. 
—  -<  Diex  !  »  dist  li  rois,  «  li  dus  Bègues  est  ci  !  - 
Dist  l'uns  à  l'autre  :  «  Voirement  i  est-il, 
Il  Or  pert-il  bien  que  11  n'est  endormis.  » 
Devant  les  lices  commence  li  hustins  '. 
Diex!  com  le  fait  la  mainie  Pépin, 
Li  Avallois,  Hues  de  Cambresis  , 
Aubris  ses  nies,  li  chevaliers  gentis! 
Car  n'est  pas  gieus  de  tel  fait  soutenir. 

Bègues  regarde,  s'a  véu  Fromondin  : 
Dune  bataille  venoit  contre  Angevins; 
Plus  le  convoite  que  ferae  son  mari; 
A  haute  vois  à  escrier  se  prist  : 
—  '<  N'en  alez  mie,  biaus  sires  Fromondins, 
«  Ton  bon  cheval  ai  donné  Rigaudin, 
«  Et  il  l'aura  maigre  tous  tes  amis; 
«  Se  tu  fuiois,  tu  seroies  honnis.  » 
Fromondins  l'ot,  à  pou  n'enrage  vis. 
De  ce  Gst-il   que  prous  et  que  gentis: 
Vers  lui  adresse  le  cheval  sor  coi  sist 
Et  fiert  Begon  tant  com  il  pot  venir; 
Bègues  le  liert  com  bons  de  riche  pris. 
Tout  estendu  jus  dou  cheval  l'a  mis. 
Se  il  voulsist  le  chief  en  éust  prins, 

'   Les  lices,  ou  autour  de  l'éteudard  de  Fromonl. 
II.  8 


170  LI  ROMANS  DE 

IN'i  entent  pas,  mais  au  cheval  de  pris. 
Devant  lui  garde  ,  si  a  véu  Hervi  : 

—  «  Tenez,  villains,  cou  donnez  Rigaudin.  » 
Et  li  villains  a  le  destrier  saisi, 

Ains  ne  fina  jusqu'as  hauberges  vint. 

Dient  Franceis,  Normant  et  Angevin  : 

<i  Bien  a  dus  Bègues  son  couvent  acompli.  » 

A  la  rescousse  dou  vallet  Fromondin 
Yienent  poignant  Fouques  et  Jocelins, 
Et  Fauconès  qui  richement  le  fîst. 
Diex!  à  quel  paine  remontent  Fromondin! 
Li  quens  Fromons  fet  ses  serjans  venir  ; 
Volent  sajetes  corne  pluie  en  avril. 
Desoz  Begon  ont  son  cheval  ocis, 
Et  son  escu  li  atornèrent  si 
Tex  trente  cops  i  poissiez  véir, 
Par  le  menor  volast  une  pertris. 
Et  son  vert  hiaume  li  atornèrent  si, 
Li  cercles  d'or  sor  ses  espaules  gist. 

Uns  escuiers  le  va  noncier  Garin  : 

—  «  Ha!  riches  dus,  que  faites-vous  ici.? 
((  Begon  ton  frère  ont  ja  à  terre  mis, 

«  Entor  lui  sunt  si  mortel  anemin.  » 

—  'c  Signor  baron  ,  »  ce  dist  li  dus  Garins, 
«  Or  i  parra  qui  chevaliers  iert  ci.  » 


GARIN  LE  LOHERAIN.  171 

—  «  Sainte  Marie!  »  ce  dit  li  dus  Aubris, 
«  Se  le  perdons ,  nous  sommes  tuit  honnis.  « 

Qui  dont  véist  dérouter  et  venir, 
Des  brans  d'acier  sor  les  hiaumes  férir  : 
Sainte  Marie!  com  quens  Hues  le  fist, 
Et  Avalois  et  cil  d'outre  le  Rhin  ! 
Devant  aus  font  la  presse  départir; 
Begon  remontent  sor  un  cheval  de  pris. 
Devant  lui  garde,  voit  un  espié  gésir, 
Li  dus  se  baisse,  de  son  cheval  le  prist, 
Jà  s'adresçoit  devers  ses  ancmis. 
Garins  le  voit ,  par  la  règne  l'a  pris  : 
«  Que  vues-tu  faire,  enragiés,  maufes  vis? 
«  N'as  point  de  heaume,  il  t'aront  jà  ocis.  » 
Bègues  le  voit,  tout  en  est  csbahis; 
Met  à  son  chief  sa  main  ,  si  le  senti. 
Et  quant  nel  trueve,  moult  en  fust  entrepris. 
Uns  escuiers  qui  de  l'estor  revint 
En  son  bras  porte  un  heaume  qu'ot  conquis; 
Bègues  le  vit,  si  li  a  dit  :  «  Amis, 
«  Car  me  donnez  cel  heaume,  je  vos  pri.  « 
Et  cil  respont  :  «  Sire,  à  vostre  plaisir.  » 
Sor  la  ventaille  li  ont  le  heaume  assis  '; 

•   Sor  la  ventaille.  La  ventaille  de  la  première  anniire 
de  têle,  laquelle  n'avait  pas  été  brisée  en  raéme  temps  que 

8. 


172  LI  ROMANS  DE 

Un  escu  frès  qui  de  Toulouse  vint 
Li  aportèrtnt,  cil  volentiers  le  prist. 

Son  escuier  appela  Rigaudin  : 
«  Alez  savoir,  »  dist  li  dus,  «  biaus  amis, 
«  Se  Fromons  est  en  l'estor  esbaudis  '.  « 
Et  cil  respont  :  «  Si  m'aïst  Diex,  nenil  : 
«  A  ses  serjans  se  tient,  ce  m'est  avis  '.  » 
—  «  Or,  chevalier,  »  dist  Bègues  li  marchis, 
«  A  lui  irons,  cui  que  doie  abelir.  » 
«  Vostre  banière  baissiez  là,  biaus  amis.  » 
A  la  forclose  li  dus  Bègues  en  vint  ^ , 
En  sa  compaigne  chevaliers  plus  de  mil.  • 
Son  escuier  appela,  si  li  dit  : 

le  cercle  d'or  du  heaume.  C'est  un  fai(  assez  remarquable 
que  cette  manière  de  poser  le  casque.  La  ventaille  en 
était  donc  une  pièce  séparée;  sans  doute  on  l'attachait 
d'abord  par  devant  avec  un  simple  cordon  sur  le  haubert, 
puis  on  la  joignait  soliJeineut  au  casque  par  des  espèces 
d'agrafes. 

'  En  l'estor  esbaudis,  dans  le  vif  du  combat.  Mot  à 
mot  :  élancé  dans  la  lutte. 

2  A  ses  serjans  se  tient,  il  ne  devance  pas  ses  gens  de 
pied ,  il  reste  sous  Vestendard. 

3  A  la  forclose.  Je  n'ai  pas  encore  vu  ce  mot,  dont  le 
sens  paraît  être  précisément  celui  de  clôture  exté- 
rieure. 


GARIN  LE  LOHERAIN. 
"  Tenez,  dreciez  vostre  bannière  ici  '  !  « 
Fiomont  le  conte  fu  la  novele  oï  ' 
Loherenc  vienent  por  ses  scrjans  laidir; 
Il  a  mandé  le  Flamenc  Bauduin 
Hastivement  que  il  venist  à  lui. 
Diex  !  coin  lo  fait  dans  Bernars  de  Naisil  ! 
Mais  miens  le  fait  li  quens  aus  Poitevins. 
Des  Lohcrains  nos  i  ont  quatre  ocis, 
Parens  Begon  et  ses  germains  cuisins  ; 
Bègues  le  voit,  à  pou  n'enrage  vis  , 
S'or  ne  se  vange  ,  moult  se  prise  petit; 
Tant  com  il  puet  le  bon  cheval  férir, 
Férit  Guillaume,  le  comte  aus  Poitevins, 
L'escu  del  col  li  a  fendu  par  mi , 
Le  blanc  haubert  deront  et  dessarti , 
Tranche  l'cschine,  la  coraille  et  le  pis. 
Il  chaï  mors;  dont  enforce  li  cris. 

Et  sor  lui  vinrent  poignans  li  Poitevin. 
Droit  à  Fromont  li  mesages  en  vint 
Qui  li  conta  les  nouvelles  et  dit  : 
"  Mors  est  Guillaumes,  li  sire  aus  Poitevins, 

»  Tenez,  dreciez,  etc.  Bègues  a  soin  de  ne  faire  dé- 
ployer sa  bannière  qu'à  l'instant  de  joindre  les  ennemis. 
S'il  ne  l'eût  pas  fait  baisser  auparavant,  les  autres  auraient 
eu  le  temps  de  fuir  ou  de  se  préparer  à  les  recevoir. 

2  Promont,  par  Fromont. 


174  LI  ROMA.NS  DE 

"  Bègues  li  dus  l'a  de  sa  main  ocis.  » 

—  <<  Las!  «  dit  Fromons,  «  or  ai-je  moins  d'amis; 

«  Tos  li  domages  en  rt-venra  sor  nii.  » 

Il  n'ont  point  d'oir,  à  Fromont  eschaï 

Toute  la  terre  qu'en  son  demaine  tint  '. 

Et  Fromons  point  pour  les  siens  garentir. 
Après  les  queues  des  auferrans  de  pris 
Fait  les  serjans  tous  en  conroi  venir. 
Diex!  com  le  fait  li  Flamens  Bauduins! 
Et  Anjorans  nos  abat  Savari  ; 
Li  fils  Droon,  li  cortois  Amauris 
De  Pierelate  Fouquere  nos  ocit. 
Aubris  le  voit  à  pou  n'enrage  vis; 
En  son  escu  va  frapper  Amauri, 
Mort  le  trébuche,  ains  puis  ne  revesqui. 
Vers  le  Flanienc  li  dus  Bègues  guenchi, 
En  son  escu  va  ferir  Bauduin, 
Quens  fu ,  de  Flandres  dut  la  terre  tenir, 
L'escu  li  coupe  et  l'aubert  li  rompi, 
Empoint  le  bien  et  li  vassaus  chai  ; 
Iluecques  muert,  et  l'arme  s'en  parti. 


'  Qu'en  son  demaine  tint ,  que  Guillaume  tenait  en  sa 
puissance.  Ainsi,  par  la  mort  de  Guillaume,  Fromont, 
déjà  comte  d'Artois,  de  Boulonnois  et  de  Ponthieu,  devint 
comte  de  Poitou. 


GARIN  LE  LOUER  AIN.  175 

Li  cuens  Fromons  les  troi  contes  a  pris, 

S'es  fait  porter  à  Bordelle  la  cit. 

Quant  Flaiiienc  voient  que  lor  sire  est  ocis, 

Del  dfîmorer  ne  fu  plus  conseil  pris; 

Et  dit  Guillaumes  l'orguilleus  de  Monclin  : 

—  «  Frères  Fromons  ,  nos  sommes  escharni; 
«  Çaretornons;  nos  sommes  dcscoufi.  » 

Li  rois  de  France  moult  richement  le  fist, 
Et  de  sa  main  lor  en  a  deus  ocis. 

—  «  Monjoie  !  »  escrie  l'ensenjjne  Saint  Denis. 
Parmi  les  barres  et  parmi  les  postis 

Les  mettent  ens,  sept  vingt  en  ont  ocis  : 

Derrier  se  met  Guillaumes  de  Monclin  , 

Souvent  lor  saut  et  souvent  lor  guenchi. 

Bègues  l'enchauce  et  ses  niés  Auberis. 

En  la  chaucie  fu  grans  li  feréis , 

Li  quens  Guillaumes  moult  durement  le  fist, 

Il  s'aresta  sor  le  pont  tornéis 

Et  vit  Begon  ,  moult  fièrement  li  dist  : 

—  «  Fis  à  putain ,  maleurous  chaïlis  ! 

«  A  grant  dollor  nos  avez  hui  porquis  ; 
«  Mort  nos  avez  le  Flamenc  Bauduia, 
«  Et  destranchié  assez  de  nos  amis  ; 
«  S'en  tôt  le  mont  n'avoit  homme  que  mi 
«  Si  t'ociroie ,  par  ma  foi ,  ou  tu  mi.  » 
Et  dit  quens  Bègues  :  '<  Je  vous  ai  bien  01  ; 


176  LI  ROMANS  DE 

«  Se  m'atenilez,  je  vous  liens  à  hardi.  » 

Le  destrier  broche ,  de  sor  le  pont  se  mist. 

De  ce  fist-il  que  prous  el  que  gentis, 

Il  fiert  Guillaume  tant  coin  il  pout  venir, 

Si  l'abati  sor  le  pont  tornéis, 

Le  bras  sencstre  li  a  brisié  parmi. 

Au  retorner  que  li  Loherens  fist, 

Del  pie  d'arrière  à  li  chevaus  falli; 

Li  chevaus  chiet  et  li  bers  descend!  ^ 

Li  serjant  vienent,  si  ont  le  duc  saisi; 

En  la  cité  l'eussent  il  jà  mis , 

Entre  aus  se  lance  li  Barguignons  Aubris , 

Assez  en  a  destranchié  et  ocis, 

Son  oncle  enmaine  fors  dou  pont  tornéis. 

A  tant  ez-vous  le  Loherain  Gariu, 
Huon  del  Mans  et  Jofroi  l'Angevin  : 

—  «  Hé,  frans  dus  Bègues,»  li  emperères  dist, 
'<  Se  vous  eussent  et  retenus  et  prins, 

«  De  nostre  guerre  fuissiens  moult  amati.  » 

—  '<  N'en  verrez  autres ,  »  li  Loherens  a  dit  ^ 
Par  les  chans  gardent  où  fu  li  poignéis, 
Maint  bon  vassal  i  trouvèrent  ocis. 


»  Li  chevaus  chiet,  le  cheval  de  Bègues. 
2  N'en  verrez  autres,  vous  ne  verrez  plus  d'adversaires, 
ils  n'oseront  plus  sortir.  —  Li  Lolterains,  Bègues. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  177 

—  <(  Certes,"  dit  Bègues,  «  ci  ont  bon  ferréis; 
«  Sor  toutes  choses  itex  gieux  m'abelit.  « 

—  «  Diables  estes ,  >>  ce  dit  li  rois  Pépins. 


XXXVI. 


^-^grÇvï  Loherenc  sunt  del  champ  reparié; 
^  fàj^Perdu  i  ont,  mais  plus  i  ont  gaignié. 
Jifi,^jA.  Les  mors  enterrent  dont  il  furent  irié, 
Et  les  navrés  ont  aus  mires  baillé. 
Li  Bordelois  ne  furent  mie  lié  , 
Perdu  i  ont  des  lors  maint  chevalier. 
Trêves  demandent  de  ci  à  l'esclarier, 
La  place  font  tote  des  mors  vuidier, 
Chascuns  n'i  vout  le  sien  parent  laissier. 
En  une  bière  font  le  Flamenc  cuichier, 
Si  l'emportèrent  à  Saint  Seurin  mostier. 

De  sor  Guillaume  de  Poitou ,  le  guerrier, 
Véissiez  tous  plorer  et  larmoier. 
Droes  regrete  son  fil  au  cor  ligier  '. 
Li  cuens  Guillaumes  de  Monclin  ,  au  vis  fier, 
Ont  désarmé  tantôt  si  escuier; 

'  Son  fil,  Amauri,  qu'Auberi  le  Bourgoin  avait  tué. 


178  LI  ROMA.NS  DE 

Les  mires  mandent,  si  font  son  bras  lier. 

Et  Fromons  plore  ne  si  pout  atargier. 

Les  troi  barons  font  en  terre  cuichier  '. 

Puis  s'en  repairent  sus,  el  maistre  planchier. 

Icelle  nuit  n'i  ot-il  chevalier 

Qui  demandast  à  boire  n'a  mangier, 

Car  chascuns  fu  de  son  ami  iriés. 

Mais  Fromons  fait  les  dois  appareillier  ^, 

Les  napes  mettent  serjant  et  escuier. 

Cui  il  plaira  des  or  ponra  mengier. 

Des  or  devons  aus  roiaus  reparier 

Qui  en  l'ost  furent  baut  et  joiant  et  lié. 

N'i  a  celui  n'i  ait  cheval  gaingnié 

Ou  palefroi  ou  roncin  ou  destrier. 

L'iave  demandent,  assis  sunt  au  mengier. 

«  Les  troi  barons,  Baudoin  de  Flandre,  Guillaume  de 
Poitou  et  Amauri  d'Amiens. 

2  Les  dois.  Ce  mol  semble  avoir  ici  non  pas  l'acception 
de  siège  ou  de  dais,  comme  dans  un  grand  nombre  de 
cas,  mais  celle  de  me/i(dapes).  Variante  du  msc.  7628. 2": 
Les  mes. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  179 

XXXVII. 

z  vous  Rigaut,  le  fil  au  preu  Hervi  : 


kA  [K;^'  Bègues  le  voit ,  si  l'a  à  raison  mis 


'^^^^^  — «  Sires  Rigaus,  «  dit-il ,  «  biaus  clous  amis, 
«  Je  vous  ai  bien  vos  convens  acomplis.  » 

—  n  Non  l'avez,  sires,  fors  del  cheval  de  pris. 
(T  Vous  me  déistes ,  plus  l'oïrent  de  mil 
«  Que  je  seroie  chevaliers ,  sans  respit.  » 

—  «  Vous  le  serez,  »  li  Loherens  a  dit, 
a  Or  vous  alez  baigner  un  seul  petit, 
«  Et  vous  arez  et  le  vair  et  le  gris  *.  » 

—  «A  maléure!  »  Rigaus  li  rcspondi, 
n  Por  vostre  vair  qu'avez  et  vostre  gris 

'  Et  vous  arez  el  le  vair  et  le  gris;  c'est-à-dire ,  «  on  vous 
donnera  le  costume  que  les  chevaliers  seuls  ont  le  droit 
de  porter.  »  Pour  armer  un  chevalier,  il  ne  suffisait  pas  de 
lui  appliquer  la  colée ,  et  de  le  revêtir  de  toutes  ses  armes; 
l'usage  ancien  exigeait  encore  que  le  parrain  lui  donnât  le 
costume  de  cour,  c'est-à-dire,  et  le  vair  et  le  gris.  Sainte- 
Palaye  n'a  pas  suffisamment  expliqué  cette  circonstance  de 
Xadoubemcnt.  Ses  Mémoires  sur  l'ancienne  chevalerie  pré- 
sentent un  travail  précieux  encore  aujourd'hui  ;  mais  il 
serait  plus  complet  si  '.'auteur  avait  aussi  bien  connu  nos 
Chansons  de  Geste  que  Perceforest. 


i8o  LI  ROMANS  DE 

«  Or  me  convient  baignier  et  refreschir  '  ! 

'<  Ne  sui  chéu  en  gué  né  en  larris, 

«  Je  n'ai  que  faire  né  de  valr  né  de  gris; 

«  Trop  de  buriaus  a  mes  pères  Hervis  ".  " 

—  «  Et  je  l'otroie,  »  li  Loherens  a  dit  '. 

Mantel  ot  riche  et  pelisson  hermin 

Qui  li  traîne  demi  pié  acompli. 

Rigaus  le  voit,  pas  ne  li  abeli  ; 

Devant  lui  garde  un  damoisel  choisi, 

Un  coutel  porte  por  chevaliers  servir, 

Il  li  demande;  li  vallès  li  tendi, 

Et  il  en  coupe  bien  un  pié  et  demi; 

Entre  aus  le  giele ,  ne  li  chaut  qui  le  prisf*. 

1  Por  vostre  valr,  etc. ,  c'est-à-dire,  parce  que  vous  vou- 
lez me  revêtir  de  vos  riches  fourrures,  vous  exigez  que  je 
prenne  un  bain  :  mais  je  n'ai  que  faire  de  votre  vair,  et 
pour  me  laver,  je  n'ai  pas  couru  au  milieu  de  terrains 
humides  ou  poudreux. 

Toute  cette  scène  est  d'une  grande  importance  pour  la 
connaissance  des  mœurs  chevaleresques  les  plus  anciennes. 
Comparez  avec  YOrdèrte  de  chevalerie  (3*  volume  des 
Fabliaux,  édition  de  MconJ. 

2  Buriaus.  Wicot  dénnissait  encore, au  .xvi"  siècle,  le  bu- 
reau, «un  habillement  de  petit  pris,  dont  les  serfs  et 
le  menu  peuple  souloient  être  acoutrcz.  » 

3  Et  je  l'otroie,  je  le  veux.  C'était  le  premier  sens  du 
mot  octroyer. 

4  Entre  aus,  entre  les  valets. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  i8i 

—  <<  Por  quoi  l'as  fait,  biaiis  fis?  »  li  pères  dit, 
«  A  novel  homme  est-il  costume  ensi 

«  Que  li  traîne  et  li  vair  et  li  gris.  » 

Et  dit  Rigaus  :  «  Folle  costume  a  ci  : 

«  Or  puis  mieus  coure  et  lever  et  sallir.  » 

Et  dist  li  rois  :  «  Par  mon  chief ,  voir  as  dit.  » 

Begiies  demande  Froberge  au  poing  d'or  fin, 

Rigaut  la  ceint  qui  volentiers  la  prist; 

Une  paumée  ens  el  col  li  assist  ', 

Por  un  petit  que  il  ne  l'abatist  ^ 

Voit  le  Rigaus,  à  pou  n'enrage  vis; 

Il  met  la  main  au  bon  bran  acerin  , 

Fors  le  sacha  un  grant  pié  et  demi , 

Qu'il  en  voloit  le  bon  vassal  férir. 

Hervis  le  voit,  pas  ne  li  abeli  : 

—  «  Que  vues-tu  faire,  enraigés,  maufès  vis? 
'<  Il  est  costume,  et  on  le  fait  ensi.  » 

Et  dist  Rigaus  :  «  Maie  costume  a  ci, 

«  Mal  dahés  ait,  qui  primerains  la  mist!  >- 

'  Une  paumée,  un  soufflet  sur  le  derrière  de  la  tête  et 
non  pas,  comme  plus  tard,  un  coup  du  plat  de  l'épée. 
Sainte -Palaye,  a*"  partie  de  ses  Mémoires,  dit  que  quel- 
quefois, au  lieu  d'un  coup  de  plat  d'épée,  on  donnait  «  de 
la  paulme  de  la  main  sur  la  joue.  »  Je  crois  que  "  la  joue  » 
est  de  sa  conjecture. 

2  Ce  vers  ne  se  trouve  que  dans  le  Disc.  7533. 


i8a  LI  ROMANS  DE 

Li  Allemans  s'en  rit  et  Auberis. 
Et  dist  li  pères  :  «  Entendez  envers  mi; 
«  Se  tu  n'es  prous  et  chevaliers  gentis, 
«  Jà  Dieu  ne  plaise  qui  en  la  crois  fut  mis 
«  Que  tu  tant  vives  que  il  soit  esclairis.  » 

—  «  S'il  n'est  preudons,  »  dist  Bègues  de  Belin  i, 
«  N'est  mie  miens  li  chastiaus  de  Belin, 

«  Né  la  Valdoine,  né  mons  Esclavorins.  " 

Li  rois  de  France  apelle  Rigaudin, 
Dejouste  lui  à  la  table  l'assist. 

—  «  Faisons  le  bien,  >^  ce  dist  li  dus  Garins, 
«  Mandons  Fromont  le  tornois,  le  matin; 

'<  Contre  Rigaut  joustera  Fromondins.  >- 

—  «  Je  l'otroi  bien  ,  «  li  rois  Pépins  a  dit. 

Li  rois  apelle  Foucart ,  le  fil  Thierri , 

—  «  Alez  monter,  or  en  droit  sans  respit  '  ;  « 
Et  dit  li  dus  :  «  Or  entendez  à  mi  ^  : 

'  S'il  n'est  prodons.  Deux  mss.  seulement,  u"*  9654.  ^a3 
et  •]Sa.^'^,  donnent  ceUe  leçon;  tous  les  autres  por- 
tent :  S'il  est  preudons.  Sans  la  négation,  il  faut  sup- 
poser que  Bègues  garde  quelque  rancune  du  mouvement 
dont  Rigaut  n'avait  pu  se  défendre  en  recevant  une  pau- 
mée. 

»  Monter,  monter  à  cheval. 

3  Li  dus,  le  duc  Bagues. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  i83 

«  Dites  Fromont  de  Lens,  le  poestis, 

«  Chevaliers  est  Rigaus,  li  fils  Hervi  ; 

«  Je  l'aati  demain  vers  Fromondin. 

«  Rigaus  sera  sor  Baucent  le  flori. 

«  Dites' Bernart,  le  sire  de  Naisil , 

«  Et  le  linage  qui  tant  se  fait  hardi, 

«  Se  il  l'abatent  et  gaingnent  le  roncin , 

«  Quite  lor  clame  Gascongne  et  le  pais.  » 

Et  dit  li  rois  :  «  Folle  aatie  a  ci.  )- 

Et  cil  s'entorne  qui  la  parole  oï; 

Jusqu'à  la  porte  ne  prist  il  onques  fin. 

Tant  l'a  hurté  que  li  portiers  ouvrit. 

Vint  el  palais  où  li  quens  Fromons  sist, 

Et  en  un  lit  li  quens  Guillauraes  gist  '. 

Entor  lui  furent  assemblé  si  ami; 

Fromont  salue  si  tost  corne  il  le  vit  : 

—  'c  Sire,  "  fait-il ,  «  li  rois  m'envoie  ci, 

«  Li  seuechaus  et  ses  frères  Garins  ; 

"  Il  vous  demande  le  tornoi  le  malin. 

«  Chevaliers  est  Rigaus,  li  hs  Hervi  , 

«  Si  l'aati  li  dus  vers  Fromondin.  >' 

Et  dit  Bernars  :  «  Folle  aatie  a  ci, 

«■  D'un  pnutonnicr  né  destrange  païs, 

«  Vers  mon  nevou  qui  iert  cuéns  Palasins  2.  " 

»  Guillaumes,  Guillaume  de  Moniclin ,  blessé  dans  le 
combat  précédeut. 

»  Qui  iert  cuens  Palasins,  comme  l'avait  été  Hardré,  et 


i8/i  LI  ROMANS  DE 

—  «  Vous  dites  mal,  »  li  quens  Guillaumes  dit, 
<i  De  bone  genl  est  estrais  et  norris. 

«  Dont  n'est  ses  oncles  d'Orlenois  Heruaïs? 
«  Garins  est  oncles  Audegon  au  cler  vis'.  « 
—  «  Amis,  biaus  frères,  «  li  quens  Fromons  a  dit , 
«  Mi  homme  sunt  et  blecié  et  laidi, 
«  Li  plusor  mort ,  certes,  ce  poise  mi  ; 
«  De  tornoier  ne  suis  mie  garnis.  « 

—  «  Si  ferons ,  pères,  »  Fromondins  respondi, 
'(  Deux  mille  sommes,  sain  et  sauf  et  gari, 

«  Bien  les  porrons  endurer  et  sofrir.  » 
Trestuit  respondent  :  «.  Fromondins  a  bien  dit.  » 
Li  messagiers  arrières  s'en  revint. 
Conta  le  roi  ce  qu'il  avoit  oï. 

Li  Loherens  au  tref  Rigaut  en  vint  : 

—  «  Alez  veiller,  gentis  niés  Rigaudins, 
«  Mais  n'alez  mie  de  gent  aescheri , 

«  En  ceste  terre  sunt  tuit  vostre  anemin  ".  » 


comme  l'était  Fromont  de  Lens.  Celle  leçon  n'est  que  dans 
le  msc.  de  Navarre.  Tous  les  autres  répètent  : 

Vers  mon  nevou  ciii  il  ont  aati. 

'  audegon,  femme  d'Hervis  du  Plaisséis  et  sœur  d'Hé- 
loïse  d'Orléans. 

ï  La  plupart  des  surprises  et  des  vengeances  se  commet- 


GARIN  LE  LOHERAIN.  i85 

A  la  chapelle  del  baron  Saint  Martin 
Veilla  Rigaus,  de  ci  à  le  matin. 
La  messe  cscoute  Rigaus,  tote  l'oï, 
A  son  hostel  hastivcnient  en  vint; 
Pas  ne  mengne,  le  blanc  haubert  vesti. 
Quant  fil  arme's,  sor  son  cheval  salli, 
Ains  ne  fina ,  jusqu'as  hauberges  vint  ' , 
Et  après  lui  s'aroutèrent  set  vint; 
Les  grans  compaignes  lors  véissiez  venir, 
Bruir  banieres,  dont  il  i  out  sis  mil. 
Là  Dissiez  ces  olifans  tcntir, 
Ces  cors  sonner,  et  puis  et  vaus  bondir. 

Cil  de  Bordelle  commencent  à  issir; 
Li  serjant  sunt  aus  lices  establir, 
Et  li  tornois  commença  moult  matin. 
Diex  !  com  le  fait  Rigaus  li  fis  Hervi  ! 
Sor  tous  les  autres  en  ol ,  adès ,  le  pris. 
Li  quens  Guillaumes  l'orguillous  de  Monclin, 

talent  alors  dans  les  églises.  Voyez  les  reproches  que  Garin 
adresse  à  la  race  de  Fromont,  tome  I*"^,  page  i3o  : 

Garlaiii  vostre  aive  ne  volez  foilignier 
Qui  son  parrain  ocist  dans  un  mostier. 

Voyez  aussi  la  (in  du  beau  roman  à'Aubcii  le  Bourgoin. 
•  Jus(fu'as  liaubergcs.  Variante  :  Dusqu'à  Bordelle. 


i86  LI  ROMANS  DE 

Tous  désarmés  sor  un  cheval  salli  ', 

Bernart  apelle,  Fauconet ,  Jocelin  , 

Hain  de  Bordelle  et  le  prou  Harduin  : 

—  «  Franc  chevalier,  »  li  quens  Guillaumes  dist, 

«  De  mon  neveu  vous  pri,  de  Fromondin; 

«  Bègues  li  dus  et  ses  frères  Garins 

«  Sunt  chevalier  prou  et  loial  et  fin; 

«  Ne  fineront  s'aront  prins  Fromondin. 

'■  Jel'  sais  de  voir,  que  li  cuers  le  me  dit.  » 

XXXVIII. 

Ï^^^^EVANT  la  porte  fu  moult  grant  la  mêlée. 
^yU^Adonc  i  ot  maint  coup  donné  d'épée, 
j^Ç^!^-^Et  maint  vassal  gisant  goule  baée. 
Fromondins  sist  el  vair  de  Valfondée  ^ 
Qui  plustost  cort  qu'espervier  à  volée, 

I  Désarmés.  Sa  blessure  ne  lui  permettait  pas  de  pren- 
dre part  au  combat. 

>  El  vair  de  Valfondée,  c'est-à-dire,  sur  le  vairon  de  Val- 
fondée.  Variantes  : 

El  mur  de  vau  fondée. 
El  val  de  val  fondée. 
El  vair  de  val  formée. 
El  vair  de  pincenée. 

(Voyez  sur  pincenée,  la  noie  du  l''''  volume  au  mot 
pinconart,  page  40.) 


GARIN  LE  LOHERAIN.  187 

Et  fierl  Girart  en  la  large  dorée , 

De  souz  ia  boucle  li  a  fraite  et  trouée; 

El  cors  li  met  du  fer  une  tesée  ', 

Mort  le  trébuche  devant  lui  en  la  prée. 

XXXIX. 

?'5;S5^5'R'^^'T  fil  ia  noise  et  fîère  la  tenson  : 

^Fauconès  point  son  bon  destrier  gascon; 
Jv^fecEn  son  escu  va  ferir  Nevelon, 
Un  chevalier,  nés  fu  de  Besançon  : 
Mort  le  trébuche,  n'i  ot  confession; 
Et  Guis,  ses  niés,  nos  abati  Sanson. 
A  tant  ez-vous  le  palasin  Begon  , 
Lui  et  Rigaut,  Aubri  le  Borguignon, 
De  ci  ans  lices  les  niainent  de  randon. 
Li  serjant  sallent  entor  et  environ ,  - 

En  sanc  vermeil  teingnent  lor  gonfenons, 
A  tant  ez-vous  et  Seguin  et  Hugon , 
Et  Pinabel ,  Joscelin  et  Forcon. 

'   Une  tesée,  la  longueur  d'une  toise. 


i88  LI  ROMANS  DE 

XL. 

i^^èî'^'hkï^VANT  les  barres  sunt  enforcié  li  cri  : 
^pJ^K^Lc  jor  se  provent,  ce  sachiez,  li  hardi. 
;^^C&!s2«Et  Rigaus  point  le  bon  destrier  de  pris 
Et  liert  Girauine  le  nevoii  Alori  '; 
Anne  qu'il  et  ne  le  pot  garentir, 
El  cors  li  met  le  roit  espié  forbi; 
Mort  le  trébuche,  ensi.coni  je  vous  di. 
Plaisséis!  crie  et  trait  le  branc  forbi. 
Là  véissiez  un  grant  abatéis 
De  gens  navrés ,  de  mors  et  de  malmis. 
Et  Rigaus  point ,  va  ferir  Fromondin 
Parmi  les  reignes  de  l'auferrant  de  pris; 
Rigaus  fut  fors,  durement  le  féri, 
Il  prist  les  reignes  et  en  ses  bras  les  niist. 
Qui  dont  véist  crier  à  Fromondin  ^ 

'   6;//attw?e.  Variantes  :  Geralme. — yiUaume. 

2  A  Fromondin,  du  côté  de  Fromondin.  —  Qui  donc 
véist.  J'ai  déjà  remarqué  cet  ancien  gallicisme  qu'il  faut 
entendre  Chacun  eût  vu.  —  Ici  les  hauts  barons  entonnent 
tour  à  tour  leur  cri  de  guerre  pour  faire  accourir  leurs 
hommes  auprès  d'eux.  En  effet,  c'était  là  le  motif  véri- 
table du  cri  de  guerre.  J'ai  dit  ailleurs  (  tome  I""^,  page  258  ) 
que  l'usage  était  de  le  jeter  après  la  chute  de  l'ennemi; 


GARIN  LE  LOHERAirs.  189 

Li  uns  Bnrdelle !  et  li  autres  Couci! 
Li  autres  Lens  !  et  li  autres  Chaunil 
Droes  Amiens  qui  durement  le  fist, 
Et  Fauconès  Vausorel  quant  le  vit, 
Rogers  Clermont!  Bernars  crie  Naisil! 
Le  jor  i  ot  mains  chevaliers  ocis, 
Qui  à  dolor  sunt  del  siècle  parti. 
Onques  Rigaus  por  riens  ne  le  guerpi  ', 
Ains  le  tint  bien  et  nul  mal  ne  li  fist; 
Baisse  la  teste,  tôt  enduro  et  sofri. 
Cui  chaut  de  ce?  jà  l'eussent  ocis. 
Quant  à  Begon  uns  messages  en  vint 
Qui  li  escrie  :  «  Que  faites-vous  ici? 
«  Perdu  avez  vostre  charnel  ami , 
«  Rigaut,  l'enfant  que  vous  avez  norri  ; 
«  Ici  devant  se  combat  li  gentis, 
«  Et  sor  lui  sunt  si  mortel  anemi.  » 
Li  dus  Toi,  durement  s'esmarri. 

Entre  aus  se  fiert  li  Loherens  gentis, 
Corne  faucon  entre  oisillons  petis  ; 

c'est  que  le  vainqueur  avait  alors  besoin  de  ses  serjans 
et  écuyers,  pour  empêcher  le  vaincu  de  se  relever,  et 
pour  le  faire  prisonnier.  Ici  les  compagnons  de  Fromondin 
appellent  leurs  gens,  afin  d'entourer  Rigaud  et  de  l'em- 
pêcher d'échapper. 

'  Ne  le  guerpi,  ne  quitta  Fromondio. 


igo  LI  ROMANS  DE 

Au  branc  d'acier  les  destranche  et  ocit. 
Li  bers  Rigaus  tint  moult  bien  Fromondin, 
N'en  pot  estordre,  ains  l'enmainne  tôt  vif, 
Et  puis  i-eprent  Faucon  et  Jocelin, 
Et  Gallerant  et  son  frère  Gaudin, 
Huon  le  prou  et  son  frère  Sanguin  , 
Et  Fauconet,  fil  Bernart  de  Naisil. 
Que  vous  diroie?  dis  en  enmainne  pris. 
Jusqu'as  hauberges  ne  prisrent  onques  fin; 
Si  les  commande  Garnier  et  Morandin  '. 

XLI. 

Vv^gâ^ROiT  as  hauberges  est  Froraondins  menés, 
^^PK^Et  tuit  li  autre,  là  les  ont  desarmés. 
;^3^5^Ens  en  l'estor  est  Rigaus  retornés; 

Et  Bègues  point  le  destrier  sejorné 

Et  fiert  Gérart  qui  de  Liège  fu  nés  %  ,<^ 

Mort  l'abati  à  l'entrer  del  fossé. 

Lors  furent  moult  courécié  et  irié 

Por  Fromondin  qui  en  estoit  mené. 

I  Si  les  commande,  Rigaud  les  confie  à.... 
»  Etjicrl  Gérart,  etc.  Variantes  ; 

Et  fiert  Simon  qui  du  Liège  fu  nés... 
Et  fieit  Simon  qui  fu  de  Bleves  liés. 
Et  fiert  Gérait  qui  fu  de  Balesgués. 
El  Bcrnars  [loiut  le  destrier  séjourné 
Si  fiert  Gerarl  k'à  terre  l'a  jeté. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  191 

Bernars  guenchi,  qui  moult  les  a  grevés, 
Se  ne  fust  Bègues  partant  fust  recovrés. 
Li  dus  rencontre  qui  n'est  espoentés  , 
Grant  cop  li  donne  dou  branc  qui  fu  letrés, 
Le  sorcil  coupe  et  le  cercle  doré. 
Grant  fu  li  cous ,  Bernars  fu  estonnés , 
Ne  fust  la  coiffe  du  blanc  haubert  safré 
Mien  escient,  jà  l'éust  afiné. 

Lohérenc  poignent,  qui  furent  eschauffé 
Comme  li  pors  qu'est  iriés  et  enflés; 
Parmi  les  lisces  les  ont  outre  menés. 
Va  s'en  Fromons  tôt  fu  desbarretés  ' , 
Bernars  ses  oncles  fu  durement  navrés. 
Parmi  Bordelle  en  est  li  cris  levés. 
Et  Fromons  est  sus  el  pallais  montés 
Plus  tost  quil  pot  est  li  bers  desarmés; 
Por  Fromondin  est  durement  iriés. 
Si  ami  l'ont,  le  jor,  moult  regreté. 
Li  quens  Guillaumes  a  les  mos  escotés 
Que  Fromondins  ses  niés  en  est  menés  : 
—    Diex!  »  dist  li  quens,  «  je  le  savoie  assés, 
«  Mauvaisement  fu  de  nos  gens  gardés. 
«  Et  que  fist  dont  dans  Bernars  l'adurés  ?  » 

>  Desbarretés ,  rejeté  hors  des  barrières  qu'il  avait  dis- 
posées lui-même  autour  de  Vestendard. 


192  LI  ROMANS  DE 

Ce  dist  Fromons  :  '<  Durement  est  navrés. 
«  Jel  vis  chéoir  de  delez  un  fossé. 
«  Se  je  ne  fusse,  sachiés  en  fust  menés.  » 
Ce  dist  Guiliaumes  :  «  Il  fust  mal  ostelés. 
«  Par  de  delà  à  chevaliers  assés  '.  » 

XLII. 

âSr^As!  »  dist  Fromons,  «  que  pourrai  devenir? 
«  Je  sai  de  voir  menés  en  est  mes  fis, 


firTr^*"^: 


liJKiè-^'  «  Mais  je  ne  ais  s'il  est  ou  mors  ou  vis. 

a  Se  je  le  pers,  j'en  esragerai  vis, 

«  Né  jamais  jor  ne  quiers  terre  tenir. 

«  Mais,  par  l'apostre  que  quierent  pellerin, 

'(  Je  m'en  irai  demain  au  roi  Pépin; 

«  Si  me  raetrai  del  tôt  en  sa  merci, 

«  Toute  Bordelle  li  renderai  sans  fin 

«  Par  tel  couvent  que  r'aurai  Fromondin.  « 

Et  dit  Guiliaumes:  «Vous  nos  volez  honnir; 

«  Frans  chevaliers,  ne  faites  pas  ensi. 

•  Par  de  delà  à  chevaliers  assés.  Je  croirais  assez  que. 
dans  toutes  les  leçons  il  manque  un  vers  après  celui-ci. 
Guillaume  de  Monclin  veut  dire  :  «  Si  Bernars  avait  été 
pris,  il  aurait  été  mal  reçu;  de  l'autre  côté  sont  des  che- 
valiers en  grand  nombre  qui  lui  auraient  fait  chèrement 
payer  ses  déloyautés  précédentes.  » 


GARIN  LE  LOHERAIN.  igS 

"  Atetulez  tant  que  je  soie  garis, 

'<  Que  je  pourai  mes  garnemens  sofrir, 

«  Et  que  je  puisse  chevauchier  fervestis; 

«  Se  Diex  donast  que  nuns  d'aus  i  fust  prins  ', 

«  Dont  pouriez-Yous  parler  au  roi  Pépin, 

«  Que  n'en  seriez  blasmés  né  escharnis  » 

Huimais  devons  à  nos  Roiaus  venir: 
Au  tref  le  roi  sunt  au  mangier  assis  ; 
Rigaus  se  sist  de  lez  le  duc  Garin  '. 
Li  uns  à  l'autre  le  consilla  et  dist  : 

—  «Veez  Rigaut,  le  fil  au  duc  Hervi; 
«  Sainte  Marie!  com  il  hui  bien  le  list! 
«  De  nostre  gent  en  a  porté  le  pris  '. 

«  S'ensi  se  tient  com  il  a  entreprins  *, 
«  Mieudres  de  lui  ains  en  cheval  ne  sist.  » 

—  «  Sires,  Rigaus,  «  ce  dist  li  rois  Pépins, 
«  Car  me  rendez  Faucon  et  Joscclin , 

«  Et  tos  les  autres  et  l'enfant  Fromondin.  » 

—  «  Et  je  por  coi,  sires?  »  Rigaus  a  dit. 

>  Nuns  d'aus.  Quekiu'un  des  Lorrains,  dont  on  pourrait 
proposer  l'échange  avec  Fromondin. 
»  De  lez  le  duc  Garin.  A'ariante  : 
Lez  le  iluc  .\ub<-ri. 

^  En  a  porté.  N'oiis  dirions  aujourd'hui  :  a  emporté. 
4  Entreprins ,  commence. 

II.  9 


194  LI  ROMANS  DE 

«  A  vous  que  tient,  s'en  l'estor  les  ai  pris'  ?  » 

—  <<  Jel  vos  dirai.  »  Ce  dist  h  rois  Pépins. 
•  Il  est  costume  en  test  nostre  païs, 

«  L'ernois  est  vostre  et  miens  en  est  li  pris  '.  » 

—  »  Mal  dahés  ait,  »  dit  Rigaus,  «  qui  le  fist  3! 
«  Je  les  menrai,  certes,  au  Plaisséis, 

'<  Là,  les  cuis-je  contre  Fromont  tenir''. 

«  Soz  ciel  n'a  homme  se  mes  voUoit  tollir* 

«  Que  ne  l'ousasse  de  m'espée  férir.  » 

Li  rois  loi ,  forment  s'en  esmari  ; 

Dist  à  Garin  :  «  Ez-vous  vostre  cousin 

'■  Qui  me  menasse  ?  par  le  cors  saint  Martin  , 

«  Outrage  fait;  ne  li  ai  desservi.  » 

—  «  Sires,  »  dist  Bègues,  «  il  ne  set  que  il  dit.  » 
"  Ains  est  moult  fels ,  »  l'empereres  a  dit. 

'  j4  vous  que  tient,  que  vous  importe.'' 

2  L'ernois  est  vostre,  etc.,  c'est  à-dire,  le  harnoiÀ,  les 
dépouilles  appartieonent  à  celui  qui  a  fait  la  prise,  et  le 
prisonnier  appartient  au  roi.  Variantes  : 

L'onor  est  vosire  et  miens  en  est  li  pris.  — 
L'avoir  est  vostre  et  miens  en  est  li  pris. 

3  Qtii  le  fist,  qui  a  jamais  suivi  cette  coutume. 

4  Contre  Fromont.  C'est-à-dire  :  je  crois  bien  que  Fro- 
mont n  aura  pas  à  traiter  de  la  rançon  de  son  iils  devant 
un  autre  que  moi. 

5  Mes,  me  les. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  igS 

—  .<  Rigaus  !  «  dit  Bègues,  «  cscoiUez,  biaus  amins: 
«  Nus  ne  se  doit  vers  son  signor  tenir  '.  " 

Et  dit  Rigaus  :  «  Je  ne  tieng  riens  de  lui.  >' 

—  '<  Vous  en  tenrez;  si  pensez  del  servir^, 
«  Sa  vollenté  faites  et  son  plaisir.  » 

—  Voilez  le  vous?  »  Rigaus  li  respondi. 

—  «  Oïl,  biaus  niés,  »  ce  dit  li  dus  Garins. 
Lors  dist  au  roi  :  «  Sires,  je  les  vous  quit.  » 

—  «  Je  les  vos  rent,  »  ce  dist  li  rois  Pépins. 

—  «  Or  n'i  a  plus ,  »  dist  Bègues  de  Belin  ^; 
«  Nous  en  irons  de  ci  au  Plaisséis, 

«  Si  enmenrons  Faucon  et  Jocelin, 
<  Et  avoc  eus  le  vallet  Fromondin. 

De  l'ost  se  partent  chevaliers  quatre  vint -• 
Là  véissiez  le  bon  chastel  garnir, 
Encortiner  de  dras  et  de  sainis; 
Les  encensiers  par  les  rues  tenir*, 

«   Vers  son  signor  tenir,  obsliner  contre  son  seigneur. 

»  Vous  en  tenrez.  Celte  réplique  prouve  que,  dans  le 
fond,  Rigaut  avait  raisoa  et  que  le  roi  ne  pouvait  rien 
exiger  que  de  ses  vaisaux  unmédiats.  Les  autres,  comme 
Rigaut ,  pouvaient  fièrement  lui  répondre  ;  Je  ne  tiens 
rien  de  vous! 

3  Or  n'i  a  plus ,  brisons-là ,  tout  est  dit. 

4  Les  encensiers,  les  encensoirs.  L'action  d'encenser  n'est 
proprement  que  celle  de  parfumer  une  place.  Autrefois  les 

9- 


196  LI  R03IANS  DE 

Tresces  et  baus  encontre  lui  venir  ', 
Et  de  Vallès  behorder  plus  île  mil. 
A  moût  grant  joie  fu  Rigaus  recoillis, 
Et  de  sa  mère  baisiés  et  conjoïs. 
En  la  grant  tor  qui  sor  la  roche  sist 
Ilueques  metent  le  vallet  Fromondin  , 
Ensemble  o  lui  Forcon  et  Jocelin. 
En  la  tornelle,  par  devers  le  jardin, 
Metent  les  autres;  si  le  commande  Hervis. 
Et  si  commande  que  bien  soient  servis  ^. 

Il  ont  mengié  et  béu  à  loisir. 
Ez-vous  un  mes  qui  s'en  vint  à  Hervis  , 
Qu'aval  ez  Brouces,  né  gaires  loin  d'iqui  ^, 
Quatre  grant  nef  s'estoient  el  port  mis; 
Dedans  Bordelle  iront  à  l'anuitir. 

encensoirs  u'étaieut  pas  confinés  dans  les  églises  et  l'on  eu 
faisait  un  fréquent  usage  dans  les  réunions  seigneuriales. 
I  Tresces  et  baus,  rondies  et  danses.  La  tresce  répon- 
dait assez  bien  au  tripudium.  antique  :  et  qui  voudrait 
approfondir  la  matière  y  reconnaîtrait  beaucoup  d'ana- 
logie avec  noire  Ta/se. 

ï  Que  bien  soient,  que  ses  hôtes  et  lui  soient  bien  servis, 
et  non  pas  les  prisonniers. 

3    Brouces  ou  broussailles,  lieu.x  remplis  de  bruyères. 
Ici,  es  doit  èlre  un  nom  propre. 


GA.RIN  LE  LOHERAI>\  197 

Tôt  maintenant  les  fet  monter  Hervis  ' , 
A  val  ez  Brouces  tôt  maintenant  en  vint. 
Li  Borgoins  et  le  blanc  haubert  vesti , 
Bègues  li  dus,  Hues  de  Cambrésis; 
Li  marchéant,  au  mangicr  sunt  assis. 
N'en  soient  mot ,  tant  qu'il  furent  sorprins  : 

—  «  Ne  vous  movez ,  »  li  Loherens  a  dit, 
Et  cil  lor  dient  :  <  Signor!  por  Dieu  merci, 
«  Prenez  l'avoir,  si  nos  laissez  garir  !  » 

—  "  Droit  en  avez,  »  dist  Bègues  li  gentis , 
«  Car  n'avez  mie  ici  mort  desservi.  » 

Les  barges  vuident,  le  granl  avoir  ont  prins  , 
Et  la  viande  et  le  pain  et  le  vin , 
Les  pallefrois  et  les  destriers  de  pris. 
Moult  en  mena  li  dus  au  Plaisséis, 
Il  s'en  tramet  et  le  roi  et  Garin  '  ^ 
Et  lor  envoie  par  le  Borgoin  Aubri. 

Bègues  s'en  va  au  chastel  de  Bélin 
A  sa  moillier  que,  pièce  a,  ne  la  vit. 
Grant  joie  en  fait  la  belle  Biatrix 
Et  prent  l'espée  par  la  renge  d'or  fin. 

—  "  Sire,  »  dist -elle,  «  bien  puissiez-vous  venir  !  » 

'  Les  fet  monter,  il  fait  monter  à  cheval  les  gens  de 
guerre. 

2  //  ('en  tramet,  etc.,  et  il  en  transmet  (envoie)  an  roi. 


igS  LI  ROMANS  DE 

Au  mengler  sunt  tout  maintenant  assis; 
Après  mcngier  se  cuichièrent  dormir. 
Et  dist  Rigaus  :  -<  Oncles  levez  matin, 
«  Hons  qui  guerroie  ne  doit  mie  dormir.  » 
La  nuit  sejornent ,  tant  se  lievent  matin 
Qu'à  Blancafort  furent  à  l'ensérir  '  ; 
Les  haubers  restent ,  s'ont  lor  gent  establi. 

Cil  de  la  ville  ne  se  sunt  garde  prins 
Que  de  nul  homme  déussent  estre  assis; 
En  droit  la  tierce,  font  les  portes  ovrir  ', 
Oietent  les  proies  qu'il  orent  laiens  mis. 
De  nostre  gent  se  sunt  trente  partis 
Sor  les  destriers,  si  ont  la  proie  pris. 
Ens  el  chastel  est  enforciés  li  cris: 
I;Ors  s'en  issirent  de  ci  à  quatre  vint, 
La  proie  cuident  sauver  et  garentir; 
Li  agais  sault,  qui  s'est  el  bruillet  mis, 
Si  les  remainnent,  arriers  les  ont  flatis, 
Trestuit  ensemble  sunt  en  la  ville  mis; 
Le  marchié  prennent,  si  i  ont  le  fu  mis. 

En  la  tor  entrent  Jofrois  et  Gacelins  ^, 

I  A  l'ensérir,  au  soir  tombant. 

ï  En  droit  la  tierce,  le  leudeniain  à  neuf  heures  du  matin. 
3  Jofrcis  et  Gacelins,   les  gouverneurs  de  Blancafort 
pour  Guillaume. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  199 

En  leur  compaigne  chevaliers  trente  six  , 

Contre  mont  lievent  le  grant  pont  tornéis, 

Léans  ot  pou  et  de  pain  et  de  vin. 

Et  li  dus  Bègues  a  tôt  le  chastel  prins  , 

Mais  que  la  tor,  et  celle  a  bieu  assis  '  ; 

Il  en  appelle  Jofroi  et  Gacelin  : 

—  n  Rendez  la  tor  dont  vos  estes  saisi; 

'<  Ou,  par  la  crois  où  Jesus-Cris  fu  mis, 

«  Je  vous  ferai  de  maie  mort  morir.  « 

Dit  Gacelins  :  «  Donnez-moi  un  respit, 

«  Qu'à  mon  signor  enverrons  le  matin, 

«  Le  riche  conte  qu'en  Bordeaus  est  assis; 

«  Se  li  quens  vuet  nous  nous  lairons  morir: 

<i  Del  tout  en  tout  ferons  à  son  plaisir. 

«  La  tor  est  forte,  de  l'uevre  as  Sarrasins  '', 

«  Et  haute  et  droite,  niout  par  est  de  grant  pris, 

•<  Mont  bien  se  siet  sor  une  roche  bis, 

a  Elle  ne  doute  né  piere  né  engin.  ^ 

Et  dist  li  dus  :  «  Moi  est  bel ,  Gacelins, 

«  Conduit  vous  doins  de  ci  au  revenir.  » 

Un  escuier  ont  porchascié  et  quis; 
Jusqu'à  Éordelle  ne  prist-il  onques  fin, 
Vint  à  la  porte,  à  escrier  se  print  : 

•  Mais  que ,  moins,  —  à  l'exception  de. 

»  As  Sarrasins,  c'esl-à  dire  aux  païens,  aux  Romains. 


ÉÊÊm 


aoo  LI  ROMANS  DE 

«  Ouvrez  la  porte,  pi)r  Dieu,  hunis  tlous  amins, 

«  Messagiers  sui  Giiillaunif  le  marchis  !  « 

Et  cil  respont:  «  Pur  noient  l'avez  dit, 

«  Défendu  l'a  Fromons  li  poestis , 

«  Qu'on  n'en  lait  un  né  aler  né  venir  : 

"  Attendez-moi,  j'irai  parler  à  lin'.» 

—  «  Or  vas  dont  tost,  »  li  vallès  respondi. 
Et  li  portiers  sus  en  la  salle  vint. 

Où  voit  Guillaume,  maintenant  li  a  dit  : 

—  «  Là  de  fors  a  un  escuier  gentil 

«  De  Blancafort  est-il,  si  com  moi  dit, 
"  Qui  vos  demande  et  vuet  parler  à  ti.  » 
Et  dit  Guillaumes  :  «  Ci  le  faites  venir!  » 
Dist  li  portiers  :  «■  Tost  à  vostre  plaisir!  « 
Le  pont  avalle  et  si  l'a  dedans  mis. 

Jusqu'au  palais  ne  print  il  onques  fin  ; 
Voit  les  barons,  à  raison  les  a  mis  : 
«  Liquex  a  non  Guillaume  li  marchis?» 
Et  ois  respont  :  «  Bien  le  sarez,  amins  ^ 
«  Vééz-moi  ci;  dites  vostre  plaisir.  » 

—  «  Sire,  "  dit-il,  «  Elança  fors  est  assis  : 
«  A  vous  m'envoient  Jofrois  et  Gacelins , 
«  Que  li  chasliaus  est  forment  dégarnis; 

«  Fallislor  est  et  li  pains  et  li  vins. 

«  Ne  puevent-ils  mais  longuement  tenir 

«  Contre  Begon  qui  a  la  tor  assis; 


GARIN  LE  LOHERAIN. 

-'  Et  si  mandez,  dites  vostre  plaisir.  » 

—  «■  J'en  parlerai,  »  li  quens  Guillaumes  dit. 
Devant  Guillaume  est  venus  de  Monclin  ', 
Fromonl  apelle  et  Bernart  de  Naisil  : 

—  «  Consilliez  moi ,  franc  chevalier  gentis, 
n  Je  pers  ma  terre  et  trestout  mon  pais: 

»  Bègues  li  dus  a  Blancafort  assis, 

«  Ma  gent  me  mande  qu'il  ont  mestier  de  mi, 

<  Faillis  lor  est  et  li  pains  et  li  vins.  " 

—  «  Laissiez  ester,  »  li  quens  Guillaumes  dit, 
«  Tout  avenra  ce  qu'en  doit  avenir. 

'<  Ancor  vaut  mieux  que  fassent  lor  plaisir 
«  Que  ce  qu'il  fuissent  léans  à  force  pris.  " 
Arriers  s'entorne,  au  messagier  a  dit  : 

—  «  Alez  vos-en  arrières,  biaus  amins; 
«  Dites  ma  gent  que  se  rendent  à  li, 

n  Je  ne  vuel  mie  que  il  soient  ocis.  » 
Et  cil  s'en  torne  qui  la  paroUe  oï. 

Aine  ne  fina  ,  jusqu'à  Blancafort  vint, 
Parmi  la  porte  dedans  la  tor  se  niist  : 

—  «  Li  quens  vous  mande  que  faites  vo  plaisir  ; 
'■  Il  ne  vuet  mie  que  vos  soiez  ocis.  » 

Et  li  vassaus  à  la  fenestre  vint, 

'  Devant  Guillaume,  etc.,  c'est-à-dire:  le  marquis  est 
veini  devant  Guillaume  de  Moucliu;  puis  il  appela,  etc. 

9- 


202  LI  ROMANS  DE 

Si  a  mandé  dant  Begon  de  Belin  : 

«  Sire,  »  fait-il ,  «  mes  sires  mande  et  dit 

«  Que  ne  la  rende,  tant  com  je  soie  vis.  » 

—  «.  Sire,  »  dist  Bègues,  «  merveilles  puis  oir: 

"  Par  celle  foi  que  dois  au  roi  Pépin, 

«  N'en  tornerai  tant  que  je  Tarai  prins. 

«  Se  tant  attens  que  passe  li  midis, 

i<  Je  n'en  penroie  tout  l'avoir  que  Diex  fist, 

«  Que  ne  vos  fasse  de  maie  mort  morir.  » 

Dit  Gacelins  :  «  Entendez  un  petit  : 

'<  Par  tel  convent  me  renderai  à  ti 

'<  Que  je  m'en  voise  et  sains  et  sans  et  vis, 

«  Et  que  j'en  porte  ce  que  j'aportai  ci.  » 

Bègues  respont  :  «  Et  je  l'otroi  ensi.  >» 

tor  délivre  et  li  vassaus  s'en  ist, 
En  autre  terre  s'en  ala  por  garir. 

Par  le  conseil  au  bon  villain  Hervi 
A  fait  la  tor  pecoier  et  croissir  '. 
Le  feu  escrient  si  l'ont  par  trestot  mis, 
Que  de  Bordelle  le  pot-on  bien  véir. 
—  «  Diex!  »  dist  Guillaumes  de  Blancafort,  «  chaitis! 
«  Or  voi-je  bien  que  mes  chastiaux  est  prins. 
«  Las!  moi  dolent,  que  pourai  devenir!  » 
Fromons  ploura  quant  il  vit  ses  amins  ; 
Adont  li  membre  de  son  fil  Fromondin, 

»  A  fait,  Bagues  a  fait. 


GA.RIN  LE  LOHERA.IN.  2o3 

Si  se  démente  et  se  claime  chaitis. 

Et  dit  Fromons  :  «  Par  le  cors  saint  Martin , 

n  Je  m'en  irai  droitement  à  Pépin, 

«  Car  je  voi  bien  que  nous  sommes  boni. 

«  Se  je  réusse,  au  mains-,  le  mien  chier  fils, 

«  Toute  ma  terre  priseroie  petit.  » 

—  «  Laissiez  ester,  »  li  quens  Guillaumes  dist  ', 

I  De  mon  bras  sui  respassés  et  garis, 
^  Des  ores  mais,  me  convient-il  issir 

"  Et  porter  armes  contre  mes  anemins.  » 

La  nuit  s'en  va  et  li  jors  esclari; 
Li  quens  Guillaumes  se  chaussa  et  vesti, 
De  toutes  armes  conraiés  et  garnis  ; 
On  li  amainne  un  bon  destrier  de  pris, 
Li  quens  i  monte  si  a  son  escu  prins. 

II  en  apelle  Dant  Bernart  de  Naisil 
Et  de  Verdun  le  riche  Lancelin; 

De  la  ville  issent  troi  cent  et  quatre  vint, 
Tuit  à  celé,  n'i  out  noise  né  cri  ^. 
Deux  cens  en  laissent  léans  en  un  jardin, 
Delez  les  lices  ont  un  agait  basti. 

Jusqu'as  hauberges  ne  prisrent  onques  (in, 

'   Guillaumes — de  Monclio. 

»  A  celé,  en  cachette,  en  embuscade.  Les  Italiens  ex- 
priment encore  ce  dernier  mot  par  celata. 


2o4  LI  ROMANS  DE 

Deus  pavillons  nos  ont  par  terre  mis 
Et  de  serjans  nos  en  ont  (piatre  ocis. 
Lieve  la  noise,  si  enforce  H  cris, 
As  armes  courent  Franceis  et  Angevins; 
Des  loges  isl  li  Borgoins  Anberis, 
Tôt  à  desroi  li  Allemans  Onris, 
Girars  du  Liège  et  Joffrois  l'Angevin , 
Hues  del  Mans  et  Gautier  de  Paris  : 
Cil  s'en  issirent,  si  ont  lor  escns  prins. 
Voit-les  Guillaumes,  soz  son  escu  s'en  rit, 
Bcrnart  apelle  :  «  Or  hellement!  "  fait-il. 
Va  s'en  arrière  et  Bernars  de  Naisll , 
Cil  les  enchancent  qui  furent  de  haut  pris; 
Li  agais  saut  et  Guillaumes  guenchi , 
Illuec  commence  li  riches  poignéis. 
Diex!  com  le  fait  li  Borgoins  Auberis 
Et  li  baron  qui  furent  avoc  li  ! 
Charpentier  senblent  qui  en  gaut  soient  mis. 
Cui  chaut  de  ce?  trestuit  sis  furent  prins. 
Ains  que  venissent  Franceis  né  Angevin, 
Les  ont  Guillaumes  dedens  la  cité  mis. 
Del  retorner  ne  fut  pas  conseil  prins* 

Au  Lohérenc  fu  la  nouvelle  dit 

I  Del  retourner,  etc.;  c'est  à-dire  :  Kcrnars  ou  Guil- 
laume ne  pensèrent  pas  à  tenter  de  nouveaux  exploits, 
après  une  si  belle  capture.  — Variante  :  De  tournoyer. 


GARIN  LE  LOHERAIN. 

Que  si  ncvou  i  furent  tit-stiiit  prins. 

Ez-voiis  le  duel  contreval  l'ost  Pépin. 

Fronious  fait  joie  por  l'araor  d'Auberi , 

Car  il  seit  bien  que  r'avera  son  fil. 

Moult  vaut  uns  hons ,  maintes  fois  l'a-on  dit. 

Bègues  repaire,  qui  a  Blancafort  prins; 

Grant  joie  en  font  cil  de  l'ost,  quant  revint. 

Ains  que  li  dus  ses  espérons  traisist, 

Né  son  haubert  de  son  dos  devestist 

Vint  la  nouvelle  que  prins  fut  Auberis. 

Li  dus  loi,  à  pou  n'enrage  vis; 

Par  mautalant  à  son  cheval  saillit , 

Jusqu'à  Bordellc  ne  prist-il  onques  fin; 

vSoz  le  palais  s'aresta  et  guenchi. 

Li  quens  Fromons,  Guillaumes  de  Monclin, 

Et  dans  Bernars  li  sires  de  Naisil , 

Sunt  apoié  au  mur  d'araine  bis'  : 

Li  Lohérens  quant  a  Fromont  choisi  : 

—  "■  Sire  vassaus,  or  entendez  à  mi , 

"  De  belle  garde  me  rendez  Aiiberi  ' 

'  D'araine  bis.  Cette  expression  se  retrouve  souvent 
dans  les  Clinnsoiis  de  Geste;  elle  a  ce|)eiidaiit  échappé  à 
l'allention  de  du  Can^e  et  de  Roquefort.  Je  crois  que  par 
murs  d'araine  ii  faut  entendre  les  murs  de  cimenl,  comme 
sont  en  général  les  murs  de  construction  romaine.  — 
Variaiile  :  De  mabrv. 

2  De  belle  garde.  Ce  mot  est  obscur;  il  semble  (|u'oii 


ao6  LI  ROMANS  DE 

«  El  mes  nevoiis  qu'avez  en  prison  mis.  " 

—  «  Non  ferai  voir  »  li  quens  Fromons  a  dit , 
«  Se  ne  me  rens  Faucon  et  Jocelin , 

«  Et  tous  les  autres  et  mon  iil  Fromondin.  » 
n  Et  je  l'otroi,  »  dit  Bègues  de  Bélin. 
Jà  en  fust  faite  et  acordance  et  fins, 
Comme  Bernars  li  lerres  de  Naisil 
Derrier  les  autres  en  une  chambre  vint, 
Prist  arbaleste,  s'a  un  quarrel  ens  mis 
Et  trait  au  duc  que  le  cuide  ferir. 
Mais  Diex  ne  vout,  qui  bien  le  garcnti. 
Il  faut  à  lui,  emmi  le  pré  féri  : 
Jà  recouvras!,  quant  Fromons  li  toUi". 
Bègues  s'en  torne  quant  le  quarrel  choisi , 
A.ins  ne  fina,  jusqu'as  hauberges  vint: 

—  «  Or,  tost  as  armes  !  »  dit  Bègues  de  Belin  , 
«  Or  i  parra  qui  sera  mes  amins! 

«  Que,  par  saint  Jacques,  jà  seront  assaillis.  » 

Là  véis.siez  trestout  l'ost  estormir, 
Et  les  communes  rangier  por  assaillir, 

doive  l'expliquer  :  •<  Rendez-moi  à  l'amiable  et  en  bonne 
composition.»  Voy  les  continuateurs  de  du  Cange,  au  mot 
Guarda  qu'ils  expliquent:  «  Tributtim....  modo  sponta- 
neum  modo  coactum....  » 

'  Jà  recouvras!,  Bernais  allait  aussitôt  recommencer. 


GARIN  LE  LOHERAIN. 

L'atrait  porter  por  les  fossés  enpUr  '  ; 
Drescier  eschelles  por  ans  murs  assallir, 
Et  les  grans  larges  sor  les  lices  tenir, 
Et  cil  dedans  sor  les  creniaus  venir. 
Li  dus  Garins  à  la  grant  porte  vint 
Et  tint  la  hache  à  l'acier  Poitevin. 
La  véissiez  et  maillier  et  férir  % 
Couper  verrous  et  chevilles  croissir. 
Li  bers  Rigaus  à  l'eschiele  se  tint, 
Jà  montast  sus,  quant  on  le  resorti ^, 
De  desor  lui  en  chaient  plus  de  vint. 
Li  dus  le  voit,  à  poi  n'enrage  vis, 
Par  mautallant  à  l'autre  eschiele  vint. 
As  eschaillons  li  Lohérens  se  prist 
As  creniaus  monte  qui  qu'en  doie  abelir, 
Moult  en  crevante  et  abat  et  ocit. 

Eus  en  la  porte  entra  li  dus  Garins, 
Ensenble  o  lui  li  bons  vilains  Hervis. 
Qne  vous  diroie?  que  la  cité  ont  prins; 
Enmi  les  rues  fut  grans  li  poignéis. 

'  L'atrait,  c'est-à-dire  les  matériaux  arrachés  à  de  pré- 
cédents édifices,  comme  pierres,  solives,  pieus,  mortier,  etc. 
Ce  sens  est  assez  bien  indiqué  par  le  mot  lui-même. 

*  Et  maillier,  et  frapper  du  marteau  ou  de  la  maille 
contre  les  portes  el  les  ferrements. 

î  On  le  resorti,  on  le  renversa. 


2o8  Ll  ROMANS  DE 

Diex!  com  le  fait  dans  Beriiars  de  Naisil , 
Desore  tous,  Guillaiimos  de  Monclin  ! 
Jà  se  refuissent  trestuit  el  chastel  mis*, 
Bien  i  parut  quant  li  dus  Bègues  vint, 
Ensi  les  mainne  coni  li  lous  fet  berbis. 
Jà  fuist  li  balles  et  tos  li  chastiaus  prins, 
Quant  en  la  ville  Hervis  le  feu  a  mis  '  ; 
Ardent  les  salles  et  li  palais  voutis, 
Tout  i  est  ars  ,  et  li  pains  et  li  vins  , 
Li  pallefroi ,  li  nuir,  et  li  roncin. 
Li  feus  eschaufe  et  fut  errant  esprins  ^ 
Et  des  borjois  i  ont  mors  quatre  vint, 
Estre  les  dames  et  les  enfans  petis  *. 
Moult  i  perdi  nostre  gent  à  l'issir. 

A  la  fenestre  li  quens  Bernars  en  vint, 
Entre  ses  bras  tenoit  son  elme  enclin; 
11  en  apelle  Fromont  le  poesti  : 
—  «  Plus  somes  fors  que  n'estiens  hui  matin  *.  » 

»   Trestuit,  tous  les  Bordelais. 

2  Hervis  le  feu  a  mis.  Hervis  fit  alors  une  imprudence; 
les  Français  demeurés  seuls  dans  la  ville  après  avoir  re- 
poussé dans  le  château  la  plupart  des  Bordelais,  se  virent 
forcés  de  quitter  la  partie,  par  la  crainte  de  l'incendie. 

3  Errant,  rapidement,  à  grand  erre. 

4  Estre,  outre  ,  dVj7/'a. 

5  Plus  somes  fors,  etc.,  parce  que  les  François  ont  été 
forcés  de  reculer  avec  jjraudes  pertes. 


GARIN  LE  LOHERATN.  209 

—  n  Non  sommes,  voir,  »  li  (|uens  Fromons  a  dit, 
'<  Perdu  avons  et  le  pain  et  le  vin. 

«  Oï  l'ai  dire  et  vérité  est-il, 

>■■  Qui  n'a  don  vivre  mal  puet  chastel  tenir. 

«  Or  n'i  a  plus,  »  ii  viex  Fromons  a  dit, 

«  Que  de  pais  querre  envers  le  roi  Pépin.  >• 

Bouchart  apelle  o  le  grenon  flori  : 

«  Alez  au  roi ,  por  Dieu,  et  dites  li 

«  Je  me  mestrai  del  tôt  en  sa  merci, 

«  Par  tel  couvent  que  j'aie  Fromondin 

'<  Et  il  Aubri  le  Borguignon  gentil.  » 

Bouchars  s'entorne,  sur  un  cheval  salli; 
De  ci  à  lost  ne  prist-il  onqucs  fin  ; 
Dient  Franceis,  Normans  et  Angevins  '  : 

—  «  Diex  nous  doint  pais,  qui  de  l'aiguë  fist  vin  !  » 
Li  quens  Bouchars  au  tref  le  roi  en  vint, 

Ikiec  trova  maint  conte  et  maint  marchis, 
Le  roi  salue  et  ses  gens  autresi. 

—  -s  Drois  empereres,  »  di-st  Bouchars  li  floris, 
'<  Li  quens  Fromons  m'a  envoie  à  ti , 

'  Dient  Franceis,  e\c.  Ce  passage  rappelle  celui  de  l'Iliade, 
quand  Hector  vient  proposer  un  moyen  de  conciliation  aux 
Orecs  : 

11;  iviH' ,  oî  S'  i/àfïjijav  A/oioi  it  Toùié»   te., 
(I.ib.  i,  vers,  i  1 1.  ) 


210  LI  ROxMANS  DE 

«  Et  si  se  met  ciel  tôt  en  ta  merci , 

«  Par  tel  couvent  que  li  rendez  son  fil.  » 

—  «  J'en  parlerai ,  »  ce  dist  le  rois  Pépins. 

—  '(  Et  vous  por  quoi?  »  dist  Bègues  de  Belin  >, 
«  Nel  refusez,  se  il  le  fait  ensi. 

«  De  son  bon  prince  doit-on  avoir  merci', 
«  Mais  que  l'onor  en  soit  au  descur  mis  '.  » 
Et  tuit  respondent:  «  Bègues  bien  avez  dit.  » 
Et  dist  li  rois  :  «  Dont  le  faites  venir!  » 

Bouchars  s'entorne,  arrières  s'en  revint, 
Il  lor  conta  tout  ce  qu'il  ot  oï. 

—  «  Qui  vous  conduit?  »  li  quens  Guillaumes  dit^.  » 

—  «  Je  vous  conduis,  »  dit  li  Bourgoins  Aubris, 
«  N'i  arez  garde,  né  que  li  cors  de  mi.  » 

'  El  vous  jjor  quoi?  «  qu'esl-il  besoin  d'en  parler?  » — 
Variante  : 

Et  vos  de  coi  ? 

2  De  son  bon  prince ,  elc. ,  c'est-à-dire,  on  doit  obtenir 
d'un  bon  prince  merci. 

^  L'onor.  Par  ce  mot,  il  ne  faut  entendie  que  la  jouis- 
sance des  droits  légitimes.  Il  y  a  loin  de  là  au  sens  que  le 
même  mot  a  dans  la  lettre  de  François  1'"%  prisonnier  à 
Pavie  :  «  De  toutes  choses  ne  m'est  rien  demouré  que  l'hon- 
«  neur  et  la  vie.  >>  Comparez  ce  passage  pour  l'étude  des 
mœurs  féodales  avec  celui  du  tome  I""^,  page  284. 

4  Qui  vous  conduit?  ><  quelle  sera  votre  sauvegarde.'  » 
dit  Guillaume  à  Fromont. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  211 

Et  dist  Fromons  :  «  Je  ne  quiers  plus,  amins  '.  >^ 

Li  quens  Fromons  au  tref  le  roi  en  vint  : 
Trestout  parés,  à  genoillons  se  misl, 
Enscnble  o  lui  si  homme  et  si  amin; 
Le  roi  salue  si  tost  com  il  le  vist. 
Et  dist  li  rois  :  «  Diex  bénéie  ti  ! 
<<  Mais  tribolé  m'ont  forment  ti  amin.  » 
Et  dist  Fromons  :  •<  Certes  ce  poise  mi.  » 

Que  vous  diroie?  la  pais  ont  establi, 
Il  s'entrebaisent  et  furent  bon  amin. 
D'ambedui  pars  délivrèrent  les  pris  ". 
Li  os  s'en  va  et  chascuns  s'en  parti. 
Li  rois  de  France  s'en  va  droit  à  Paris, 
Li  dus  de  Mez  va  véoir  Biatris  ^, 
Bègues  remaint  de  ça  en  son  païs. 
Entre  Garin,  Guillaume  de  Monclin  , 
Et  de  Verdun  le  riche  Lancelin, 
Tuit  vont  ensenble,  et  furent  bon  ami. 
Li  Loherens  vint  de  nuit  à  Monclin, 
Li  quens  Guillaumes  moult  bon  ostel  li  fist, 

'   Je  ne  quiers  plus,  je  ne  veux  rien  de  jilus. 
'   Les  pris ,  les  prisonniers, 
i  Biatris ,  sa  belle-sœur. 


iET 


212  LI  ROMANS  DE  GARIN. 

La  nuit  délivre  la  dame  d'un  bel  fd  ' , 

là  Lohereus  à  batesme  le  tint, 

Et  par  chiertc  li  raist  à  nom  Garin. 

En  filolage  li  laissa  et  guerpi  ' 

Un  des  marchiés  de  Mez,  ce  m'est  avis', 

Qui  vaut  cent  livres  de  deniers  parisis. 

La  pais  dura  sept  ans  et  un  demi 

Entre  aus  n'en  ot  né  noise  né  hustin. 

»  Délivre.  Variaute  :  Acuiche.  Il  s'agit  ici  de  la  femme 
de  Guillaume  de  Monclin. 

2  Filolage,  don  que  fait  le  parrain  à  son  filleul  le  jour 
du  baptême.  Du  Gange,  au  mol Filiolatus,  en  lire  un  exem- 
ple analogue  delà  Chronicon  Ademari  Cabanensis,  an.  826. 
—  «  Evoldus  cum  uxore  suà  baptisatus  est,  fiiitque  Impe- 
«  ratoris  filiolus  :  in  Frisiâ  dédit  ei  Imperalor  in  Jiliolatu 
<<  unum  comitatum  qui  Driusti  vocatur.  >• 

3  Un  des  marchiés,  c'est-à-dire  :  les  droits  de  vente  qu'on 
percevait  sur  l'un  des  marchés  de  Metz. 

(Êrplirit  la  beuriesme  Cl^onson  îies 

Corraine  rt  reparlrro  la  troi- 

«icme  île  Itt  mort  iScgon 

te   JÛiliit ,    qui 

el  bois  fu 

OftS. 


LA 


TROISIEME    CHANSON 


Nous  ne  donnerons  pas  ici  la  troisième  Chanson 
tout  entière.  Nous  nous  bornerons  aux  couplets  qui 
racontent  la  mort  de  Bégon  de  Belin  et  les  re- 
grets que  cette  mort  inspire  a  ses  parents,  à  ses 
amis  et  à  ses  ennemis.  Le  reste  de  la  Chanson  com- 
prend le  récit  de  la  guerre  allumée  de  nouveau  entre 
les  Lorrains  et  les  Bordelais;  la  disparution  de  Fro- 
mont  le  vieux ,  son  retour  en  France  à  la  tête  des 
Sarrasins,  sa  mort  dans  la  campagne  de  Bordeaux  ; 
enfin  la  mort  de  Garin ,  et  la  proscription  de  Girbert, 
Hernaut  et  Garin ,  son  fils  et  les  fils  de  Bégon. 

Pour  ne  rien  omettre  de  ce  grand  récit,  il  fau- 
drait de  nouveaux  volumes.  Mais  la  tâche  serait 
longue  et  la  plupart  des  lecteurs  exigent,  comme 
la  condition  expresse  de  leur  bienveillance ,  une 
extrême  variété  dans  les  monuments  littéraires  qu'on 
(t^ache  pour  eux  à  l'injuste  oubli  des  siècles  pré- 
cédents. Malgré  moi,  je  dirai  donc  adieu,  dans  ce 
volume ,  à  la  grande  épopée  lorraine.  Mon  travail , 
tel  qu'il  est ,  offre  quelque  chose  de  complet  et  s'il 
finit  par  obtenir  au  plus  haut  degré  (c'est-à-dire 
autant  que  le  mérite  l'un  des  plus  anciens  poèmes. 


sinon  In  plus  ancienne  épopée  des  langues  romanes) 
l'intérêt  des  amis  de  la  littérature  française ,  il  me 
suffit  aujourd'hui  de  protester  que  les  morceaux 
non  publiés  ne  renferment  pas  des  beautés  moins 
épiques  et  moins  singulières,  et  qu'ils  ne  sont  pas 
moins  précieux  pour  l'étude  de  nos  antiquités. 


tlx  jor  fu  Bègues  au  chastel  de  Belin, 

(  De  jousfe  lui  la  belle  Biatris. 

fr  Li  dus  li  baise  et  la  bouche  et  li  vis, 
!*'  ,^    ,     .     1    • 
ht  la  duchoise  moult  doucement  en  rist. 
s  Parmi  la  salle  vit  ses  deus  Gs  venir, 


^M^S^  Ce  dist  la  lettre;  li  ains  nés  est  Gerins, 
(f^^~A'' Et  li  mains  nés  ot  à  non  Hernaudin: 
^^^^.  L'un  ot  douze  ans  et  l'autres  en  ot  dix. 
jj^^ii^^^  Ensenble  o  aus  sis  damoisiaus  de  pris 

Vont  l'un  vers  l'autre  et  corre  et  tressaillir, 

.Tuer  et  rire  et  mener  lor  délis. 


Li  dus  les  voit,  à  sospirer  en  prist. 
Voit-lc  la  dame,  si  l'a  à  raison  mis  : 


10 


-il 8  LI  ROMANS  DE 

—  «  Hé,  riches  dus!  por  cjuoi  pensez-vos  si? 
«  Or  et  argent  avez  en  vos  escrins' , 
«  Faucons  sor  perches  assez,  et  vair  et  gris, 
«  Et  murs  et  mules,  palefrois  et  roncins; 
«  Et  bien  avez  foulé  vos  anemins. 
«  De  six  jornées  n'avez  si  fort  voisin , 
«  Se  le  mandez ,  ne  vous  vengne  servir.  » 
Dist  li  dus  :  «  Dame,  vérités  avez  dit; 
'c  Mais  d'une  chose  i  avez  moult  mespris. 
"  N'est  pas  richoise  né  de  vair  né  de  gris, 
Né  de  deniers,  de  murs  né  de  roncins, 
Mais  est  richoise  de  parens  et  d'amins  : 
«  Li  cuers  d'un  homme  vaut  tout  l'or  d'un  pais  ^. 
«  Dont  ne  vous  menbre  que  je  fui  assallis 

Dedens  les  Landes  ,  quant  à  feme  vous  pris  ? 
«  Bien  le  sachiez,  se  je  n'eusse  amins, 
«  Que  je  i  fuisse  vergondés  et  honnis. 

1  Escrins,  coffres,  armoires,  où  l'on  enfermait  les  objets 
précieux.  Le  sens  de  noire  substantif  secrétaire  a  beaucoup 
d'analogie  avec  celui-ci  : 

Je  lesse  aux  ordres  mendiens 
Mon  graiil  escrin  où  il  n'a  riens. 
Excepté  le  bois  et  le  fer- 
Car  ils  jelent  les  gens  d'enfer  , 
Et  font  aler  en  purgatoire 
Dès  leur  vivant,  qui  les  veut  croire. 

(Poésies  d'Eusiache  Desrliamps.) 

2  Voilà  l'un  des  plus  beaux  vers  que  l'on  ait  jamais  fait 
en  aucune  langue. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  219 

«.En  ceste  marche  m'a  haubergié  Pépins  ' 
«  Où  je  n'ai  nul  de  mes  prochains  amins, 
«  Fors  que  Rigaut  et  le  sien  père  Hervi. 
«  Je  n'ai  qu'un  frère,  le  Loherenc  Garin , 
«  Bien  a  set  ans  passé  que  ne  le  vis. 
«  S'en  sui  dolans  couréciés  et  marris. 

«  Or  m'en  irai  à  mon  frère  Garin 
«  Et  si  verrai  l'afant  Girbert,  son  fil ,' 
«  Si  m'ait  Diex,  que  je  ouques  ne  vis. 
«  Du  bois  de  Puelle  ma-on  novelles  dif 
"  Et  de  yicoigne,  des  alues  Saint-Bertin' ; 

1  Haubergié ,  casé,  établi,  préposé. 

2  Du  bois  de  Puelle.  Yarianles  :  Puene,  —  Puenne, — ■_ 
Peulc,  — Pale,  —  et  Pêne.  —  Il  s'agit  ici,  comme  a  bien 
voulu  me  le  certifier  M.  le  Olay,  bibliothécaire  de  Cambray, 
de  la  forêt  cpii  s'étendait  de  Condé  à  Marchiennes  et  de 
ValencieniK's  à  Saiiit-Amand.  Elle  occupait  une  partie  du 
canton  nommé  Pabuleitsis  pagus  et  Pabula,  et  cité  dans 
une  charte  de  Thierry  l*"",  en  faveur  de  l'abbaye  de  Saiut- 
Vaast  d"Arras.  La  victoire  de  i3o4,  remportée  sur  les  Fla- 
mands par  Philippe-leBel ,  recommande  d'ailleurs  assez 
le  village  de  Mons-en- Puelle. 

3  Et  de  Vicoigiie ,  etc.  Vicogne  est  aujourd'hui  un 
hameau  indépendant  de  la  commune  de  Raisnies,  arron- 
dissement de  Valenciennes.  Il  est  situé  sur  le  bord  d'une 
foret  peu  considérable  aujourd'hui,  mais  qui  se  joint  à 
celles  de  Sainl-Amand,  Raisnies,  Haisnon  etWallers.  L'ab- 
baye de  Vicogne  fut  fondée  au  commencement  du  xii* 

10. 


220  LI  ROMANS  DE 

«  En  celle  terre  a  un  sangle  norri, 

«  Sel  chasserai,  se  Dieu  plaist  et  je  vis; 

«  S'en  porterai  le  chief  au  duc  Garin, 

«  Por  la  merveille  esgarder  et  vcir, 

«  Que  de  tel  porc  nuus  lions  parler  n'oï.  » 

—  «  Sire,  »  dist-elle,  »  que  est-ce  (jue  tu  dis? 

«  C'est  en  la  terre  au  conte  Bauiluin, 

«  Tu  sais,  de  voir,  de  ta  main  l'oceis. 

«  L'on  ma  conté  que  H  cuens  a  un  fil. 

«  C'est  en  la  marche  Fromont  le  poesti, 

«  Tu  li  as  mort  et  frères  et  amins. 

n  Laissiez  ester  ceste  chasse  à  tenir, 

«  Li  cuers  me  dit,  ne  vous  en  quiers  mentir, 

«  Se  tu  i  vas,  jà  n'en  levenras  vis.  » 

—  «Diex!  »  dist-il,  «  dame,  merveilles  avez  dit; 

«  Jà  mar  croiroie  sorcière  né  devin  ; 

«  Par  aventure  vient  li  biens  el  pais. 

<(  Je  ne  lairoie,  por  tôt  l'or  que  Diex  fist 

«  Que  je  n'i  voise,  que  talens  m'en  est  prins  '.  » 

siècle;  notre  poêle  n'en  parlant  pas,  on  peut  conjecturer 
qu'elle  n'existait  pas  encore  de  son  temps. 

Quant  aux  alt4es  Salnt-Bertin,  ils  doivent  être  ce  que 
l'on  a  depuis  nommé  bois  de  Saint -Jmand.  M.  le  Glay, 
dont  la  complaisance  et  l'érudition  sont  également  inépui- 
sables, n'a  retrouvé  dans  ces  contiées-là  aucun  souvenir 
des  alleus  de  Saint  Berlin.  Ce  doit  être  une  faute  des  copistes. 
•  Talens,  euvie,  désir. 


CARTN  LE  LOHERAIN. 

—  «  Sire,  »  dist-elle,  «  Diex  soie  avoc  ti, 
«  Li  glorioiis,  qui  de  Vierge  naqni!  » 

Li  dus  esgarde  voit  Rigaiit  son  cosin  : 

—  «  Cosin  ,  »  dist-il ,  «  vous  venrez  avoc  mi, 
«  Et  vostre  père  gardera  cest  pais.  » 

La  nuit  jut  Bègues  dejoste  Biatrix, 
Assez  i  ot  joué ,  gabé  et  ri , 
Jusqu'au  demain  que  li  jor  esclari. 
Si  chanberlan  vont  à  lui  por  servir. 
Bègues  se  lieve  quant  ot  assez  dormi; 
Tout  maintenant  est  chauciés  et  vestisj 
Vest  un  bliau  ,  un  pelisson  hermin , 
Chauces  tirées  et  espérons  d'or  fin  '  ; 
D'or  et  d'argent  fet  chargier  dix  roncins, 
Où  que  il  vengne  que  il  soit  bien  servis. 
Chevaliers  maine  avoc  lui  trente  sis, 
Et  veuéors  sages  et  bien  apris, 
Meutes  de  chiens  enmena  jusqu'à  dix. 
Quinze  vallés  por  les  relais  tenir. 
A  Dieu  commande  la  belle  Biatrix 
Ses  deus  afans  Hernaudel  et  Gérin. 
Diex!  quel  dolor!  onques  puis  ne  les  vit. 
Passa  Gironde;  au  port  Saint-Florentin  ^ 

■  Chances  tirées.  Variante  :  Hneses  lirons.  (  Msc.  S.  Germ. 
2041.) 

'  Variantes  :  Valentin  ,  —  Clarentin. 


222  LI  ROMANS  DE 

A  un  hermilo  qui  Grantmont  estaubli , 
Là  fu  confus  et  ses  péchiés  gehi. 
Puis  s'en  torna  quant  la  messe  ot  oï. 

Par  ses  jornées  droit  à  Orliens  vint, 
Vit  son  nevou,  le  bon  duc  Hernaïs , 
Et  sa  seror  la  très  belle  Helni. 
Trois  jors  sejorne  avec  l'empéreris  ; 
Li  rois  de  France  moult  bel  semblant  li  fist: 
D'iluec  s'en  torne ,  si  a  le  congié  prins. 
En  deus  jors  vint  à  la  cit  de  Paris 
Et  au  tiers  jors  est  venus  à  Sainlis  , 
Il  s'en  torna  tantost  com  li  jors  vint; 
Parmi  Condé  enVermandois  se  mist  '. 
Il  passa  Oise  droitcment  à  Chari  ". 
Vermandois  laisse  et  tout  le  Canbresis , 
Aine  ne  fina  si  vint  à  Vallentin^, 
C'est  un  chastiaus  desor  Escaut  assis , 
Moût  par  est  loin  du  chastel  de  Belin. 
La  nuit  hauberge  cliiez  Berengier  le  giis, 
N'ot  si  riche  home  borjois  en  cest  pais. 

'  Coudé.  Variantes  :  Cosdun  ,  —  Codiin  ,  —  Coudait , 
—  Courdim. 

2  Oise.  Variantes  :  Somme,  —  Seine. 

3  Fallentin,  Valenciennes. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  223 

Li  bers  commande  que  très  bien  soit  servis  , 
Et  cil  acheté  et  malars  et  perdris 
Grues  et  jantes  et  aigniaus  de  berbis  '. 
Après  mengicr  apareillent  les  lis, 
Son  oste  apelle  Bereiigicr  et  il  vint; 
Delez  Rigaut  en  la  cuiclie  se  sist. 
Moult  bêlement  li  a  conté  et  dit  : 

—  «  Sire,  à  cel  vis,  à  ces  coslés  traitis, 
«  Me  resanblez  le  Loherenc  Garin 

«  Qui  snet  venir  assez  en  cest  pais  ; 
«  Il  est  mes  ostes  quant  il  passe  par  ci , 
«  Et  Diex  li  rende  le  grant  bien  qu'il  me  fist, 
«  Car  par  lui  sui  durement  enrichis.  » 

—  «  Sire,  »  dist  Bègues,  «  ne  vous  en  quiers  mentir, 
«  Mes  frères  est  li  Loherens  Garins. 

«  D'un  père  fumes  andui  engénoï 

«  Et  d'une  mère  et  porté  et  norri. 

«  Haubiergiés  suis  en  un  lontain  pais 

«  Outre  Gironde,  ez  aleus  Saint-Bertin , 

«  Que  me  donna  l'emperères  Pépin. 

«  Dès  le  grant  siège  qu'à  Bordelle  fu  mis , 

«  Ne  vis  mon  frère,  mais  or  le  vois  véir  '.  » 


•  Variantes  : 


Grues  et  génies  et  oies  et  poucins. 

(Msc.  St.  Germ.  204 r.) 


ï  Le  vois,  le  vais. 


224  LI  ROMANS  DE 

Ce  dist  li  ostos  :  «  Tu  tuas  Bauduin  , 
«  En  cestc  terre  avez  moult  aneiiiins. 
«  Hues  est  tes  niés  li  quens  de  Caubresis, 
«  Gautiers  si  est,  de  qui  devons  tenir  '  ; 
«  S'il  te  savoient,  il  venroient  à  ti.  » 

—  «  Je  le  cuis  bien,  »  dit  Bègues  de  Bélin. 
«  Del  bois  de  Puelle  m'a-on  conté  et  dit 

«  Qu'en  ceste  terre  à  un  sangle  norri; 

'<  Jel  chasserai,  car  li  cuers  le  me  dit, 

'>  Et  porterai  la  teste  au  duc  Garin 

«  Mon  très  chier  frère,  que  je  piéça  ne  vis.  » 

Et  dist  li  ostes  :  «  Je  sai  bien  où  il  gist; 

"  Je  vous  nienrai  demain  tresqu'à  son  lit.  » 

Bègues  l'oï,  moult  grant  joie  en  fist. 

Il  défubla  son  mantel  sebelin  ^, 

L'oste  baisa  et  puis  si  li  a  dit  : 

—  «  Tenez,  biaus  ostes,  vous  venrez  avoc  mi.  » 
Et  cil  le  prent,  si  l'en  a  fait  enclin, 

Dit  à  sa  feme  :  <  Franc  baron  avons  ci , 

'■  Qui  sert  prodomme,  grans  guerredons  i  gist.  « 

La  nuit  jut  Bègues;  de  ci  à  le  matin, 
Li  chauberlans  vint  au  lit  por  servir. 

«  Gantiers,  frère  de  Hues  et  comte  de  Haynaut.  Hues 
et  Gauthier  étaient  nés  de  la  quatrième  fdle  du  duc  Hervis 
de  Metz. 

ï  Défubla,  il  détacha;  du  \i\\ii)  Jlbida. 


GARIN  LE  LOHERAIN  22 5 

Cote  à  chascier  li  Lohércns  vesti , 
Hueses  chausciées  et  espérons  d'or  fin  ; 
Puis  est  montés  el  chascéor  de  pris 
Que  li  donna  l'emperères  Pépins 
Quant  à  Orliens  de  lui  se  départi. 
Le  cor  au  col ,  l'espié  au  poing  a  pris , 
Meute  de  chiens  enmena  jusqu'à  dix. 
Et  Rigaus  monte,  chevaliers  trente  sis 
Escaut  passèrent  et  on  bois  se  sunt  mis. 
En  laVicoigne  vont  le  porc  assallir, 
Rien  les  conduit  dans  Berengiers  li  gris 
Jusques  ou  bois  là  où  li  pors  se  gist; 
Des  chiens  commence  li  abois  et  li  cris. 


II. 


5^^^j^R  va  li  dus  en  la  foret  chascier; 
çft(yj^Li  chien  avant  se  prinrent  à  noisier, 
.^<£^^^/i  Quant  il  commencent  ces  raimes  à  brisier', 
Truevent  les  routes  dou  pors  qui  a  fumé  ^. 
Li  dus  demande  Rrochart  son  liemier, 

■   Ces  raimes,  les  branches. 

2  Dou  pors  qui  a  fumé.  Variante:  Si  corne  ot  vermillé 
ou  vermeilUr.  —  En  vénerie ,  vermiller  se  dit  du  sanglier, 
quand  il  fouille  et  renverse  la  terre  pour  en  tirer  des 
vers. 


226  LI  ROMANS  DE 

Pardevant  lui  li  amaine  uns  breniers', 

Li  dus  le  prcut  et  si  l'a  desloié. 

Il  li  menoie  les  costes  et  le  cief  ' 

Et  les  oreilles  por  mieus  cncouragier; 

Met  l'en  la  route  et  il  prenl  à  tracier, 

Jusques  au  lit  vint  li  vrais  liciniers. 

Entre  deux  chesnes  chéus  et  esrachiés, 

Si  com  li  ruis  d'une  fontaine  vient  ^, 

Là  se  gisoit  por  son  cors  refroidier. 

Quant  il  entent  le  grant  aboi  des  chiens, 

Encontre  mont  li  sangles  est  dréciés. 

Il  estela,  en  après  s'est  vuidiés  '*. 

Ne  fuit  pas,  ains  print  à  tornoier. 

Là  gieta  mort  le  gentil  liemier, 

Nel  voulsist  Bègues  por  mille  mars  d'or  mier. 

Bègues  i  vint  paumoiant  son  espié. 

Mais  li  pors  fuit,  que  pas  ne  l'atendié  ^. 

Là  descendirent  plus  de  dis  chevaliers 

Por  mesurer  les  ongles  de  ses  pies. 

De  l'un  à  l'autre  demi  doi  et  plain  pié. 

1  Breniers ,  conducteur  ou  varlet  de  chiens. 

2  //  H  menoie,  il  lui  caresse. 

3  Si  com,  etc.,  auprès  duquel  s'écoule  le  filet   d'une 
source. 

4  //  estela.  Ce  mot  me  semble  obscur;  il  doit  répondre 
à  :  //  détalla,  il  se  déplaça. 

5  Ne  l'atendié,  pour  attendi,  cl  à  cause  de  la  rime. 


GARIN  LE  LOHERAIN. 

Dist  l'uns  à  l'autre  :  «  Véez  quel  aversier  '! 
«  Jamais  par  autre  n'ert  cis  sangles  changiés  ; 
'<  Fors  a  les  dens  de  la  goule  plaiii  pié.  » 
Il  remontent  ens  aus  auferans  destriers, 
Les  cors  as  bouches  por  le  porc  achascier. 


III. 


T^^»^  R  voit  li  pors  là  ne  porra  garir, 
pgigJ^Car  les  chiens  a  moult  verais  assentis; 
J^^^^AEn  Gaudimont  se  cuida  garentir  *, 
C'est  li  couvers  où  li  pors  fu  noris  ; 
Là  but  de  l'iave  et  se  coucha  en  mi; 
Mais  la  grant  presse  des  chiens  le  départi. 
Ce  fist  li  pors  qu'onques  autres  ne  fîst 
En  null  terre  que  nos  avons  oï: 
Laissa  le  bois  et  au  plain  si  se  mist, 
Quinze  grans  liues  fait  son  cors  porsuivir. 

'  Aversier,  démon.  Adversariiis. 

»  En  Gaudimont.  Variautes  :  Gissemont.  —  Guidemont. 
—  Grais  de  mons.  —  Guidemer.  —  Gadremont. 

Après  ce  vers,  le  manuscrit  de  Navarre  ajoute  le  sui- 
vant : 

Delez  Laadat ,  en  nn  abatéis 


12S  LI  ROMANS  DE 

Onques  arrières  un  sanbelet  ne  (ist  '. 
Là  sont  remès  et  clievaus  et  roncin; 
Li  venùor  s'cntrepcrdiront  si, 
Que  nus  ne  sot  que  Bègues  i  devint; 
De  soz  Rigaut  ses  bons  chevaus  chaï  : 
Endroit  la  tierce,  à  ploviner  se  prist  '. 
Quant  ont  perdu  si  Begon  de  Bélin, 
Il  en  repairent  tôt  droit  àValentin. 
Moût  sunt  entre  eux  correciés  et  marris, 
Il  n'ont  pas  tort  se  il  tordent  lor  crins. 

Li  dus  scoit  sor  son  cheval  de  pris, 
Chasse  le  porc  et  niout  sovent  le  vit. 
Entre  ses  bras  dui  verais  chiens  a  pris, 
Une  grant  pièce  el  pan  de  son  hermin. 
Tant  que  il  furent  moult  bien  enlalenti , 
Resvigorés  et  moult  bien  refrechis. 
Il  les  mit  jus,  lez  un  abatéis  ^ 

1  Ufi  sanbelet,  un  lé;;er  semblant  (Je  retour.  Variantes: 
Un  liaurillon.  —  Un  liavellon.  —  Havillon.  Le  manuscrit 
de  Navarre  ajoute  après  ce  vers  les  deux  suivants  : 

Piipel  Irespiisse  un  moiill  large  pais. 
Qu'est  liébeifjiés  de  bois  et  de  maisnis. 

2  Ploviner,  tomber  de  la  pluie  fine. —  La  tierce,  la  neu- 
vième heiiie  du  jour. 

3  abatéis,  taillis,  bois  fraîchement  taillé. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  229 

Si  près  du  porc  que  chascuns  bien  le  vit; 
Hapant  le  mainent  et  picant  à  estri  ', 
Li  autre  chien  accoururent  au  cri. 

IV. 

^^^R  voit  li  pois  ne  le  poura  durer, 

)^Ist  de  Vicoigne,  en  la  Puele  est  entrés'. 
Desous  un  fau  est  li  pors  arestés , 
Là  but  de  l'iave  et  si  s'est  resposés: 
Et  li  bon  chien  sunt  entour  li  aies. 
Li  pors  les  voit,  s'a  les  sorcis  levés, 
Les  iex  roelle,  si  rebiffe  du  nés, 
Fet  une  hure,  si  s'est  vers  eus  tomes; 
Trestous  les  a  ocis  et  afollés. 
Bègues  le  voit  à  pou  n'est  forcenés; 
Mont  durement  escria  le  sanglé  : 
—  «  Hé,  fis  de  truie,  com  tu  m'as  hui  pené!  / 

«  Et  de  mes  hommes  m'as-tu  bien  deseuré!       (jAjL^^yi^'^^ l^' 
«  Las!  je  ne  sai  quel  part  il  sunt  torné.  » 
Li  dus  l'escrie,  li  pors  l'a  escouté, 
Les  iex  roelle,  si  a  froncié  du  nés. 
Plus  tost  li  vient  que  quarriaus  enpannés. 

'  Picant  à  estri,  harcelant  à  l'envi.  De  là  le  nom  de  pi- 
queur  donné  à  ceux  qui  harcellent  et  aiguillonnent  les 
chiens. 

»   Ist,  il  sort. 


23o  LI  ROMANS  DE 

Bègues  l'attent,  que  l'a  petit  douté, 
kEn  droit  le  ciier  li  a  l'espié  branlé, 

Outre  le  dos  li  a  le  fer  passé. 

Hors  de  la  plaie  ist  don  sanc  à  plenté , 

Et  li  troi  chien  en  lapèrent  assés, 
jTant  que  il  sunt  de  lor  soif  respassés. 

De  lez  le  porc  se  ctiichent  lez  à  lez. 

Lors  vint  la  nuit  et  fu  grans  l'oscurté. 
Li  dus  ne  vit  né  chastiau  né  cité  , 
Né  bore  né  ville  né  nulle  fermeté, 
Né  chevalier  ne  connut  el  régné, 
Né  il  n'i  ot  né  compaignon  né  pair 
Fors  son  destrier  Baucent  qui  l'ot  porté. 
Il  le  regrette  corn  jà  oïr  porez  : 
«  Baucent,  »  dist-il,  «je  vos  doi  moût  amer; 
«  De  maint  besoing  avez  mon  cors  gardé; 
«  Se  je  eusse  né  avaine  né  blé 
«  Le  vous  donaisse  volontiers  et  de  gré  '. 
'(  Se  je  repaire ,  bien  iert  gueredoné.  » 

'  On  trouve  fréquemment  dans  nos  cliansons  de  Geste, 
aussi  bien  que  dans  Homère,  des  discours  de  ce  genre 
adressés  par  les  guerriers  à  leurs  coursiers.  Dans  la  bataille 
d' Aleschans,  branche  de  Guillaume  au  court  nez,  Guil- 
laume, poursuivi  depuis  long-temps  par  les  Sarrasins  et 
voyant  son  cheval  Baucent  harassé,  s'e.xprime  ainsi  : 

«  Chevax,  »  dist-il,  «  mont  es  ores  lassés. 
«  Sé  vos  fussiés  quatre  jors  séjornés  , 


GARIN  LE  LOHERAIN.  23 1 

Desoiis  un  abre  est  li  dus  arestés, 
Ce  fut  un  tremble  où  de  fuelle  ot  plentc. 
Il  esclaira,  si  a  Dieu  reclamé; 
Puis  prent  le  cors,  si  l'a  deus  fois  sonné 
Moult  durement,  por  les  siens  reclamer. 
Ahi  frans  dus!  de  quoi  t'es  apensés! 
Ce  ne  vaut  riens  ;  cens  que  as  appelés 
Ne  les  verras  en  trestout  ton  aé  ! 

Et  li  quens  est  desous  l'abre  ramé; 
Prent  son  fusil,  s'a  le  fu  alumé' 
Grant  et  plenier,  merveilleus  embrasé. 
Li  forestier  qui  le  bois  dut  garder 
Oï  le  conte  les  siens  chiens  réclamer, 
Le  cor  d'ivoire  moult  doucement  sonner. 


K  Me  refaisse  as  Sarrasins  mellés. 
M  Mas  je  Toi  bien  aidier  ne  me  povez  , 
«  si  maîl  Dei,  jà  lenciés  n'en  serez, 
«  Cartotejor,  inout  bien  servi  m'avez. 
Il  Ue  vos  servise  vos  renl  mercis  et  grés. 
«  Sé  me  poviez  en  Orenge  mener, 
«  Pi'averiez  selle  devant  trois  mois  passés; 
a  Ne  mengeriez  d'orge  ne  fusl  colés, 
u  ]ïie  béussiez  y  s'a  vais-'^el  non  dort'^. 
«  Le  jor  fassiez  quatre  fois  conréiés.  » 
Baacent  l'oit ,  s'a  heni  tant  assez  ; 
La  teste  crosle,  si  a  des  pies  gralés, 
Reprent  sa  voie,  si  est  ravigorés. 

(Msc.  du  Roi.  8202.) 

Fusil,  espèce  de  briquet.  Dç.là  le  mol  pierre  à  fusil. 


232  LI  ROMANS  DE 

Isnelement  est  celle  part  aies, 

Begon  regarde  de  loin ,  n'ose  aprochier. 

Oï  l'ai  dire  et  ce  est  vérités 

Que  par  glouton  est  mains  maus  arivés. 


,^'^Ss^^'UANT  cil  le  vit  si  bien  aparillie 

^^fjJS|De  bel  aroi  et  de  courant  destrier, 

'«^^3^'=:4r'^'Hueses  chauciés  et  espérons  d'or  mier*. 

Et  à  son  col  un  cors  d'ivoire  chier 

A  neuf  viroles  de  fin  or  bien  loiés; 

La  guiche  en  fu  d'un  vert  paile  prisiés^. 

Entre  ses  mains  tint  li  dus  son  espié 

Dont  l'alemelle  avoit  bien  demi  pié, 

La  plus  gente  arme  qui  onques  fust  soz  ciel; 

Et,  devant  lui,  son  auferrant  destrier 

Grate  et  hennit  et  a  houé  del  pié  3. 

Voit  le  li  glous  si  bien  apparillié , 

Tout  droit  à  Lens  l'ala  Fromont  noncier. 

I   D'or  mier,  d'or  pur. 

*  La  guiche,  la  bande  qui  servait  à  attacher  sur  la  poi- 
trine le  cor  d'ivoire.  L'illustre  maison  de  La  Guiche,  en 
Bourgogne ,  porte  sur  son  écu  de  sinople  une  guiche  en 
sautoir. 

3  Houé,  gratté,  remué.  Nicot  traduit  encore /iOHcr,  par 
le  latin  pastinare. 


GARIN  LE  LOHERAIX.  233 

Li  qnens  Frotnons  est  assis  an  raangicr, 
Et  avoc  lui  si  baron  chevalier. 
Li  maus  lichieres  ne  l'osa  aprochier, 
Le  senechal  en  appela  premier  ; 
Ens  en  l'oreille  le  prist  à  consillier  : 

—  '<  Sire,  en  cest  bois  allai  m'esbanoier, 
«  Iluec  trovai  un  véncor  moût  fier, 

«  Le  plus  bel  homme,  le  miex  apparellié 

"  Et  le  plus  grant  que  onqucs  véissiez. 

«  Un  sanglé  a  retenu  à  trois  chiens, 

«  Et  l'a  ocis  d'un  roit  tranchant  espié  ; 

"  Et  s'a,  biaus  sires,  un  sor  baucent  destrier, 

«  Large  a  le  pis  et  la  croupe  derrier. 

'<  A  son  col  pent  un  cor  d'ivoire  chier. 

'<  S'il  vous  plaist,  sire,  et  m'en  donnez  congié, 

«  Messires  ait  le  sanglé  et  les  chiens, 

«  Le  cors  d'ivoire  qui  tant  fait  à  prisier; 

«  Et  vous  aurez  le  bon  courant  destrier.  » 

Quant  cil  l'oï,  s'en  fu  joians  et  liés, 

Son  bras  a  mis  au  cors  du  forestier  : 

—  «  Biaux  dous  amis,  Diex  garisse  ton  chief  ! 
«  Car  en  pensez  de  mon  prou  porchassier; 

«  Se  je  i  gaingne,  vous  n'i  pcrderez  riens.  » 

Et  cil  respont  :  «  De  gré  et  vollentiers. 

«  Mais,  s'il  vous  plaist,  compaignons  me  cherchiez; 

«  Car  par  moi  seul  n'i  porterai  mes  pies.  « 

Cil  en  apelle  sis  de  ses  losengiers  : 


234  LI  ROMA.NS  DE 

—  «  Alez-en  tost  avoc  cest  forestier  ; 

«  Se  trouvez  homme  qui  ait  forfait  de  rien, 
«  Si  l'ociez,  ce  vous  commaiit-je  bien, 
«.  En  toutes  cours  bon  garant  vous  en  tiens.  » 
Et  cil  li  client  :  «  De  gré  et  volentiers.  » 

Thiebaus  li  lerres  les  oï  consillier, 
Frères  Estormi  de  Boorges  le  fier; 
Celle  part  vint  corans  et  eslaisiés  : 

—  «  Signor,  »  dit-il,  «  bien  connois  le  brenier 
«  Que  vous  allez  por  prenre  et  espier, 

<'  J'irai  o  vous,  ne  vous  doit  anoier.  » 

Et  cil  respondent  :  «  Tu  nous  aras  mestier.  » 

Là  sunt  aie  où  le  duc  ot  laissié  : 
Desoz  un  tremble  li  Loherain  se  siet, 
Desor  le  porc  lenoit  l'un  de  ses  pies 
Et  d'autre  part  regisoient  li  chien  '. 
Quant  cil  le  voient  si  en  sunt  merveillié  ; 
Ce  dist  Thiebaus  :  «  Par  les  ieus  de  mon  chief, 
«  Ce  est  uns  lerres  qui  moult  est  costumiers 
«  De  pors  enbler  et  de  forest  cerchier; 
«  S'il  nous  eschappe  mal  sommes  engigniés.  » 
Il  li  escrient  et  devant  et  derrier  : 

I  Regisoient,  gisaient  tout  du  long,  et  comme  dit  encore 
le  peuple  :  Étaient  rétendus. 


GARIN  I-E  LOHERAIN.  235 

—  «  Es-tu  venerres,  qui  de  sor  le  tronc  siés  ? 

«  De  poi'c  ocire  qui  te  donna  confié? 

«  La  fores l  est  à  quinze  parsonniers  '  ; 

«  N'i  chasse  nus  se  il  n'a  d'ans  congié; 

'<  La  signorie  en  est  Fromont  le  viel. 

«  Esta  tous  cois,  nous  t'iions  mes  loicr  ", 

«  Tout  droit  à  Lens  te  renienrons  arrier.  » 

—  «Signor,  «  dist  Bègues,  «merci,  por  Dieu  del  ciel! 
«  Portez  m'honor,  car  je  sui  chevaliers. 
«  Se  j'ai  forfait  envers  Fromont  le  viel , 
<t  Droit  l'en  ferai  de  gré  et  volentiers  ; 
«  Garins  li  dus  me  venra  ostagier, 
«  Li  rois  mes  sires  qui  France  a  à  baillier, 
«  Et  mi  afant,  et  Auberis  mes  niés.  » 
Puis  dist  après  :  «  Or  ai  dit  que  laniers  '.  \ 

«  Diex  me  confonde  parmi  la  crois  dou  chief ,  \ 
«  Se  me  rends  prins  par  tex  set  pautonniers;  | 
'<  Ains  que  je  muire  me  venderai  moult  chier.  » 

'  Parsonniers,  co-possesseurs.  «  Qui  aliquid  in  commuue 
«  possident ,  »  disent  les  continuateurs  de  du  Cange ,  au 
mot  Personarii.  De  lu  le  féminin parsonnièré,  resté  chez  le 
peuple  dans  une  acception  analogue,  et  que  nous  mépri- 
sons, faute  de  connaître  ses  vieux  titres  de  noblesse. 

2  Esta,  restes.  C'est  l'impératif  latin  sta. 

3  Que  laniers,  comme  un  homme  sans  cœur. 


236  LI  ROMA.NS  DE 


VI. 


'^^^'t^^ioyoR  baron,  »  dist  Beiriies  li  iiiarchis, 
^^^\}[ii"  Hui  matinct,  quant  cest  porc  assaillis, 
kf^i-lf^^ïki"  Avoc  moi  furent  chevaliers  trente  six, 
■<  Venéors  maistres ,  sages  et  bien  aprins; 
«  N'i  a  celui  ne  tengne  fief  de  mi, 
«  Ou  bore  ou  ville,  donjon  ou  plaisséis. 
«  S'a  fait  cis  pors  c'onqties  autres  ne  fist; 
«  Grans  quinze  Hues  (ist  son  cors  porsievir, 
«  Onques  arriéres  nn  sembelet  ne  fist.  » 
Dist  l'uns  à  l'autre  :  «  Merveilles  puis  oïr  : 
«  Qui  vit  aine  pors  si  longement  fuir?  » 
Et  dist  Thiebaus  :  «  Ce  dit  por  soi  garir. 
«  Alez  avant,  forestiers,  biaus  amins, 
«  Coilliez  les  couples  por  les  chiens  détenir  '.  » 

1  Coilliez  les  couples,  accouplez  les  chiens. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  aîy 


VIL 


fvîî>^  ^ssA  avant  li  forestiers  moult  tost, 
{  fzhje  Et  vint  au  duc,  si  li  a  pris  le  cor'. 
'î^è-^S^B^yiit-s  le  voit,  à  pou  de  duel  n'est  mors, 
Hauce  le  poing ,  si  le  ferit  el  col , 
Devant  ses  pies  à  terre  l'abat  mort. 
Puis  li  a  dit  :  «  Moult  féistes  que  fol  ; 
«  A  col  de  conte  ne  penrez  jamais  cor.  » 

VIII. 

.^'^^^uant  ainsi  voit  le  forestier  morir, 
■^^J^^Ce  dist  Thiebaus,  li  glous  del  Plaisséis: 
1/^^^' —  «■  S'il  nous  eschape  nos  serons  escarni. 
«  Li  quens  Fromons  ne  nous  voudra  véir, 
«  Jamais  à  Lens  n'oserons  revertir.  » 
Quant  cil  l'oïrent,  grains  en  sunt  et  maris; 
Adont  li  rendent  un  estor  esbaudi  ^. 

'  Le  cor,  le  cor  de  chasse. 

»  Li  rendent  un  estor  esbaudi,  renouvellent  avec  Bègues 
une  lutte  acharnée. 


238  LI  ROMANS  DE 


IX. 


/I&^^i^ui  dont  véist  le  conte  droiturier 
tS,^ar.Desous  le  tremble  paumoier  son  espié, 


'^^è«54r^Sa  venison  et  son  cors  chalongier  ', 

Et  vers  les  sis  et  férir  et  lancier, 

Du  gentil  homme  li  préist  grant  pitié. 

Mort  lor  geta  trois  de  lor  chevaliers, 

Li  autres  trois  sunt  en  fuie  touchiés  2; 

Jamais  par  ans  ne  fust  recommencié, 

Quant  ,  par  le  bois,  ez  un  serjant  à  pie, 

De  la  seror  etoit  au  forestier; 

Arc  d'aubour  porte  et  sajetes  d'acier; 

Quant  cil  le  voient  si  prennent  à  huchier  : 

—  «  Viens  tost  par  ci,  Diex  garisse  ton  chief  ! 

«  Mors  es  tes  oncles,  li  riches  forestiers, 

«  Par  devant  nos  l'abati  uns  breniers. 

«  Va  tost,  biaus  sires,  si  penses  del  vengier.  » 

Quant  cil  l'oï,  n'i  ot  que  courecier; 

Il  prist  son  arc,  celle  part  courans  vient, 

Met  en  la  corde  un  grant  quarrel  d'acier 

Le  conte  avise  et  maintenant  le  fiert. 

De  la  sajèle  li  mist  el  cors  plain  pié, 

'   Chalongier,  disputer. 

»  Touchiés.  Le  sens  est  clair,  mais  le  mot  est  obscur.  Le 
seul  manuscrit  9654  porte  cachié,  pour  chasciés 


GARIN  LE  LOHERAIN.  aBg 

La  niaistre  veine  del  cuer  li  a  trenchié , 
Li  quens  s'abaisse  et  sa  vertu  li  cliiet  '  ; 
Fors  de  ses  poins  li  chai  son  espié. 
Li  dus  fu  sages,  ne  se  vont  esraaier  2, 
Dieu  reclama  le  glorious  del  ciel  : 

—  «  Glorious  pères,  qui  tos  tans  fus  et  ies  ^ , 

1  Sa  vertu,  sa  force. 

i  Esmaiei;  effrayer,  perdre  le  sens. 

3  A  la  suite  de  ce  vers,  le  manuscrit  de  Navarre ,  si 

différent  de  tous  les  autres,  donne  les  suivants  : 

u  Qai  eu  la  crois  te  laissas,  traviller 
Et  de  la  lance  par  le  costé  plaier, 
Por  nos  mefais  ,  non  por  autre  loier; 
Et  el  sépulcre  et  poser  et  conchier. 
Les  trois  Maries  si  t'alèrent  prier, 
L'ange  lor  dit  surrexi  vos  estiés  ; 
Si  com  c'est  voirs  ,  rois  glorious  del  ciel, 
Pardonés-moi  ,  sire  Diex,  mes  pechiés. 

Ces  vers  sont  beaux  sans  doute,  mais  outre  qu'ils  rap- 
pellent plusieurs  oraisons  des  chansons  de  Geste  moins 
anciennes, la  brièveté  des  paroles  de  Bègues,  telles  que  les 
donnent  tous  les  autres  manuscrits,  me  semble  plus  expres- 
sive. Au  reste,  chercbez,  dans  toutes  les  épopées  du  paga- 
nisme ,  dans  la  Gierttsalemmc  et  dans  les  niaises  imitations 
de  l'Enéide ,  quelque  chose  de  comparable  au  récit 
des  derniers  instants  de  Bègues.  C'est  ici  qu'on  est  forcé 
de  rendre  hommage  à  la  supériorité  de  la  religion  chré- 
tienne ,  et  je  plaindrais  le  lecteur  qui  ne  serait  pas  attendri 
jusqu'aux  larmes  de  cette  dernière  pensée  demi-terrestre, 
demi-céleste  :  «  Où  vais-je?  et  que  deviendront  ma  femme. 


24o  LI  ROMANS  DE 

«  Aiez  de  m'a  me  et  mercis  et  pitié. 

«  Ha!  Biaiitrix,  gentis  franche  moillier, 

K  Ne  me  verrez  à  nul  jor  desoz  ciel. 

«  Garins,  biaus  frères,  qui  Loheraine  tiens 

«  Jamais  tes  cors  n'iert  servis  par  le  mien. 

n  Mi  doi  afant ,  li  fil  de  ma  moillier, 

«  Se  je  véquisse  vous  fuissiez  chevalier, 

«  Or  vos  soit  pères  li  glorious  del  ciel!  » 

Trois  foilles  d'erbe  a  prins  entre  ses  pies  , 

Si  les  conjure  de  la  vertu  del  ciel, 

Por  corpus  Deu  les  reçut  volentiers  '. 

L'arme  s'en  vu  del  gentil  chevalier. 

Or  en  ait  Diex  et  manaide  et  pitié! 

Li  troi  glouton  li  sunt  soure  fichié  % 
Chascuns  le  fiert  de  son  tranchant  espié , 
Dusques  au  fust  li  font  el  cor  baignier, 
Or  culdent  ben  avoir  ocis  brenier. 
Non  l'ont,  par  foi,  mais  un  bon  chevalier 
Le  plus  léal  et  le  plus  droiturier 
Qui  onques  fust  soz  la  chape  del  ciel , 

mon  frère  et  mes  fils  ?  Seigneur,  pensez  à  eux  et  ayez 
pitié  de  moi!  »  —  Qui  tos  tans  fus  et  ies.  Ce  dernier  mot 
est  ainsi  écrit  pour  l'exactitude  de  la  rime. 

'  Por  corpus  Deu,  poîir  corpus  Dei,  pour  la  sainte 
Eucharistie. 

*  Soure,  sur. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  241 

Bègues  ot  non  ,  li  Lohérains  prisiés. 

Font  une  bière  por  les  lor  ens  cuichier' , 
Le  sangle  font  sor  un  roncin  chargier  , 
Le  cor  enportent  et  le  trenchaut  espié 
Et  enmenerent  le  bon  corant  destrier; 
Mais  les  trois  chiens  ne  porent  il  ballier*. 
Seul  ont  Begon  en  la  foret  laissié  ; 
Et  jouste  lui  revindrent  si  troi  chien, 
Huleut  et  braient  coin  fuissent  enragié. 

De  ci  à  Lens  en  vont  li  pautonnier: 
Ens  el  palais  portent  les  destrenchiés , 
Et  d'autre  part  furent  li  forestiers  ; 
En  une  estable  menèrent  le  destrier, 
Fronce  et  hennit  et  si  grate  des  pies, 
Que  nus  de  char  ne  li  ouse  aprochier. 
Et  le  sanglé  deschargent  au  foier. 
Véoir  le  vont  serjant  et  escuier, 
Les  belles  dames  et  li  clerc  du  mostier; 
Li  dent  li  saillent  de  la  goule  plain  pié. 

Sus  el  palais  est  li  cris  enforciés. 
De  ceus  que  Bègues  ot  mors  et  destranchiés  ; 

I  Font  une  bière.  Ils  font  une  bière  pour  y  déposer  ceux 
que  Bègues  avait  tués. 

ï  Baltier,  conduire,  maintenir. 

II.  II 


2/i2  LI  ROMANS  DE 

Li  qucns  Fromons  qui  en  la  chanbre  siet 

La  noise  oï,  s'en  fiist  moult  airiés; 

Il  sailli  sus,  en  eschapins  chauciés: 

—  '<  Fis  à  putains!  »  ce  dist  Fromons  li  vies, 

«  Quelle  noise  est  que  démenez  si  griés  ? 

«  Dont  vint  cis  pors,  où  est  prins  cis  espiés 

«  C'est  olifant  en  la  main  me  bailliez.  » 

Il  le  regarde  environ  et  en  chief, 
De  deus  viroles  de  fin  or  est  liés; 
La  guiche  en  fu  d'un  vert  paile  px'isié'. 
Ce  dist  Fromons  :  «  Cis  garnemens  est  chiers, 
«  Tel  n'en  porta  né  garçons  né  breniers. 
«  Où  fu  ce  prins?  gardez  nel  me  niez; 
«  Par  ceste  barbe  se  vous  le  me  celiez , 
«  En  autre  tans  les  resaurois-je  bien,  » 
Et  cil  respondent  :  «  Nos  le  vous  dirons  bien. 
«  Nos  estions  vostre  forest  serchier  ', 
«  Si  i  trouvâmes  un  orguillou  brenier 
«  Qu'ot  un  sanglé  retenu  à  trois  chiens. 
«  En  cest  palais  le  vous  ameniens^, 
<(  Quant  à  ses  poins  ocist  vo  forestier; 

»  La  guiche,  la  bande  qui  servait  à  suspendre  le  cor. 

ï  Nos  estions,  nous  étions  à  faire  notre  visite  dans  vos 
bois. 

3  Ameniens,  au  lieu  de  amenions ,  pour  la  rime  qui 
exigeait  les  dernières  voyelles  ;  ie. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  243 

B  Apres  ocist  trois  de  vos  chevaliers. 

«  Nous  l'avons  mort,  nostres  est  li  péchiés.  » 

—  «  Qu'en  avez  fait?  »  ce  dist  Fromons  li  vies, 

—  «-  Sire,  en  cest  bois  l'avonsmes  nous  laissié  '.  » 
Et  dist  Fromons  :  «  Or  est-ce  graus  pechiés. 

«  Alez,  signor,  jà  est-il  crestiens; 

«  Jà  l'averoient  demanois  loup  mangié  *. 

«  Alez  i  tost,  cil  aportez  arrier  : 

«  Il  iert  à  nuit  à  chandoiles  gaitics 

«  Et,  le  matin,  l'enfuirons  el  raostier: 

«  Frans  bons  de  l'autre  doient  avoir  pitié.  » 

Et  cil  respondent  :  «  De  gré  et  volentiers!  » 

Envis  le  font,  mais  ne  l'ousent  laissier. 

En  la  foret,  sunt  reparié  arrier  : 
Sor  une  bière  lèvent  le  chevalier, 
Et  après  lui  s'aroutèrent  si  chien. 
De  ci  à  Lens  n'ont  cure  d'atargier; 
Sor  une  table  où  Fromons  suet  mengier  ' 
A  haute  feste,  quant  léans  sa  cort  tient, 
Là  ont  couchié  le  baron  droiturier. 
Tout  entor  lui  s'aroutèrent  si  chien , 

«  L'avonsmes,  pour  avons.  Plusieurs  leçons  du[Garin  em- 
ploient toujours  cette  forme,  qui  se  rapproche  plus,  en 
effet ,  de  Vhnbemtts  latin. 

»  Demanois,  promptement. 

î  Suet,  a  coutume. 

II. 


2^4  LI  ROMANS  DE 

Hulent  et  braient  et  mainent  grant  tenipier  ', 
Toutes  ses  plaies  li  corurent  lichier; 
Diex  ne  fist  home  qui  n'en  préist  pitié. 
Véoir  le  vont  baron  et  chevalier, 
Sor  sa  poitrine  avoit  la  main  croisié, 
Dist  l'uns  à  l'autre  :  «  Com  est  grans  et  pléniers!  » 
<'  Com  belle  bouche  et  com  cis  nés  li  siet! 
«  Or  l'ont  ocis  glouton  et  pautonnier, 
f    «;  Jamais  frans  hons  ne  le  voulust  touchier  : 
I     <  Gentis  hons  fu,  moult  Tamoient  si  chien.  » 
V    Cesle  parole  oi  Fromons  li  vies. 

Fromons  li  quens  droit  vers  le  cors  en  vient, 
Il  le  regarde  et  devant  et  derrier; 
Vif  l'ot  véu,  mort  le  reconnut  bien, 
Par  une  plaie  qui  sor  le  vis  li  siet 
Que  il  méismes  li  ot  fait  d'un  espié, 
Sor  Saint-Quentin  de  desous  le  gravier  ', 
Li  bers  le  voit,  n'i  out  que  courécier, 
Pasmés  chaï  entre  ses  chevaliers. 
Au  relever  sunt  li  cri  enforcié  : 
—  «  Fis  à  putain  !  »  dit  Fromons  au  vis  fier, 
«  Vous  moi  disiez  ocis  aviez  brenier, 
«  Un  venéor,  un  glouton  pautonnier; 
«  Non  l'avez,  voir,  mais  un  bon  chevalier, 

I  Tempier,  tempête,  bruit. 
»  Yoy.  tome  P"",  page  265. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  245 

n  Le  plus  cortois  et  le  miens  ensignié 

«  Qui  portast  armes,  né  montast  en  destrier. 

«  Fis  à  putain,  corn  m'avez  engignié!  » 


;is  à  putain,  «  li  quens  Froraons  a  dit; 
'  «■  Vous  moi  disiez  brenier  avez  ocis, 
«  Non  l'avez ,  voir,  Diex  vos  maudie  vis  ! 
«  Ains  avez  mort  un  chevalier  gentil, 
«■  Begon  a  non  dou  chastel  de  Bélin. 
«  La  nièce  avait  l'empéreor  Pépin , 
«  Si  est  ses  niés  li  Bourguignons  Aubris , 
«  Gautiers  d'Hanau,  Hues  de  Cambrisis. 
«  En  si  grant  guerre  m'avez  hui  ce  jor  mis, 
«  N'en  isterai  tant  com  je  soie  vis. 
«  Las  !  or  verrai  mes  grans  chastiaux  croissir, 
«  Et  ma  contrée  esillier  et  laidir, 
«  Et  moi  méismes  en  convenra  morir  ; 
«  Et  si  ne  l'ai  né  porchascié  né  quis. 
«  Or  sai-je  bien  comment  porrai  garir; 
«  Je  vous  penrai  qui  lui  avez  ocis , 
«  Ens  en  ma  chartre  ferai  vos  cors  gésir, 
«  Thiebaut  premier,  mon  nevou  qui  le  fist  : 
«  Puis  manderai  à  Mez  au  duc  Garin 
"  Que  ceus  ai  pris  qui  le  comte  ont  ocis. 
«  Sa  volenté  en  fasse  li  marchis. 


24^  LI  ROMANS  DE 

"  Ou  ardre  ou  pendre  ou  escorchier  tos  vis, 

"  Ou  à  tousjors  giter  fors  dou  païs. 

"  Quoi  qu'il  en  fasse ,  moi  l'esteura  sofrir. 

"  Jurerai  li  ou  trente  fois  ou  dis 

«  Que  je  nel  sus  né  ne  le  consentis, 

«  Né  là  ne  fui  où  li  dus  fu  ocis. 

«  Or  et  argent  li  donrai  à  plaisir, 

«  Que  ne  pourroient  porter  quatre  roncins; 

«  Meules  de  chiens  et  faucons  quatre  vins; 

«  Dis  mille  messes  ferai  chanter  por  li 

'<  A  sains  abbés ,  à  prestres  bénéis , 

<■  Que  Diex  de  l'arme  ait  pitié  et  merci. 

«  Se  ce  li  fais,  il  ne  me  doit  haïr.  » 

Son  chapelain  apelle,  si  li  dit  j 
Si  li  fait  mettre  en  brief  et  en  escris 
Lor  acordance  et  lor  fais  et  lor  dis  : 
Puis  fait  le  cors  del  chevalier  ouvrir, 
Et  le  dedans  en  paile  recoillir. 
Et  puis  le  fist  richement  sevelir  ' 
Devant  l'autel ,  au  mostier  saint  Berlin  î. 

'  Le,  les  entrailles ,  le  dedans. 

^  Au  mostier  Saint-Bertin.  Variantes  : 

...  .El  moslier  Saint  Vesquin.  — 
. .  .  .Ens  el  maistre  parvis.  — 
.  . .  .El  mostier  Saint-Seurin.  — 
  Saint- Uigal,  devant  le crucefis. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  247 

Le  cors  lavèrent  et  d'iave  et  de  vin. 
Li  quens  méismes  ses  blanches  mains  i  niist; 
D'un  fil  de  soie  le  restraint  et  cousi  ', 
Puis  l'envolupe  en  un  drap  de  saniis. 
En  cuir  de  cerf  font  le  baron  covrir, 
Font  une  bière,  le  vassal  i  ont  mis , 
Et  environ  trente  cierges  espris. 
Il  firent  crois  et  encensiers  venir, 
Li  quens  Froraons  à  son  chevet  s'assit  *. 

A  ces  parolles  estes-vos  Fromondin 
Lui  et  Guillaume,  son  oncle  de  Monclin. 
Ens  en  la  salle  est  entrés  Fromondins  ; 
Quant  vit  le  cors  à  mervillier  se  prist, 
Il  demanda  :  <  Qui  est-ce  qui  ci  gist?» 
—  «  Fis,  »  dit  li  pères,  «  c'est  Bègues  de  Belin , 
«  Si  l'a  ocis  Thiebaus  dou  Plaisséis , 
«  For  un  sanglé  qu'en  la  forêt  ot  pris.  » 

'  Le  restraint,  le  resserra,  le  referma. 

'  Cette  description  n'inspirera-t-elle  pas  un  jour  quel- 
qu'un de  nos  peintres?  la  douleur  du  vieux  Froment  et 
les  devoirs  funèbres  qu'il  croit  devoir  rendre  à  son  plus 
redoutable  ennemi  ;  le  soin  qu'il  prend  de  laver  et  re- 
coudre le  corps  et  de  veiller  au  chevet  de  la  bière,  tout 
cela  ne  pourrait-il  pas  sembler  aussi  pittoresque  et  ausssi 
touchant  que  la  mort  d'Adonis,  par  exemple  ?  Je  puis  me 
Jfomper. 


2/,  8  LI  ROMANS  DE 

—  «  Qu'en  avez  fait,  sire?  »  dit  Fromonclins, 
"  Que  ne  l'avez  escorchié  trestout  vif? 

«  Or  dira-on  que  vous  l'avez  murdri, 

«  S'en  arons  honte  et  nos  millor  ami. 

«  Prenez  Thiebaut  et  l'envoiez  Garin.  « 

Et  dit  Fromons  :  «  En  ma  chartre  est  jà  mis , 

«  Avec  la  bière  certes  sera  tramis.  >> 

—  '<  Non  ferez,  frère,  »  li  quens  Guillaumes  dit, 
«  Il  est  tes  niés  et  de  ta  seror  fis, 

«  S'en  parlerons  premiers  à  nos  amins.  » 

—  «  Et  je  l'otroi,  »  li  quens  Fromons  a  dit. 

De  lez  la  bière  sunt  11  baron  assis. 
Qui  dont  véist  le  vallet  Fromondin, 
Il  le  rcgrète  com  la  mère  son  fil  : 

—  «  Tant  mari  fustes,  frans  chevaliers  gentis  ', 

'  Tant  mar  i  fustes.  J'ai  déjà  plusieurs  fois  exprimé 
mes  incertitudes  sur  le  sens  de  cette  phrase  remarquable; 
mais  je  n'ai  pas  encore  dit  que  marr,  maerr  et  meiri,  dans 
l'ancienne  langue  Scandinave,  signifie  constamment  illus- 
trîs,  insignis,  comme  dans  ce  passage  d'une  saga  : 

Mvn  gopa  qvaii 

Gunnarr  e'tga 

Maerr  med  monnom. 

An  probam  uxorem  Gunnar  in  conj'ugio 
Hal>ebit  insignis  inter  homines? 

(Qiiida  Sigurdar  fatnisbana.) 
Voyez  le  glossaire  joint  à  l'excellente  édition  des  Sagas,  de 


GA.RIN  LE  LOHERAIN.  249 

«  Li  miudres  princes  qui  ains  béust  de  vin  ! 
«  Se  vous  fuissiez  armés  et  fervestis, 
«  N'en  doutissiez,  acertes,  trente  sis; 
«  Mais  li  glouton  vous  orent  si  sorprins, 
«  Il  Vous  ont  mort  ;  certes ,  ce  poise  mi , 
«  Car  li  damages  en  revenra  sor  mi.  » 

Il  ont  mandé  le  bon  abé  Liétris; 
De  saint  Amant  en  Puelle  fu  noris 
Et  si  fu  niés  au  Loherenc  Garin  ; 
En  sa  compaigne  chevaliers  trente  sis 
Et  quinze  moines  sacrés  et  bénéis. 
Vint  en  la  salle  où  li  barnages  sist, 
Où  voit  Fromont,  si  l'a  à  raison  mis  : 
—  «  Sire,  »  dist-il,  «  vous  m'avez  mandé  ci; 
«  Ques  bons  est-ce  qu'en  celle  bière  gist  ? 
«  Est-il  malades  ou  navrés  ou  ocis  ?  >* 
Et  dist  Froraons  :  «  Ne  vous  en  quiers  mentir; 
'<  Cest  li  quens  Bègues  dou  chastel  de  Bélin. 
«  Garçon  l'ont  mort  dedens  cel  bois  antif, 
«  Por  un  sanglé  que  mar  fuist-il  norris!  » 

18 1 8,  aux  mots  maeri  et  marr.  Or  ne  serait-ce  pas  le  sens 
de  notre  mar  i,  qu'alors  il  faudrait  écrire  mari  ?  Je  donne 
cette  curieuse  question  à  résoudre  aux  savants.  Je  dois 
seulement  ajouter  que  plusieurs  manuscrits,  au  lieu  de 
tant  mar  i,  écrivent  dans  tous  les  passages  où  revient  la 
même  phrase,  corn  marifustes! 

II.. 


2  5o  LI  ROMANS  DE 

L'abes  l'oï,  à  pou  n'enrage  vis  : 

n  Qu'est-ce,  tléables,  Froraons,  que  tu  as  dit? 

«  Mes  oncles  eit  dus  Bègues  de  Bélin  : 

«  Par  les  sains-Dieu,  vous  l'avez  fait  murdrir. 

«  Or  me  verrez  de  moniage  issir  ' , 

«  Le  blanc  haubert  endosser  et  vestir; 

«  Et  manderai  de  mes  riches  amins, 

«  Aubri  mon  frère,  et  l'allemant  Ouri  ", 

«  Gautier  d'Hanau ,  Huon  de  Cambresis , 

«  Mes  cosins  sunt  ;  ne  sunt  pas  Ions  de  ci  ; 

«  N'i  garirez,  fis  à  putain,  »  dist-il , 

"  De  maie  mort  vous  feronmes  morir.  » 

Fromons  l'oï,  moult  grant  paor  l'en  prist, 
La  chars  li  ti'emble  et  li  sans  li  noirci  : 
—  «  Ha  !  sires  Abes ,  por  l'araor  Dieu  merci  ! 
«  Por  saint  Sepucre  ne  faites  mie  ensi  ! 
n  Vous  estes  abes  et  je  quens  del  païs^; 
«  Qui  vous  forfait  jà  venez-vous  à  mi, 
«  Et  je  vous  fais  de  vos  rentes  joïr  ; 
«  N'est-il  un  seul  qui  riens  vos  ost  tollir. 
«  Portez-en,  sire,  le  baron  qui  ci  gist 
«  De  ci  à  Mez  au  Lohérenc  Garin , 

»  Moniage,  ordre  monacal. 

2  Aubri,  mon  frère.  Lietris  était  donc  fi!s  de  la  deuxième 
lille  d'Hervis  de  Metz.  (Voyez  tome  I""",  page  5o.) 

3  Del  pats.  Variante  ;  Palaisiiis. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  î5i 

n  Et  si  li  dites  que  je  ai  iceiis  priiis 
«  Qui  ont  le  conte  destranchic  et  ocis. 
«  Si  li  rendrai  del  tôt  à  son  plaisir.  » 
Et  dit  li  abcs  :  «  Or  avez-vous  bien  dit. 
«  S'cusi  le  faites,  dont  porez  vos  garir.  » 
Sor  une  bicre  font  le  baron  gésir, 
Si  le  levèrent  sor  un  mur  sarrasin  ', 
Quatre  serjans  i  ot  por  le  tenir. 

Huirtiais  dirons  des  chevaliers  gentis 
De  la  mainie  dant  Begon  de  Bélin 
Qui  la  nuit  vinrent  tôt  droit  à  Valentin  , 
Chiez  lor  bon  oste  dant  Berengier  le  gris. 
Si  grant  duel  orent  que  ne  porent  dormir. 
Moult  regretèrent  Begon  le  pallasin, 
Car  il  ne  sourent  quel  part  il  fu  guenchis  ; 
Plourent  et  crient  et  gietent  lor  sopirs. 
L'ostes  les  voit,  raoult  grant  pitié  l'en  print  : 

—  «  Frans  chevaliers,  »  li  ostes  lor  a  dit, 

«  Moult  est  prodons  dus  Bègues  de  Belin, 
«  Larges,  cortois  ,  sages  et  bien  apris; 
«  Il  me  donna  cest  pélisson  hermin 
n  Et  de  raon  col  cest  mantel  sebelin,, 
«  Je  ne  lairoie  por  tôt  l'or  que  Diex  fist 
'■  Que  je  nel  quiere  à  nuit  o  le  matin.  » 

—  «  Ça  montons  tost,  »  li  dus  Rigaus  a  dit, 
Et  il  si  firent,  onques  n'i  ot  respit. 

•   Un  mur.  Variante  :  Dciis  mu/s. 


2  Sa  LI  ROMANS  DE 

A  mie  nuit  issent  de  Vallenlin  , 
Ains  ne  finèrent  dusqucs  en  Champbelin  ' 
Un  moniage  où  Diex  estoit  servis; 
Devant  en  va  dans  Berengiers  li  gris, 
Et  vit  un  moine  de  sa  chapelle  issir, 
Or  l'en  apelle,  cortoisement  li  dist  : 
«  Un  chevalier  eussiez  véu  ci?  » 
Li  moines  l'ot,  à  porpenser  se  prist  : 
—  «  Sire,  »  dist-il,  «  ne  vous  en  quiers  mentir, 
«  Er  soir  au  vespre  en  passa  uns,  par  ci, 
«  Gentilhoms  fu,  que  son  salut  me  fist. 
'<  Et  si  cliasçoit  un  sanglé  à  estrif , 
«  Mais  tuit  si  chien  estoieut  alentis.  » 
Quant  cil  l'oirent,  s'en  furent  esbahis. 

Et  li  frans  moines  en  la  voie  les  mist; 
Les  cors  as  bouches  commencent  à  tentir. 

»  Champbelin.  Variantes  :  n"  9654. 3- a.^-  Cambelin. — 
n°  7633 ,  Si  vinrent  en  Ligni.  —  Pour  le  manuscrit  de  Na- 
varre, il  diffère  complètement  des  autres  par  le  style,  dans 
tout  le  cours  de  cette  dernière  chanson.  Selon  la  leçon ,  les 
chevaliers,  en  quittant  Yalenciennes,  s'enfoncèrent  dans  le 
bois: 

Escaut  passèrent  au  pont  Saint-Valentin 

Par  Saint  Amant  en  peuve  se  sunt  mis. 

A  icel  jor,  baron ,  que  je  vos  di 

N'i  avoit-il  ne  ville  né  maini 

Ains  estoit  tuit,  bois,  forest,  sartéis.... 

Un  essart  truevent  si  ot  un  trencbéis , 

Chapelle  i  ot  que  uns  sains  homs  i  fist...» 


GARIN  LE  LOHERAO.  î53 

De  Lens  les  ot  Fromons  li  poestis 
Qui  condiiisoit  le  cors,  ce  m'est  avis. 
L'abé  apele,  si  l'a  à  raison  rais  : 
—  «  J'entens  ici  ne  sais  quel  gent  venir, 
«  De  la  mainie  dant  Begon  de  Bélin, 
«  Je  n'en  quiers  nul  regarder  né  véir, 
«  Car  gens  iriés  sunt  tousjors  esbahis  ; 
«  Test  font  tel  chose  qui  à  mal  reverti. 
«  Portez-en ,  sire,  le  cors  qui  ici  gist  '.  » 
L'abes  s'entorne  et  Fromons  s'en  parti  : 
Tout  maintenant  en  son  chastel  en  vint. 
Ferme  les  portes  et  les  murs  fit  garnir; 
"N'est  pas  merveille  se  Fromons  doute  si , 
Il  a  bon  droit ,  qu'il  a  moult  d'anemins. 

Devant  chevauche  dans  Berengiers  li  gris,^ 
Bien  reconnu  le  bon  abé  Liétri , 
Il  li  demande  :  «  Dont  venez-vous  ensi? 
'  Li  ques  bons  est-ce  qu'en  celle  bière  gist?  >> 
Et  cil  respont  :  «  C'est  Bègues  de  Bélin, 
«  Li  Loherens,  frères  au  duc  Garin. 
n  En  la  forêt  Fromont  le  poestis 
.<  L'ont  sa  gent  mort,  destranchié  et  ocis.  >. 
Quant  cil  l'entendent,  moult  furent  esbahis. 
e^s'^'^'enfes  Rigaus  s'est  à  la  bière  mis, 

Son  oncle  baise,  entre  ses  bras  le  prist, 

'  Portez-en ,  aujourd'hui  :  emportez. 


2  54  LI  ROMANS  DE 

Il  li  doscout  le  cuir  de  cerf  bouli, 
En  droit  les  icus  li  trenche  le  samis. 
Il  vit  le  duc  en  la  bière  gésir, 
Les  ieus  tornés  et  tenebrous  le  vis, 
Et  les  bras  roides  et  le  cors  enfusci  ' 

—  «  Oncles,  »  dist-il ,  «  maie  nouvelle  a  ci  ! 
«  Qui  vous  a  mors  il  n'est  pas  mes  arains.  » 
Et  li  dansel  que  Bègues  out  norris, 

Et  atendoient  chevaliers  les  féist , 
Moult  se  clamèrent  maleurous  chaïtis  : 

—  '<  Que  ferons  or?  que  pourrons  devenir? 
«  En  nos  païs  n'oserons  revenir. 

«  Que  dira  ores  vo  moilliers  Biatris, 
«  Vo  dui  afant  Hernaudés  et  Gerins?  o 
Et  dist  Rigaus  :  «  Allons  les  assallir; 
«  Ne  pris  ma  vie  vaillant  un  Angevin  '.  w 

—  «  Non  ferez,  sire,  »  dist  li  abes  Lietris, 
«  Riches  bons  est  Fromons  li  poestis , 

«  De  grant  linage,  et  enforciés  d'amins; 
«  Mais  portons-en  le  cors  que  je  vois  ci 
'<  Tout  droit  à  Mez ,  au  Loherenc  Garin, 
«  Là  porons  nos  autre  novelle  oïr.  » 
Et  dist  Rigaus  :  «  Tôt  à  vostre  plaisir  !  » 

A  tant  s'en  tornent  li  franc  home  gentil , 
Ens  chiez  lor  oste  vinrent  à  Valentin. 

I  Enfusci ,  noirci  ;  du  latin  fiiscus. 
»  Ne  pris,  je  ne  prise. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  aSS 

Sus  en  la  salle  font  la  bière  venir, 

Véoir  la  vont  cil  damoisiaus  de  pris , 

Les  belles  dames  qui  ont  simples  les  vis. 

«  Dist  l'une  à  l'autre  :  «  Diex!  quel  damage  a  ci!  « 

Grant  luminaire  ont  entor  lui  esprins. 

Rigaus  apelle  son  ostes,  si  li  dist  : 

«  Por  Dieu  !  biaus  ostes,  entendez  envers  mi  ; 

«  Conduisez-moi  trestot  droit  à  Crespi', 

«  Je  vous  donrai  ma  robe  que  voici.  » 

—  «  Sire ,  »  dist  l'oste,  «  la  vostre  grant  merci!  » 
Rigaus  s'en  enble,  des  autres  est  partis, 
L'oste  le  guie  au  cler  et  au  seri; 

Il  passent  Oise  en  un  batel  petit , 
Passent  le  bois  et  la  forest  aussi , 
Quant  furent  fors  et  fut  passés  midis, 
L'oste  retorne  si  li  montra  Crespi, 
Va  s'en  Rigaus  ne  but  né  ne  dormi , 
Ne  finera  si  venra  à  Paris, 
Où  sejornoit  la  franche  emperéris. 
Nuis  fut  oscure  comme  Rigaus  i  vint. 
Ses  bons  chevaus  ne  pot  dou  pas  issir. 
Il  descendi  chiez  son  este  Landri. 
L'oste  le  voit,  moult  en  fu  esbahis  : 

—  «  Sires  Rigaus,  d'où  venez  vous  ensi? 

«  Où  est  vos  sires,  dus  Bègues  de  Bélin?  » 

'  Crespi  en  Valois. 


2  56  LI  ROMANS  DE 

—  <<  En  Loheraine,  o  son  frère  Garin  '  : 
'<  Mais  il  m'envoie  arrier  en  son  pais. 

«  Où  est  ma  dame,  la  franche  enpéreris  ?  « 
Et  cil  respont  :  «  Je  la  vis,  hui  matin 
«  A  Notre  Dame,  où  elle  messe  oï.  » 

Jusqu'à  la  salle  ne  fina,  si  i  vint, 
Por  desconoistre  ot  son  chaperon  mis  '. 
En  une  chanbre  estoit  l'empéreris. 
Il  la  sallue  corn  jà  pourez  oïr  : 

—  '<  Diex  vous  saut,  dame,  qui  en  la  crois  fu  mis!  » 
Elle  l'esgarde  devant,  enmi  le  vis. 

Si  li  escrie  :  «  Es  tu  ci ,  Rlgaudins  ? 

«  Où  est  dus  Bègues ,  li  sires  de  Bélin.  » 

—  «  Dame,  »  dist-il,  «  jel  vous  arai  tost  dist.  » 
A  une  part  la  dame  se  guenchi  : 

—  «  Dame,  »  dist-il,  «  entendez  envers  mi  : 
«  Ne  dites  mot  de  ce  que  je  vos  di , 

«  Ains  le  celez,  por  Dieu  qui  ne  menti.  » 

Et  dist  la  dame  ;  «  Volentiers,  biaus  amins.  » 

Et  dist  Rigaus  :  «  Mes  sires  est  ocis, 

«  Li  riches  princes  qui  souef  me  norri  !  » 

La  dame  l'ot ,  tous  li  sans  li  frémi , 

Une  grant  pièce  ala  que  mot  ne  dist. 

I  O  son  frère,  avec  son  frère. 

»  Desconoistre,  demeurer  méconnu. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  267 

Ça  fust  chéiie  quant  Rigaus  la  retint, 

Et  dist  Rigaus  :  «  Dame,  por  Dieu  merci, 

<  Ne  faites  noise,  né  senblance,  né  cri, 

«  Que  ne  le  sachent  li  grant  né  H  petit; 

«  Ains  que  le  sachent  mi  mortel  anerain, 

«  Les  cuis-je  faire  coureçous  et  maris. 

«  Mais  grant  merveille  or  en  droit  m'en  avint 

«  Que  desous  moi  mes  chevaus  mort  chaï.  » 

—  «  Ne  vous  chaut  niés,  »  ce  dist  l'empéreris, 
«  Vous  le  raurez  gros  et  grant  et  forni.  » 

Elle  en  apelle  son  chanberlain  David  : 

—  «  Donnez  Rigaut  cel  destrier  arrabi 
'<  Que  me  donna  li  abes  de  Clugni , 

«  Et  vous  comant  que  soiez  avoc  li.  » 
Et  dist  Rigaus  :  «  Dame,  vostre  merci  ! 
«  Il  a  deus  nuis,  dame,  que  ne  dormi 
«  Né  ne  manjai,  tant  ai  le  cuer  marri.  » 

—  «  Si  mangerez,  »  dit  la  dame,  «  un  petit.  » 
On  li  aporte  plain  un  barris  de  vin  ', 

Et  quatre  pains  et  un  paon  rosti*.  » 
Li  bers  manja  qui  le  cuer  out  hardi. 
Un  sol  petit  se  cuicha  et  dormi, 
Puis  sallit  sus  et  s'en  torna  d'enqui. 

'  Piain  un  barris.  Variante:  Tôt  plain  un  pot. 
*  Et  (juatre  pains.  Variantes  :  El  quatre  cignes.  —  Et 
quatre  simles.  —  Et  quatre  peins. 


258  LI  ROMANS  DE 

A  Dieu  commande  la  franche  empéreris, 
Moult  fut  doUante,  ni  ot  né  geu  né  ris. 

Rigaus  s'en  va,  que  lonc  délai  ne  fis!: 
Jusqu'à  Orliens  ne  prist-il  onques  fin  ; 
N'i  trouva  mie  le  sien  oncle  Hernaïs, 
En  Anjou  est  o  Joiffroi  l'Angevin. 
Joie  li  fait  ses  aiole  Heloïs  : 

—  «  Li  miens  cliiers  niés,  bien  puissiez  vous  venir 
'  Où  est  mes  frères,  revenra-il  par  ci?  » 

Et  cil  respont  :  «  Si  m'aït  Diex,  nenil, 

«  Mors  est  vos  frères;  Bordelois  l'ont  ocis.  » 

—  «  Diex  !  »  dist  la  dame,  »  sires  pères ,  merci  !  » 
Et  dist  Rigaus  :  «  Je  raoverai  matin  ; 

n  Nel  dites  mie ,  mais  pensez  del  covrir  ; 

«  De  Bordelois  cuis-je  faire  tel  train , 

«  Toute  la  terre  tornera  à  desclin. 

«  Dites  mon  oncle ,  por  Dieu  qu'il  ne  m'oblit , 

«  Vengne  après  moi  et  Jofrois  l'Angevins  , 

«  A  tant  de  gens  com  il  pouront  sofrir. 

«  A  Gironville  soit  li  dus  mercredi.  » 


GARIN  LE  LOHERAIN.  269 

XI. 

«es  parolles  est  montés  au  destrier. 
^^^^Va-s'en  Rigaus,  sans  point  de  l'atargier. 
jLa  bonne  dame  li  avoit  fait  chargier 
En  sa  compengne  quatorze  chevaliers; 
Boorges  passe  et  Neuf  cliastel  sor  Chier  '  ; 
A  grans  jornées  a  Rigaus  chevauchié. 
Deci  à  Blaives  ne  fine  d'esploiter. 
Celle  nuit  jut  chiez  le  prevost  Gautier, 
Si  fait  moût  bien  la  ville  aparillier 
Les  fossés  faire  et  les  murs  redrecier; 
Puis  fait  semondre  et  mander  estagiers. 


XII. 

Ij^ui-MAis  dirons  de  Begon  le  marchis. 

*^'  P  lÔ^*^^'-^^^  servise  en  fist  l'empéreris; 

"  ^     (Begon  en  portent  au  Lohérain  Garin. 
Ardenne  laissent,  en  Argonnois  sunt  mis. 
En  Lohéraine  d'autre  part  sunt  guenchis. 
De  ci  à  Gordes  ne  prisrent  onques  fin 

«  Neuf  chaste/,  ou  Château-Ntuif ,  à  liuit  lieues  au-delà 
de  Bourses. 


26o  LI  ROMANS  DE 

Une  abaïe  qui  fu  del  temps  aniif , 

Là  la  fonda  des  mons  d'Auxois  Tieris  '. 

La  nuit  i  jurent;  bien  furent  recoillis  , 

La  messe  chantent  si  tost  com  li  jors  vint, 

Puis  s'en  tornèrent,  as  chevax  se  sunt  mis; 

Bégon  emportent  qui  en  la  bière  gist. 

De  ci  à  Mez  ne  prisrent  onques  fin  : 
Le  jor,  fu  feste  d'un  cors  saint  bénéi. 
Del  mostier  ist  li  Lohérains  Garins 
Avec  sa  feme  la  cortoise  Aélis  ; 
Quatrevins  dames  i  ot  de  moult  grant  pris, 
Toutes  vestues  et  de  vair  et  de  gris  : 
Devant  Garin,  l'enfes  Girbers,  ses  fils, 
Et  après  lui  de  daraoisiaus  ot  vint. 

Grans  fu  la  joie  qu'on  fait  devant  Garin. 
'  As  eschelettes  font  le  mabre  tentira, 
Les  damoiseles  chanter  et  esbaudir  : 
Haute  est  la  feste,  chascuns  la  vuet  oïr. 

»  Les  chartes  de  l'abbaye  rapportent  à  l'évéque  Gode- 
grand  ,  en  749,  et  non  pas  au  comte  Thierri  d'Alsace  ,  la 
fondation  de  Gorzes. 

2  As  eschelettes,  aux  clocheltes.  Les  Italiens  disent 
squilla ,  et  nos  Méridionaux  squlllo,  pour  cloche.  On 
trouve  dans  les  auteurs  de  la  basse  latiuité  chillœ  et  es- 
chillce  pour  cloche;  les  Angevins  en  gardent  encore  le 
diminutif  eschillettes. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  261 

—  «  Sainte  Marie  !  «  ce  dist  li  dus  Garins, 
«  Salvez  mon  cors  et  trestot  mes  amis! 

«  Li  cuers  me  faut,  trestoz  suis  estordis, 

«  Il  m'est  avis  fouldre  doie  chaïr. 

«  Diex  !  se  c'est  bien  qui  me  doie  avenir, 

'<  Donnez-le  moi,  par  la  vostre  merci, 

«  Et  de  toz  maus,  se  toi  plaist,  m'escremis  '.  » 

—  «  Biaus  sires  dus,  «  dist  madame  Aélis, 
«  Car  faites  crois,  par  devant  vostre  vis, 

«  Que  desor  vous  ne  soit  maus  anemis, 
'<  Ne  jà  déables  ne  vous  puisse  esbaïr.  » 
—  '<  Je  lotroi,  dame,  »  ce  dist  li  dus  Garins, 
Leva  sa  main ,  de  Dieu  signa  son  vis. 

Sos  un  olive  li  Loherains  s'asist  2, 
Moult  fu  dolens  ,  ne  se  pot  sostenir. 
Environ  lui  ses  chevaliers  gentis, 
Les  belles  dames  qui  ont  simples  les  vis. 
Il  resgarda  tôt  le  ferré  chemin  , 
Et  vit  les  rotes  parmi  le  pont  venir. 
Begon  aportent  qui  en  la  bière  gist. 
Et  dist  li  dus  :  «  Je  voi  le  gent  venir, 

•  M'escremis ,  tirez-moi  de  la  crainte  de  tout  malheur, 
i  Soz  un  olive,  un  olivier.  Ce  mot  est  souvent  pris  dans 
le  même  sens  : 

Bele  Emmeios ,  desoz  la  verte  olive.... 
(Romancero  françois.) 


262  LI  ROMANS  DE 

«  Estrauge  sunt,  foi  que  dois  Saint  Martin  , 
.  «  Attendons-les ,  signor,  les  vos  raercis.  » 
Et  cil  respondent  :  «  Sire,  vostre  plaisir!  » 

A  tant ,  ez-vous  le  bon  abé  venir; 
Garins  le  voit,  moult  doucement  li  dist  : 
tt  Dont  venez-vous,  biaus  sires,  biaus  amis?  » 

—  f<  De  nostre  terre  »  li  bons  abes  a  dit , 
«  Méusmes-nous,  il  n'a  pas  quinze  dis.  » 

—  «  Ques  bonis  est-ce  qui  en  la  bierre  gist  ? 
«  S'il  est  malades  o  navrés  o  ocis?  » 

Et  dist  li  abbes  :  «  Il  vous  sera  bien  dit  : 
«  C'est  vostre  frères ,  dus  Bègues  de  Bélin, 
!<  En  la  forest  Fromont  le  poestis 
«  Le  vos-a  l'en  destrenchié  et  ocis.  » 
Li  dus  l'entent,  à  poi  n'enrage  vis. 
Vint  à  son  frère  qui  en  la  bière  gist, 
Il  li  derompt  le  cuir  de  cerf  bouli 
Endroit  les  iex  li  trencha  le  samit 
Et  vit  le  duc  en  la  bierre  gésir, 
Les  iex  troublés  et  tenebreus  le  vis. 
S'ot  les  bras  roides  et  le  corps  afusci. 
Li  dus  le  voit ,  moult  en  fu  esba'is , 
Il  chiet  pasraéi»  ne  se  pot  sostenir. 
Au  relever  sunt  enforcié  li  cri  : 
■ —  «  Ha  !  sire  Bègues,  »  li  Loberains  a  dit, 
/V  «  Fraus  chevaliers ,  corajeus  et  hardis  ! 


GARIN  LE  LOHERAIN.  263 

«  Fel  et  an  gris  contre  vos  anemis 

«  Et  dois  et  simples  à  trestoz  vos  amis, 

«  Tant  mari  fustes,  biaus  frères,  biaus  amis. 

«  Tant  as  perdu,  Girbert,  biaus  sire  fils! 

«  Terre!  car  ouvres,  si  reçois  moi,  chaitis, 

«  Ce  est  domage,  se  je  longement  vis.  » 

Garins  se  pasme,  que  ne  se  pot  tenir. 

Au  relever  or  oez  que  il  dist  : 

«  Por  coi ,  biaus  frères ,  vos  a  Fromons  ocis  ? 

«  Jà  disoit-il  qu'il  ère  nostre  amis; 

«  La  pais  fu  faite  devant  le  roi  Pépin. 

«  Or  vos  ont  mort  !  Jà  n'en  puissent  joïr! 

«  Mais  par  celui  qui  le  mont  establi, 

«  Ne  plaise  Dieu  qui  onques  ne  menti 

«  Qu'il  en  soit  fait  accordance  né  fin 

«  Tant  qu'il  en  soit  detrenchiés  et  ocis.  » 

L'abes  l'oï,  moult  grant  pitié  l'en  prist  : 
—  «Hé!  sires  dus,  por  amour  Dieu  merci , 
«  Ni  avoit  corpes  Fromons  li  poestis. 
«  Tenez  cest  brief  que  vous  mande  par  mi.  » 
De  lettres  sot  li  Loherains  Garins, 
Quant  fu  petis  si  fu  as  lettres  mis. 
Tant  que  il  sot  et  romant  et  latin  ' , 
Bien  vit  les  lettres  et  reconnut  l'escrit. 

'  Et  romant  et  latin.  La  langue  maternelle  de  Garin 
était  le  Tyois  ou  Allemand. 


264  LI  ROMANS  DE 

A  mont  se  dresce  quant  la  parole  vit , 

Ses  gens  apelle,  ses  a  à  raison  mis  : 

«  Or  entendez,  li  grant  et  li  petit, 

«  Savez  que  mande  Fromons  li  poestis*^; 

«  Qu'il  a  ciaus  pris  qui  le  duc  ont  ocis, 

«  Les  me  rendra  por  faire  mes  plaisirs, 

«  Ardoir  ou  pendre;  lui  le  convient  sofrir. 

«  Puis  jurera  vingt  fois,  à  trente,  à  dis, 

«  Que  ne  le  voult  né  ne  le  consenti 

n  Né  là  ne  fu  où  li  dus  fu  ocis. 

«  Or  et  argent  me  donra  trop ,  ce  dit, 

«  Plus  que  ne  pevent  porter  quinze  roncin; 

«  Dis  mile  messes  fera  chanter  por  li, 

«  A  sains  abbés,  à  moines  bénéis, 

«  Por  quoi  de  l'arme  mon  frère  ait  Diex  merci. 

«  S'il  me  fait  ce,  je  ne  le  doi  haïr. 

«  Consiliez-moi,  franc  chevalier  gentil.  » 

Chascuns  se  tut,  nus  mos  ne  respondi, 
Fors  solement  l'enfes  Girbers  ses  fis, 
Pfavoit  encores  que  quinze  ans  acomplis  : 
—  «  Pères,  »  dist-il ,  «  cora  estes  esbaïs  ! 
«  L'on  puet  bien  mettre  mençonge  en  parchemin , 
«  Mais,  se  c'est  voirs  que  Fromons  vos  a  dit, 
«  Bien  est  raisons  que  il  soit  vostre  amis. 

I  Savez  pour  sachez. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  265 

"■  Ou  se  ce  non  pourquoi  tardons-nos  si? 

«  Tout  maintenant  allons  les  assallir. 

«  Adohez-moi ,  sires  pères  Garins , 

«  Li  cuers  me  dit,  ne  vos  en  quiers  mentir, 

«  Encore  arai  mestier  à  mes  amis.  » 

Et  dist  li  pères  :  «  Je  l'otroi ,  sire  fils. 

«  Abbés  »  dist  il ,  «  vous  remanrez  o  mi  ; 

«  Si  m'aiderez  à  gaitier  mon  ami, 

«  S'el  porterons  au  chastel  de  Belin 

«  Et  si  verrons  la  bêle  Biatri, 

n  Ses  deux  eufans  et  Hernaut  et  Gerin  ; 

«  Car  je  ne  doi,  sans  eus  ,  tel  plait  baslir.  » 

Et  cil  respont:  «  Sire,  à  vostre  plaisir!  » 

Cierges  manda  li  Loherains  Garins 
Et  fist  les  crois  et  encensiers  venir; 
Grant  luminaire  ot  environ  espris '. 
Qui  dont  véist  provaircs  revestis', 
Clers  escoliers  les  bons  sauticrs  tenir 
Qui  les  vigiles  chantent  por  le  marchis, 
Dusqu'al  demain  que  jour  fu  esclaris. 

Begon  emportent  qui  en  la  bière  gist. 
Jusqu'à  Châlons  ne  prisrent  onqucs  fin; 

'  Espris,  enflammé. 

'  Qui  dont,  chacun  {^(juisqtie  cr£c>). 

II.  12 


266  LI  ROMA.NS  DE 

La  nuit  hébergent  cliez  le  vasque  Henri , 
Il  fu  lor  oncle;  moult  bel  hostel  lor  fist , 
Del  duc  Begon  ot  moult  le  cuer  marri. 
Et  l'en  demain,  si  tost  com  li  jors  vint, 
Se  resont  mis  li  baron  el  chemin. 

Tant  esploitierent  li  chevalier  gentil 
Qu'à  Meléun  le  chastel  seignori 
En  sunt  venus,  encontre  l'avesprir. 
Devant  lor  va  la  très  franche  Heloïs. 
Et  à  Peviers  vinrent  au  samedi. 
Au  diemenche,  quant  il  dut  avesprir, 
En  sunt  venus  à  Orliens  la  fort  cit. 
Encontre  va  l'empereres  Pépins 
Et  la  roïne  cui  il  estoit  cousins. 
Il  sejornerent  tote  jor  le  lundi, 
Puis  s'entornerent,  s'entrent  en  lor  chemin. 

Garins  chevauche  qui  le  cuer  ot  hardi, 
Begon  emportent  ;  Diex  quel  dolor  a  ci! 
Passent  Gironde  au  port  Saint-Florentin, 
Bordelle  laissent;  à  destre  sunt  guenchi, 
Aine  nefinèrent,  si  vindrent  à  Belin. 
Encontre  va  la  bêle  Blatris, 
Si  dui  enfant,  Hernaudès  et  Gerins. 
Il  fut  assez  qui  noveles  lor  dist 
Que  mors  estoit  dus  Bègues  de  Belin; 


GARIN  LE  LOHERAIN.  267 

La  dame  l'ot,  à  la  terre  chaï, 

Quant  se  redresce,  si  a  gicté  un  cri  ; 

Vint  à  la  bière,  si  a  son  signor  pris, 

Ele  li  baise  et  iels  et  bouce  et  vis, 

Si  le  rcgrete  com  jà  porrcz  oir  : 

«  Tant  mari  fastes  frans  chevaliers  gentis! 

«  Dous  et  loiaus,  simples  et  bien  apris  ! 

«  Lasse,  dolente,  que  porrai  devenir! 

«  Or  verrai-jou  csiler  mon  païs, 

«  Et  s'en  iront  mi  chevalier  gentis 

«  En  autres  terres  autre  seigneur  servir.  » 

Dont  chiet  pasmée,  ne  s'en  pot  astenir. 

Au  redrescier  sunt  enforcié  li  cri, 

Ele  regrete  et  Hernaut  et  Gerin  : 

«  Enfant,  «  fait-elle,  «  or  estes  orphenin, 

«  Mors  est  li  dus  qui  vos  engeuoï. 

«  Mors  est  li  dus  qui  vos  devoit  garir!  « 

—  '  Aiez  pais,  dame,  >-  ce  dist  li  dus  Garins, 

«  Foie  parole  et  cuiverte  avez  dit  '. 

<  Cuiverte,  indigne  d'une  personne  de  noble  race.  Culvert 
ou  cuivert  est  un  adjeclif  dont  le  sens  précis  est  indique 
par  un  passage  de  la  Chanson  de  Renaud  de  Montauban. 
-C'est  la  traduction  du  mot  latin  liherlus,  coUlbertus  (d'où 
le  nom  propre  Colhert),  affranchi.  Roland  vent  insulter 
Ogier  le  Danois,  qui  n'avait  pas  livré  Renaud  à  Charle- 
niagne  : 

I.  Jamais  ,  par  cel  apostre  que  quièrent  pèlerin  , 


9  68  L[  ROMANS  DE 

'  Por  vostro  terre  qu'avez  à  maintenir, 

«  Por  vos  lignages  et  vos  riches  amis, 

«  Vos  reprendra  uns  chevaliers  gentis; 

"  De  vous  fera  son  bon  et  son  plaisir  : 

<i  Mais  moi  convient  le  grand  dueil  maintenir. 

"  Quant  plus  aurai  et  argent  et  or  fin, 

«  Tant  serai-jou  plus  dolens  et  marris. 

«  Mi  neveu  sunt  et  Hernaus  et  Gerins , 

0  Moi  en  convient  les  grans  guerres  souffrir, 

«  La  nuit  veiller  et  lever  par  matin.  >- 

—  «  Grans  mercis,  oncles,  »  ce  lui  dist  Hernaudins, 
«  Diex,  que  nai-jou  \iu  haubergeon  petit! 

«  Je  vos  aidasse  contre  vos  anemis.  " 
Li  dus  l'entent,  entre  ses  bras  l'a  pris, 
Il  li  baisa  et  la  bouche  et  le  vis. 

—  «  Par  Dieu  ,  beaus  niés ,  trop  par  estes  hardis  ! 
«  Mon  frère  semblés  et  de  boche  et  de  vis, 

«  Le  riche  duc  cui  Diex  fasse  merci  !  » 
A  ces  paroles,  vont  le  duc  enfoïr 


Si  mauves  cerf  coart  de  mère  ne  nasqui  ! 
Unques  de  Danemarce  ne  vis  prodome  issir. 
Fis  à  putain  !  coars  !  mauves  serf  acatis  ! 
l'or  quatre  deniers  l'an  ies-tu  acnhertit...» 
Corne  Ogiers  l'entendi  si  est  en  pies  salli  ; 
—  «  Rolans ,  vos  i  meniez  ,  par  Dieu  qui  toz  nos  fist. 
u  Sire  ves  ci  mon  gaige,  por  combatre  vers  li, 
«  Que  jo  ne  sui  culvert ,  acatés  né  conquis. 
«  Onques  li  miens  liuages  à  çou  ne  se  tramist.  » 
(Msc.  Lavall.,  n°  Sg.) 


GARIN  LE  LOHKRAIN.  269 

A  la  chapele,  par  de  delà  Beiin. 
Encor  le  voient  très  bien  li  pèlerin 
Qui  ont  saint  Jacque  en  Galice  requis. 


A  tant  ez-vous  l'enfes  Rigaiis  en  vint. 
Bien  semble  prince  qui  grant  guerre  maintint; 
La  cote  ot  courte  et  le  branc  d'acier  tint , 
Capcl  el  chief ,  le  blanc  hauberc  vesti , 
Entre  ses  poins  le  roit  espié  bruni. 
Chevaliers  ot  avoc  li  seize  vint, 
Aubelestiers  et  archiers  cent  et  dis, 
Et  de  serjans  à  pié  i  ot  bien  mil; 
Lez  lui,  Morant,  qui  fu  preus  et  gentisi. 

Tuit  li  borgois  del  chastel  de  Belin 
Et  les  borgoises  sont  as  fenestres  mis, 
Por  esgarder  comment  Rigaus  en  vint. 
Dist  l'uns  à  l'autre  :  «  Quel  chevalier  a  ci?  » 
Quant  il  i  entre,  tout  le  chastel  empli. 

Encontre  va  li  Loherens  Garins  : 

—  '<  Biaus  niés,  »  dist-il,  <  bien  puissiez-vous  venir! 
«  Bien  senblcz  home  qui  doit  guerre  tenir.  » 

—  «  Si  sui  jou  ,  oncles,  je  m'en  suis  entremis. 
«  Et  vos,  que  faites?  par  le  cors  saint  Denis! 

'   ilorant,  le  jeune  frère  de  Rigaut. 


■2-0  LI  ROMANS  DE 

«  Jà  déussiez  estre  el  cuer  del  païs.  < 
—  «  Niés  ,  »  dist  li  dus,  «  jou  en  ai  un  jour  pris  '. 
«  Mesure  m'offre  Fromons  li  poestis", 
■.  Et  qui  mesure  refuse,  ce  m'est  vis, 
«  Il  n'en  puet  mie ,  au  daerrain ,  joïr.  « 
Et  dist  Rigaus  :  «  Por  noient  l'avez  dit  ; 
«  Que  par  l'apostre  que  quierent  pèlerin  , 
«  N'i  aront  pais  tant  que  je  soie  vis  : 
'<  Tos  les  plus  coin  tes  ferai  à  dueil  morir. 

I  Quant  ai  perdu  mon  signor,  mon  ami, 

'(  Se  nel  vengeois,  dont  serois-jou  bonis.  » 
Et  dist  li  pères  :  «  Escotcs,  sire  fils, 
"  Mes  sires  est  li  Loherains  Garins, 
«  On  ne  se  doit  vers  son  signor  tenir; 
«  Puis  qu'il  le  vuet  et  je  le  vueil  ainsi.  »> 

Rigaus  l'otroie,  mais  ce  fut  à  envis. 

II  fait  fermer  le  chastel  de  Bélin , 
Et  la  Valdoine  et  mont  Esclavorin; 

I  Jou  en  ai  un  Jour  pris  ,]e  suis  convenu  d'un  jour  pour 
recevoir  salisfaclion.  Jour  se  prend  souvent  dans  l'accep- 
tion de  plaids,  assise,  consessus  judicnm,  suivaut  Cai- 
pentier. 

*  Mesure,  satisfaction  ,  dédommagement.  —  DuCange, 
au  mot  mensura,  a  négligé  d'enregistrer  cette  acception; 
il  a  même  traduit  ce  mot  par  corvée,  dans  un  texte  où 
peut-être  il  doit  s'enlendre  comme  ici. 


GARIN  LE  LOHERAIN.  271 

De  Gironvile  fait  la  tour  cnforcir, 
Les  estagiers  en  la  ville  venir. 
Et  les  viandes  aporter  del  païs, 
Que  pas  ne  cuident  à  la  guerre  fallir. 
Non  feront-ils,  si  com  je  l'ai  apris. 

Ez-vous  Rigaut  :  '<  Par  Dieu,  sire  Garin  , 
n  Qu'avez-vos  fait  de  Begon  de  Bélin  ?  » 
—  "  Biaus  niés,  »  fait-il,  «je  l'ai  en  terre  mis; 
'<  A  la  chapelle  qui  siet  sor  le  chemin, 
'<  Là  gist  li  princes  cui  Diex  fasse  merci! 
«  Et  deus  provoires  i  ai  fait  asséir 
«  Et  douer  rentes  dont  se  porront  garir; 
«  Si  chanteront  dusqu'al  jor  del  juïs  , 
<  Por  que  de  l'ame  le  duc  ait  Diex  merci.  » 
Et  dist  Rigaus  :  «  Me  le  convient  véir; 

TI  m'est  avis  que  onqucs  ne  le  vi.  » 

•'"   Dusqu'al  raostier  ne  prisrent  onques  fin  : 
Le  duc  ostèrent,  fors  de  terre  l'ont  mis, 
Rigaus  li  enfes  entre  ses  bras  le  prist, 
Sor  lui  se  pasme,  plus  le  virent  de  mil, 
Là  recommence  et  li  dueil  et  li  cris. 
D'ileuc  enportent  la  bêle  Biatrix 
Tote  pasmée,  dusqu'au  palais  marbrin. 

En  un  sarcuel  qui  fu  de  mabre  bis 
Cochent  le  duc,  en  terre  le  r'ont  mis; 


272  LI  ROMANS  DE  GARIN. 

Après  l'ont  fait  moût  richement  covrir; 

Un  paiie  d'Ynde  ont  desus  le  cors  mis: 

La  sepolture  tote  faite  à  or  fin , 

Et  par  desore  ot  sa  scnblance  cscrit. 

La  lettre  dit  qu'il  ont  desor  lui  mis  : 

:  Ce  fu  li  mieuldres  qui  sor  destrier  séist.  » 


Jet  faut  Irt   fijonson  it  ta 

mort  iGcgcn  îie  jCclin, 

bout  Dicï  ûit  et 

bc   nous 

wrer- 

fiî 


INDEX 

DES  NOTES  ET  COMMENTAIRES. 


Je  me  réserve  de  terminer  cette  édition  des  anciennes  Chansons 
de  Geste  ou  Romans  des  Douze  Pairs,  /^«r  la  Table  générale  des 
matières ,  et  par  celle  des  noms  de  lieux  et  de  personnes.  Mais  on 
me  saura  peut-être  gré  de  placer  ici  l' Index  des  courtes  obser- 
vations pltilologiques  et  géographiques  que  j'ai  jointes  au  texte 
déjà  publié  du  Gaiùn  le  Lolierain.  Cet  Index  aura  l'avantage 
d'épargner  le  temps  de  ceux  qui  se  livrent  au  même  genre  d'étu- 
des ;  il  permettra  d'appliquer  au  sens  de  plusieurs  passages  non 
éclaircis  les  notes  faites  à  l'occasion  d'autres  passages  analogues, 
et  surtout  il  donnera  le  moyen  de  constater  rapidement  toutes  les 
lacunes  de  mon  commentaire.  Plusieurs  fois ,  dans  le  second  vo- 
lume ,  on  lira  la  réfutation  des  explications  hasardées  dans  le  pre- 
mier :  je  dois  la  plupart  de  ces  redressements  au  vif  intérêt  que 
plusieurs  philologues  ont  pris  à  mon  travail ,  intérêt  qui  les  a 
portés  à  m' envoyer  de  nombreuses  et  bonnes  observations  sur 
l'édition  de  Berte  aux  grands  pies,  et  sur  la  première  livraison 
de  Garin  le  Loherain.  Qu'Urne  soit  ici  permis  d'exprimer  surtout 
ma  reconnaissance  à  M.  Raynouard ,  dont  les  bienveillants  con- 
seils soutiennent  mon  courage  ;  à  MM.  Pithou  ,  Tastu,  Génin, 
professeur  à  Strasbourg,  Ferdinand  ÎFolf,  bibliothécaire  de  l'em- 
pereur à  f'ienne,  et  de  Martonne,  mon  judicieux  confrère  à  la 
société  des  Antiquaires  de  France. 


Tome  Premier. 


A  ces  paroles,  iSa. 

A  cliascnn,    174. 

A  mont  de  sor  li  chief,  i3i. 

A  poi  n'enrage  vis,  3i, 

A  (|uiiizc  moines,  .\~. 

A  tout ,   218. 


TosiE   SlCONI), 

A. 

A  celé,  20 j. 

A  graiil  besoing  ,  145. 

A  c|uatrL-vins  ,  5o. 

A  tel  niurtrier  ne  doit  l'en  plait 

tenir,  63. 
A  toi  qne  tient  ?  17. 


i:^iii  X  iJEs  xoTr.s 


TOMK    TlirMIER. 

A  tuil  lor  genl ,  ()7. 

A  une  part ,  76  ,  157. 

Abandonne  (de  guerre),  81. 

Ablette  (1'),  272. 

Abrivc ,  6. 

Accoillir,   166. 

Acerins ,   4. 

Aehilles,   107. 

Acier  sofrir  (  ne  pot  ) ,  3 1 . 

Acoiutié,  i3o. 

Acousivit ,  29. 

Acquérir,  276. 

Adoubés  (  chevaliers  ) ,  64  ■ 

Adurés  (  1'  )  ,  65. 

Aescheri,   120,152,279. 

Agait,    174. 

Aincores,  214. 

Aire  (de  pute  et  de  bonne),  32. 

Aisgue,  32. 

Aives  (vos),   126. 

Aleaume   de  Ponlis  ou    Pon- 

thieu ,  1 5o. 
Alcoirs,  169. 
Aies  (en  être) ,  74. 
Aliaume  ,  249. 
Aliaume  li  floris ,  295. 
Allemant  (!'),  85,  io3,  loG. 
Aloses  (!'),  10  3. 
Amant ,  22. 
Amali ,  1 49- 
Amiens,   157. 
Angevin  ,   7  ,  3o. 
Anséis ,  roi  de  Cologne ,  55. 
Anservile ,  58. 
Antis ,  99. 

Apiaus  (  sonne  ) ,  1 66. 
ApoUis  ,  3[. 

A  pou  d'ire  ne  fent ,  1 26. 
Apparissant,  22. 
Appelés ,  6. 
Arainié,  i34. 


Tome  .Skcojid. 

A  vous  que  tient  ?  194. 

A  val  un  bi  ueil  llori  ,81. 

Aati  ,   i44. 

Aatir  (  s'  ) ,   x66. 

Abandon  ,  90. 

Abatéis ,   228. 

Abrivé ,  5o. 

Accroistre  et  norrir,   160. 

Aigles,    i36. 

Ains  de  nous,   117. 

Alemèle  (  1'  )  ,   36. 

Alues  saint  liertin  ,  220. 

Amenevis ,  242. 

Amont  sallir,  4. 

Anti ,   16  r. 

Apres-germain ,  9. 

Araine  bis ,  2o5. 

Arcevesque  allant  à  matines,  4. 

Arrières,  i58. 

Atrait  (  l'),   207. 

Attendié  (ne  1') ,  226. 

Au  deseure  venir,  149. 

Atibri ,    25o. 

Audegon ,    184. 

Aus  grans    batailles   les   l'ait 

llatir,  95. 
Avers  princes ,  148. 
Aversier,  227. 
Aveuc  ,97. 
Avez-vous  garde ,  78. 


Et    l■.OMMF.^^AlRLS. 


Tome  Premiet.. 

Aichededin  (  St.  ) ,   75. 
Ardans ,  170. 
Ardéor  (  li  ) ,   i<35. 
Aresluel  {V) ,  iSô. 
Arme  (  T  ) ,  259. 
Armoiries ,  253. 
Aroiité  ,   81. 
Ars  Tricois  ,  37. 
Ars  Turquois ,   37. 
Artu  (  le  roi) ,  2  38. 
Aspremont,  247, 
Assallir,  2  44- 

Asseml)lée  des  parents  de  Fro- 
ment ,   146. 
Assenbler ,   i3,  24. 
Assisreut ,   1. 
Assovir,  245. 
A-tant,   17. 
Alapiner  (  s'  ) ,  269. 
Aube  crève  (  li  ),   219. 
Aubelestriers ,  376. 
Auberi  le  bourgoing ,  5o,  107, 

299- 
Aucubes ,  58. 
Au  deseiir,   i3o. 
Aiiner,   140. 
Autressi-tels  ,  5. 
Autretant  ,  10  ,  36. 
Autretel ,  36. 

Aulri  (Gallerans  d') ,  274. 
Auvi^non  ,  259. 
Avaller  d'anqui  (s'  ) ,  277. 
Avallois  ,  83. 
Avant  ,  265. 
Avers  princes ,  239. 

B. 

Bacon  (  maint  ) ,  2o5. 
Baile  (le),  23o. 
Bailler,   i38. 


Tome  Second. 


B. 

Bacon  (  li  ) ,  56. 

Baigner  et  refrcschir,  180. 

Bailles ,  62. 


ijG 


IWDEX    DES    NOTES 


Tome  Premier. 

Bailli,    I. 

P.arnage  et  son  lin  (  son  ) ,  75. 

Barons  combatlanl  leurs  amis , 

246. 
Barres  (  à  ces  ) ,  1 99. 
Barril,  178. 
Bassigni ,  an. 
Batailles,   11. 
Baucent ,  6(5. 
Baudré,  85. 
Bauduinsli  Flamans,  iGi,i-5. 

179- 
Baugi ,   i85,  201. 
Beauvais,  162. 
Bec ,  289. 
Behordé ,  66. 
Belin  ,  49- 
Belleville ,  194. 
Belliam  ,  21. 
Ber,    i3. 

Bernart  de  Naisil ,   164. 
Berser,  27. 
Biais,   188. 
Biaugiu,  igS,  293. 
Biauvoisin  (le  comte),    162. 
Bible  (la),  5i. 
Bienfais,  7. 
Bienfait ,  270. 
]5ieres  (  vint)  ,212. 
Blaives,  188. 
Blancheflor,  226. 
Blanzy,  290. 
Blaslengier,  i3o. 
Bobanl,   124. 
Bon-abes,  12. 
Bonivent ,  1 2  5. 
Bordelle,   186,  225. 
Borgoing  (  li  )  ,   io3. 
Borroflemens,   126. 
Boucle ,  36. 
Boulongne,   164. 


losiE  StroD. 

Ballier,  241. 

Barril ,   1 3o. 

Baucent ,  146. 

Bègues  en  vint ,  63. 

Bègues  parle  à  son  cheval,  2  3o. 

Bègues  prie  en  mourant,  239. 

Bègues  et  Garins  en  Gascogne, 

66. 
Belle  garde  (  de  ) ,  2o5. 
Bellement  (  or  )  ,  i56. 
Berengier  d'Aulri,  75. 
Bernard  (  paroles  de  )  ,   144. 
Beinart  haï  d'Auberi ,  48. 
Biatris,   211. 
Biaus  pères,  82. 
Bien  pert ,  49. 
Bière  (  font  une  ) ,  24  r. 
Blancafort,  109. 
Bliaut ,   127. 
Bolir,   83.' 

Bore  de  fors  (el) ,    iSg. 
Bordel ,  i36. 
Borges  qui  appartient  Aubri , 

69. 
Borgoins  (  li  ) ,  48. 
Bouchars ,  32. 
Breniers ,  226. 
Bris ,  24. 
Brouces ,  196. 
Bruieni ,   167. 
Buriaus,  i8u. 


ET    COMMENTAIRES. 


ÏOME  Premier. 

Bourbon-Lancéis  (  laines  de  ]  , 

192. 
Bourgogne  (toute),  82. 
Boves  (  Robert  de  ) ,    i63. 
Brans  acerins ,  4. 
Bras  au  col  (  les  ) ,  261. 
Bregier  (  comme  villaiii  ) ,  1 3  3 . 
Breteches ,   144. 
Brochier,  26. 
Broigne,   14. 
Bu  ,  i3. 
Busines ,  11. 

c. 

Cadeter,  10. 

Canlel  (en)  ,  168. 

(laorsin,  73. 

Car,  29,  i5i. 

Ce  m'est  vis  ,  4. 

Cendé ,   97. 

Chaélons,  45. 

Chalengier,   i3o. 

Challantcorsif ,   1.59. 

Champagne  (Hues  de) ,  292. 

Champagne  (  la  ) ,  264. 

(;hanels ,    19. 

(Chapelet,  298. 

Chaplcis,  16. 

Chars  (les),  197. 

C^hase  (la  ),  207. 

Chascment ,   123. 

Chasser,  265. 

Chastel-flori,   i88. 

Chastel-Monlforl ,  60. 

(Ihastel  de  Poissy,  69. 

Chasiel-Thieri  ("le),  i85,  204. 

Chastelet  de  Soissons,   142. 

Chasli  (  je  vous  ) ,  239. 

Chastri,  248. 

Ciiateau -Vilain  (ceux  de),  211. 


Tome  Second. 


Camoussé,  78. 
Caors,  116. 
Capelain ,   io3. 
Cappelle ,   114. 
Caries,  io3. 
Castiei ,  60. 
Celui,  168. 
Cercier  les  rans,  84. 
Chaitis,  17. 
Challans  corsis ,    116. 
Chalongier,  5r,  96,  23S. 
Chambelin ,  252. 
Champaigne ,  114. 
Chaiigéor,  it5. 
Chappelet,   112. 
Charme,   104. 
Charroi  (sur  le) ,  117. 
Charleriers,   22. 
Chartres  (cil  de) ,  77. 
Chasé  ,  34. 
Chastel!   58. 
Chasioier,   3o. 
Chastois  (je  te) ,    160. 
Chauces  (  mes  )  ,  80. 
Chaudel ,   9t. 
Chenus  '  icni.jiiis) ,  5. 


2-8 


INDEX     l>t,S    NUITS 


J'OME   PrEMIï.1'. 

Cliatel  de  Tri ,    206. 

Chances,  168. 

Chaiilin,   147,  201. 

Chauvigiion ,  141. 

Chavés  (chemius  ),    io5. 

Chevir,   160. 

Chief  enclin  (le),  79. 

Chier  (avoir  ) ,  i34. 

Choisir,  33,  62,  —  Quant  il 

les  a  choisis,    174. 
Ciaus,   198. 
Cil,    19,  22,  35,  196.  — ■  Cil 

les  reculleiU ,    199. 
Gis,  i35.  Cis  autre,  198. 
Claré  (le),  8r. 
Clermont  (Henri  de),    162, 

283. 
Clugny,  74. 
Coite,  25. 

Com  belle  dame  a  ci,  299. 
Comparroit,  262. 
Com  vous  esla?  148. 
Combe,  96. 

Commander  come  son  cor,  90. 
Communaument,  197. 
Compaignon  juré,  80. 
Compains ,  63. 
Concueillis  ,   100. 
Conduit,   281. 
Confors  n'i  a  meslier,   i36. 
Conréer,    i38. 

Conte  et  en  escrit  (  en  ) ,   1S4. 
Contre,  3,  56. 
Convenans  (  perdre  ses  ) ,  61. 
Couvent  ( par  tel  ) ,  116,288. 
Covine ,  98. 
Coscéir,  239. 

Couci  (  Anjorant  de) ,  i63. 
Cri  novel  (  un  ) ,   258. 
Croissir ,  4  ,  69. 
Croule  ,  104. 


ToilE  SttOND. 

Chevaus  chiet  (  li  ) ,  176. 
Cis,   75. 

Coillir  les  couples ,   236. 
Col  en  passe  (  le  ) ,  92. 
Commander  (  les  ) ,   190. 
Commencier  (  au  ) ,  24 . 
Communes  (  les  ) ,  53. 
Compcrra  (jà),   5r. 
Connoit  (se  il),  27. 
Conquis,  70. 
Consivit  (le),  58. 
Contre  Vromont ,   ig4. 
Couvent  (  avoir  en  ) ,  2  r . 
Cordouan,  i47. 
Corgie,   m  3. 
Coupe  (  la  grant  ) ,   1 5. 
Crespi ,    255. 
Croissant,  116. 
Crouler,  5o. 
Croûtes,   i53. 
Cuens  palaisins,  i83. 
Cuer  dou  ventre  (  le  ) ,  33. 
Cui  qu'il  plaise,   16. 
Cuivert ,  267. 
Cuves  (  emplir  les  ) ,   1 46. 


ÏOMF.  Premier. 

CrXicéfis  (  verser  les) ,   144. 
Cuer  ne  puet  mentir,   160. 
{;ui  cliaul  ?  9.43. 
Ciii  que  je  faille,   53. 
Cuvert  paulouuicr,   i36. 

D. 

Damage,  28. 

Dame-Diex ,  2. 

Dangier,  282. 

Dansel ,  271. 

Debarelé,  19. 

Deflaé,   19. 

Deffens  (je  le  ),   i23. 

Dehait,  209. 

Délit,  74. 

Déporter  (se),   78. 

Dcront,  173. 

Désafuhié,  297. 

Descordent  (  se  ) ,  6. 

Desarti,  173. 

Deseure  se  mettre,  142. 

Désire  (  en  ) ,  1 56. 

Destre  et  senestre ,   14. 

Destrier,  3. 

De  tel  gent  es  naquis,  nature 

pert ,  171. 
Deviement,  122. 
Devisement  (  par  tel  ) , 
Deviser,  36 ,  281. 
Dex  en  penst,  45. 
Diex  le  me  doinst  deservir, 

145. 
Dismes,  9,  42,  280. 
Disva,  295. 
Dois,  264. 
Dolor,  268. 
Dos  li  venerres  ,  188. 
Douter  du  siège ,  170. 
Drecer  contre  quelqu'un,  56. 


KT    COMMENTAIRES. 

Tome  SECosn. 


2:9 


D. 

Dans,  137. 

De  ci  à  quatre  mil,  93. 

De  l'une  part,   127. 

De  son  bon  prince  avoir  merci , 

210. 
Defubler,  22',. 
Del  torner  ne  fu  pas  conseil 

prins,  204. 
Délivrer,  212. 
Délivrer  a  us  gardes,  34. 
Demaine  de  Guillaume ,  174. 
Demanois,  243. 
Derangier,   164. 
Desafublé,   112. 
Desarmés,   186. 
Desbarretés,   191. 
Descendus  ,   127. 
Desconnoitre ,  2  56, 
Désis  (  le  ) ,  26. 
Devant  Guillaume  est  venu , 

201. 
Dient  Franceis,  etc.,  209. 
Discours  de  Bègues ,  71. 
Diva,  23. 
Diva,   t55. 
Dois  (  les) ,   178. 
Dont ,  3. 
Doon,  86- 

Doon  commande,  8r. 
Dosuoier,   84. 
Drecier  la  bannière,    173. 
Droitement ,   40. 
D'une  part,  6. 


a8o 


INDEX    DtS    XOTIS 


Tome  PaewitR. 

Draoncics ,  89. 

Droit  (  faire  ) ,   282. 

Drosin  (Saint) ,  34. 

Duel  sor  dolor,  262. 

Duu,   247. 

Dusqu'à  quinze  ans  ,  238. 

E. 

Écu ,  4. 

Eflbrcement ,    12  5. 

Emmi  lieu  ,  221. 

Enarmes  ,   257. 

En  cest  nosire  pais  ,  100. 

Euchaucier,  32. 

Encontre  aller,  11 5. 

Enfers,   87. 

En  fist  (1'),  64. 

Engraignier,  273. 

En  haut  parole  ,  si  que...   54, 

Enlatiué ,  97. 

En  pensez ,   267. 

Ensangne  St.-Denis ,    106. 

Enseignes  de  cendal ,  58. 

Ensemeut  corn  se  l'on  la  tresisl, 

33. 
Ensengne  au  duc  Garin  (  T  ) , 

259. 
En  sunt  dedans  l'ost  mis,   283. 
Entailles  ,   167. 
Enterin  ,   50. 

Enterrer  (  une  porte  ) ,    169. 
Eiitornent ,  120. 
Envers,   126. 
Euvis,  63. 

Erre  drecier  (  son  )  ,   i37. 
Es  ,   108. 
Esauchier  ,  90. 
ILsboele,   38. 
Eschauguettes,  20. 
Eschec  ,  21. 


l'ov.E  .Second. 


E. 

Enibrunchiés,    i3o. 

Eu  a  porté  ,   193. 

En  meilleur  point ,   144. 

Eu  vint ,   i5r. 

Enbatlu  ,   i36. 

Encensiers ,   195. 

Enclin  (  faire  parfont  ) ,   4  3. 

Encontre  nous  s'est  mis  ,    iSa. 

Endroit  la  tierce,   xy8. 

Endroit  (  d'  )  ,  82. 

Eufes  (H) ,    t65. 

Enfusci ,  254. 

Engordelis ,    1 3o. 

Enseigne  Saint  Denis ,    lai. 

Ensérir  (à  1'),    198. 

Entre  aus ,   180. 

Entreprins,  193. 

Envi  (je  vos) ,   145. 

Épée  de  Coulongne ,  3o. 

Ernois  est  vostre  (  1'  ) ,   194. 

Errant,  208. 

Esbahi  ,  46. 

Esbaudis,  i65. 

Esbaudis  en  l'estor,  172. 

Escapins  (  chaucié  d'  ) ,  112. 

Escharbocle  (  1'  ) ,   36. 

Eschargaite  (  1'  ) ,   '57. 

Escheleltes ,  260. 

Escremis  (m'),  261. 

Escrins ,  218. 

Eslai  (  faire  un) ,  147. 

Esmaier,  239. 

Espérons  coupés,   i45. 


ET    COMMENTAIUFS. 


9.8  I 


Tome  Premier. 

Eschciis  d'argent,  77.  (  Voy. 

Aescheri.) 
Kschevis  ,  85. 
F.schiver,  11. 
Escler  (  peuples  ) ,    59. 
Esclos  (  les  ) ,  220. 
Escolc  (  f  u  misa),    179. 
Escrrns,   197. 
Escu  au  col  (  1') ,   173. 
Escu  enluminé ,   66. 
Esgue  ,  32. 
Eslaisser  (  s'  ) ,    126. 
Esmaier  (ne  t') ,   iio. 
Espces  traites ,   i35. 
Essaucié,    tg. 
E'stain,   a'» 4, 
P^standart    (  mettre   par  force 

à  1'),  38. 
Estaublir,   246. 
Est-ce  dont  il  ,  252. 
F.stenois  ,  244. 
Estevoir ,    26. 
Esleura  ,  116. 
Estor ,   76. 
Estormir,  io5. 
Estons,   149. 
Estouloiés,   i34. 
Estral)ort ,  292. 
Estre  (prépos.) ,   i83. 
Estre  bien,   i5o. 
Estrif,  68. 
Esve ,  32. 

Esve  (demander  1') ,  112. 
Es-vos ,  28. 
Es-vous,   17. 
Eves ,   19. 
Ez ,  208. 
Ez-les  vous ,  288. 


Tome  Seconu. 

F.spiel ,  3o. 

Espouser  et  d'argent  et  d'or  lin, 

69. 
Espris ,  265. 
Esta,  235. 
Eslagicrs,  93. 
Estelcr,  226. 
Estelles,  92. 
Estendard,  162. 
Estevoir,  20. 
Estor  esbaudi,  237. 
Estordera,   11 3. 
Eslrain  (1').,  i34- 
Estre,  208. 
Estre  sor,  42. 
Eslris  (  li  )  ,   52. 
Esiroé,   35. 
Et  je  l'otroie ,   1 80. 
Et  vous  por  quoi .-'  210. 
Eure  fu  bonne  (T),   74- 
Eus  (à),  12. 
Eus,  iro. 


282 


ITÎDEX    DKS    NOTFS 


TOMF.     PBEMfER. 

F. 

Faillir,  3i. 
Fait-il,  99. 
Fauconiîel ,  fils  de  Bernard  de 

Naisil,  233. 
Féauté  faire,  117. 
Fellenesse  ost  a  ci,  117. 
Félons,  24. 
Ferir  corne  ber ,  i3. 
Ferrant ,  168. 
Fervestir,  36. 
Feste  joïs  ,  62. 
Fi  (de),  68. 
Fil,  3. 
Fin  ,  5. 

Fis ,  237,  242. 
Flamens  (  li  ) ,    172.  —  Fla- 
mant. 

Flandres  acquitrent  avec  Pé- 
pin ,  70. 

Flori  (le),  87 

Floberge ,   i63. 

Foi  (mentir  sa),   143. 

Folie  (  meure  en),  87. 

Follie  (  requérir  ) ,  214. 

Forfais,  44,  68. 

Forjurer ,  54. 

Forment,  adv. ,  3. 

Forrier  (  li  ) ,   i65. 

Fosses,  10. 

Foucher ,   290. 

Fours  et  moulins,  7. 

France  (limites  de  la),  119, 
176. 

Franceis,   19. 

Frein  (  prendre  le  ) ,  23 1 . 

Frères,    211. 

Froniondin,   iSg. 

]-romons,  63,  146,  i5i,  i58, 
161.  —  Fromons  de  Lens  , 
182. 


Tome  Seco.nd. 


Faites-moi  bien ,  78. 

Faiira  (  ne  ),   43. 

Fausser  un  jugement,   33. 

Fel  et  estons  ,   160. 

Fil  de  Drocs  (li),   177. 

Filolage  ,  212. 

Fis,   65,  86. 

Floberge,  3o. 

Flori ,  5o. 

Forclose  (  à  la  ) ,   172. 

Forfaire,   148. 

Fors  chastiaus  perrins  ,  128. 

Fors  de  céans,   lo. 

Foucbiers  li  mainres,  77. 

Frait,  35. 

Frarin ,  97. 

Fretelant',  88. 

Fromoudin ,  188. 

Fromont,    173. 

Froment  assis  au  chevet   de 

Bègue,  247- 
Fusil ,  23i. 


Tome  r'nEjiitR. 

Fiomout  (lie  la  Tour  d'Ordre, 
frère  de  Fromont  de  I.ens, 
de  Bernard  de  Naisil ,  etc.), 
164. 

Fiiere  (  en  ) ,  272. 

G. 

Cadres,    168. 

Gaite  (li),  219. 

Gai  lier,  91. 

Garde  (avoir) ,  214. 

Gari  (se  tenir  à),  34,  266, 

299- 
Garir,   142,  i52,  185,264. 
('>arlain  (  félonies  de  ),   i3o. 
Gart!  (bien),  141. 
Gandin  (  niés  ) ,  74. 
Gauthier  d'Hanau  ,  216. 
Gent  (  sa  ) ,  5 ,  1 96. 
Gésir,  4-  —  Gésir-ens,  18. 
Giberl  (  pont  ) ,   16. 
Gieu  partir  (  un  ) ,   102. 
Girard  de  Liège  ,  loG. 
Girar  de  Roucillon  ,  140. 
Gircnville ,  1S7. 
Gite  (  droit  de  ) ,   i43. 
Glouton ,  10. 
f'rondrecort ,  229. 
Gordes  (  abbaie  de  ) ,  46. 
Gornai  (  lluon  de  )  ,   i6?. 
Grans  deus,  i34. 
Grantcj ,  2o5,  206. 
Grantmont,  188. 
Granlpré,  247. 
Grant-pré  (Henri  de),    ifiS. 
Grenon  flori  (  o  le  ) ,   87. 
Grenons  sachier,   i3i. 
Gresle ,  35. 
Gris  (  le  ) ,  8. 
Guenchir,   16,  155,217. 


r.r    COMMENTAIRES. 

Tome  SECo:iD. 


îS-î 


G. 

Gait  (partir  de  son),  159. 
Gaite,  i58.  —  Mettre  ses gaites, 

i58. 
Gallerant  et  Gandin ,  32. 
Garçon  né  frarin  ,    160. 
Garçons  (  li  )  ,    i32. 
Garir,   27. 

Garnier  de  Paris ,  23. 
Garnis  (  être  bien  ) ,  2. 
Gau ,   121. 

Gantiers  de  Hainaut ,  224. 
Genevois,   i63. 
Genvres  (de) ,  93. 
Gerin ,  83. 
Germaise,  47. 
Getez  au  vin  ,  99. 
Gieu  vous  pars  (  un  ),  70. 
Gilbert  au  bras  de  fer,   74- 
Glouton  (li),  i32. 
Gonfanons ,  3o. 
Grantmont,   io5. 
Granlpré,   44- 
Grenon ,  64. 
Guenchil  (  lor  ),  52,  55. 
Guerpis  (  se)  ,   lor. 
Guiclie(la),  232,  242. 
Guillaumes  ,  i83. 
Guillaumes  le  Marquis,  83. 


284 


Ï-VDEX    DES    XOTF.S 


Tome  PntMitR. 

Gueres,  63. 

Giierpir,  ir,  io5,  277,  286. 

Giiier  ,  84  ,  99. 

Guillaume  de  MontcHn,  frère 

de    Lancelin    de  Verdun  , 

264  ,187,  255. 
Guirez  ,   291. 


H. 

Ham ,  277. 

Hause,  19S. 

Hansle  fraile ,  273. 

Hante,  3o. 

Hardie  ,  44  ,    64.   —  Les  fils 

H  ardre,   186. 
Hatier,    i32. 
Haubergier,   268. 
Haubert  ireslis ,  4. 
Heaume  ,  4. 
Hébergié,  84. 
Heloïs  ,    139. 

Henri  de  Bar-le-Duc ,  246. 
Hérisson  ou  Hirson  ,  148. 
Héritage  (  estie  mis  en  1'),  i5o. 
Hernaïs  d'Orléans,   107. 
Hervi  de  Lyon  ,   204. 
Hervis  (  li  vilains) ,   187,  188, 

190. 
Hie  (  à)  ,  i35. 
Honor,  110. 
Horder,   12. 
Houdure,  32. 
Hues  de  Cambrésis,  5i. 
Hues  de  Champagne  qui  Troies 

tienl ,  292. 
Hui-mès,  2,  iSg. 


lollE     SEf.O:îD. 


H. 

Haslier,   19. 

Hauberges,   i52. 

Haubergié,  219. 

Haus  bons,   160. 

Henri  (ai'chevèque  de  Picitns  ) . 

I. 
Henris  (  li  capelain  ) ,    107. 
Hervis  le  feu  a  mis,  208. 
Hervis  le  vilain  ,   77. 
Hireciés ,   i53. 
Honor,    64. 
Honorer  les  chevaliers  genlis  . 

148. 
Hons  suis  Begon  ,  76. 
Houé ,  232. 


IT    COMMENTAIRES.  sS! 

loMt  PREMrtR.  Tome  Second. 


I. 

Icc,  70. 

leus  rians  ,   298. 

Il  est  vos  bons  et  de  vous  doit 

tenir,   2 10. 
Iliade  (traduclion  de  1'),  267. 
lUuec  ,  ri  5. 
Illuecques,  11. 
Isnellement,  114. 
Isorés  le  gris  (  fils  de   Faiicou 

de  BoiiloMgnc),  164,  268. 
Issir  (  s'en  ),    104. 
Issir  dou  pas,  1S9. 
Issoiidun,  191. 
Isteriez  (  n'en  )  ,   12  5. 

J. 

Je  ne  dis  mie  ainsi,  279. 
Jocelins  (de  Dijon  ) ,   107. 
Joïr,   104. 
Jornée  (la) ,  271. 
Justice  féodale,  284,287. 

K. 

Karles,  pore  de  Pépin,  21 3. 

L. 

La  {pour  celle  de  ) ,  m. 

Lagni,   16. 

Laidir,   Sg,  5\. 

Laissier  la  chambre ,  209. 

Lanborc,  292. 

Lancéis  (mes  ),  204. 

Lancelin  ,   164. 

Langue  en  boche  (n'avoir),  îj. 

Larges  par  le  pis,  239. 

Larris,  92. 

Latin  (en),  89. 


I. 

Il  n'i  a  plus  ,  116. 
Issoudiui,  io5. 
Ist ,  229. 
Ist  (  s'en  ) ,  5o. 


J. 

Jà  recouvrast ,  206. 

Je  n'el  pris  ,    3o. 

Je  n'en  puis  mais,  12 5. 

Je  ne  quiers  plus,  211. 

Jes  ,  66. 

Jofrois  et  Gascelins ,   198. 

Jour  pris  (jou  en  ai  un),  270. 

Juis  (  del  ) ,   144. 


l^iiidcDgie ,   ri 3. 
Laidi,  78. 
Laidis  ,   37. 
Laissiez  ester,    i33. 
Landri,   86. 
Langenerie,  114. 
Laniers ,    2  35. 
Larris  (  par  les  ) ,  60. 
Lechières ,  40. 
Lens  ,  114. 
Lices,    169. 


iS'j 


JNUKX    DES    NOTIS 


Tome  Phemier. 

Lendemain  (à),  287. 

Leres,  233. 

Les  encontre ,  220. 

Lettres  (être  mis  aus),  5o. 

Lever,  i38. 

Liges  (homes  ),  112. 

Lin ,  32  ,  75. 

Lion  bis  (au),  253. 

Lisses ,   20. 

Loons,  120. 

Lorains  (  li  ) ,  297. 

Lorrains  (les) ,  290. 

Los  (au  ) ,  77. 

Losangier,   139. 

Louer,  116. 

Loulre,  264. 

Luisir,  iio. 

Lusignon,  295. 

Lutin,  40. 

M. 

Maçon,  199. 

Maint,  36. 

Maint  en  Belliam,  21. 

Mais  que,  234. 

Maistre,  54, 

Mal  faire ,  1 56. 

Malgré  en  ait,  109. 

]Manaide,  i32. 

Mangié  avoit,  i45. 

Maugier  (  le  ) ,  263. 

Mar,  102. 

Marchiés,  91. 

Marie  (Thomas  de),  i63. 

Marrir  (s'en),  8. 

Mastins  de  la  cuisine,  i54. 

Maillaient,   8. 

Menaide,  286. 

Mengiers  (droit  de),  57. 

Menois,    11. 


Tome   Second. 

Lievcr,  32  ,  33. 

Lin,  3. 

Liui  ,  48. 

Lioncel  bis  (  au  )  ,   120. 

Longes  garir,   3r. 

Los,   i4- 


M. 

Maillier,  207. 

Main  (  par),    i58. 

Mais  que  ,    199. 

Mal  dahé,  46. 

Mangier  servir,  14. 

Mantiaus  sebelins ,  67. 

Marchiés  de  ÎNIez,  212. 

Marmiteus  le  vis,  112. 

Maserin,   79. 

Maillaient,  36. 

Mauvais  moine  issu  de  rabbaye, 

IIO. 

Menoier,   226. 

IMeuuel  galopin ,  99. 

Merir,   120. 

Mes ,  71,  194. 

Mesure,  270. 

Mettre  avant ,  22. 

Milon  oDcîe  de  Pcpin  ,  64. 


y.V    COMMENTAIRES. 


287 


ToMt    PkEMI£R. 

Merveilles  {(/ire  et  oîr),  100. 

Mes  (subst.  ),  II. 

Mes  (  prép. ),  6r. 

Mesage  (prendre  un),  211. 

Mesagers,  29'). 

Mesagier  (  féi  ir  le  ) ,  2 1 3 . 

Meschin  ,  33,  i58,  241. 

Mcslicr.  (avoir) ,  n4,  171. 

Mettre  à  force  (se),  184. 

Meubles  des  rois,  43. 

Mis  à  raisou,  25. 

Moles ,  85. 

Monstereul,  io5 

Montciin  (Giiillaiirae  de),  164. 

Montagii ,  137. 

Montdidier  (Garuier  de),  162. 

Mont-le-heri ,  i45. 

Moutagn ,  248. 

Mont-Loon,  52. 

Mont  meliant ,  i23. 

Monts  d'Aussai ,  292. 

Moriaoe,  ^3. 

Mors  les  eussent,  39. 

Movoii-,  i5i. 

Muls,  4. 

Murs,  m. 

Musart ,  282. 

N. 

Nager,  227. 
Naisil,  227. 
Ne  porterai  mais,    172. 
Né  que,  283. 
Ne  t'esmaier,  i52. 
Neporquant ,  3i. 
Nés,   12 ,  27. 
Nés  à  tout ,  85. 
Nés  une,  ii5,  124. 
Neuf-chatel,  248. 
Ne  vous  donroie,  12 5. 


Tome  Second. 

Misnie  l'cmpcreris ,   28. 
Monclin  ,  44  ,  i34- 
Moniaus  ,   162. 
Monnuble ,   129. 
Monstereul,  i34. 
Monter,   182. 
Monter  (faire),   197. 
Morant ,  269. 
Murs,  58  ,  146. 
jNIustiaus  (  les  ) ,  20 ,  99. 


N. 

Nagierenl ,   i35. 

N'ai  encor  conseil  pris  ,    i5i. 

Naisil  à  quatre  lieues  de  Liiii , 
48.  —  Conquis  par  J.  Cé- 
sar, 53. 

Ne^.  s'il  ne,  25. 

Ne  me  honnir,  ii4- 

Né  n'i  ot  aive,   i53. 

Ne  fu  plus  entreprins ,  52. 

Nef  dor  (  la  )  ,   ifi. 

N'en  cbauroit  guercs  ,  i53. 


288 


IN  DFX     DKS    NOTf.S 


Tome  Premier. 

Ni,    i3. 

N'i  a  que  dei  bien  contenir, 

44- 
Nicaise  (Saint),  i. 


O. 

O,  24. 

Oirre  (  aprcster  son  )  ,   1 5G. 

Oliphant,  20. 

Or  est  issi,   i56. 

Ordre  (la  tour  d"),  164. 

Orendroit,  i5i. 

Orfe,  76. 

Orguillous  (1'),  256. 

Oste,   74. 

Ostel  (descendre  à  1'),   121. 

Ostex  (aller  aus),  66, 


Palasin ,  5i. 
Palefroi ,   3. 
Paoniers ,   25 1. 
Parmi,   i35. 
Paroles   commencent   à 

(les),  4. 
Part  (de  soie),  142. 
Part  (s'en),  220. 
Par  teiis,  268. 
Passons,  aSi. 
Pechoié,   52. 
Pecoier,  277. 
Pelisson  gris,    i5. 
Pénéanl ,   i25. 
Pennons ,  g5. 


Tome  Second. 

N'en  verrez  aulres ,   176. 
Nés,  38,  97. 
Nés  porchascier,  i34. 
Nés  puet-on,  etc.,  126. 
Neuf-Chastel ,  25(). 
Niés,  prens  la  teste,  3;. 
Nis  ,  Ht. 

Novelles  ont ,  118. 
Nuns  d'aus,  193. 

O. 

o  son  frère  ,  256. 

Ocis  por  lor  seignor,  88. 

Olive ,  261. 

Ouor  (  1'),  210. 

Onques  ,  u3. 

Or  n'i  a  plus,   195. 

Or  niier  (d'),   232. 

Oiiflame,   121. 

Oscuri,   167. 

Oslages  d'un  combat ,  26. 


P. 

Paine  i  a  au  tenir,   100. 

Pais ,  100. 

Pais  en  feront ,   77 

Palais  d'Orléans ,    107. 

Par  de  delà  a  chevaliers  assés 

192. 
Parmi ,  la. 
Par  ses  espaules,  112. 
Parage ,  46. 
Parmi  le  cou  ,   19. 
Parsonniers,   235. 
Partir  entre  deux ,  xoi. 
Pas ,  59. 

Paumée  (une),  181. 
Pautonniers  (uns),  75. 


ET    COMMENTAIRES. 


^89 


ToMB  Premier. 

Penoncel ,  36. 

Percier  chastiaus ,   iBg. 

Perdes,  23 1. 

Peronne  ,  278. 

Pers  del  pais ,   i5t. 

Pertrix,  270. 

Peviers.,  5o,  i33. 

Pez  (les),  25 1. 

Pierepont,  248. 

Pinçonart ,  40. 

Pinçouie ,  40. 

Pinel ,  195. 

Pitié,   12. 

Plais  à  tenir?  (Est-ce),  286. 

Plaisséis,  289. 

Plait  de  noiaut  (or  a  ),  123. 

Planéis ,  298. 

Pièges,  288. 

Poignant,  29. 

Point,  27,  36. 

Pons ,  32. 

Pont  Savari,  69. 

Ponthieu ,  i5o. 

Pontis,  i5o. 

Por  Dieu  merci ,  273. 

Por  les  membres  tollir,  90. 

Porchascié  (  s'est  ) ,   180. 

Postis,  142. 

Pour  cel  signour,  4. 

Pour  un  petit,  27. 

Pour  assenbler  (  por),  ir. 

Prendre  femme  sans  le  congié 

du  roi,  180. 
Prendre  fln ,  79. 
Prest,  9. 
Preu ,    i53. 
Prévoires ,  5. 
Prodons  (Il  n'est),  a  18. 
Proier,    184. 
Putiin(de),  Sa. 


Tome  Second. 

Pecoier,  /^5. 

Pclisson  liermin,  22. 

Pelissons  hermins ,  67. 

Peste!  ,    19. 

Piielle  (  le  bois  de  )  ,  219. 

Pirant  à  esiri ,   229. 

Plaine  terre  (de),  119,  147. 

Plevir,   49. 

Ploviers  de  Lorraine,  19. 

Ploviucr,  228. 

Plus  qu'iins  ai's  ne  traisist,  gS, 

Poing  destre( lever  par  le),  33. 

Pont  de  l'espée,  36. 

Por  corpus  Deu ,  240. 

Por  un  petit ,  37. 

Porchasseni  (  se  ) ,  gS. 

Pois  qui  a  fumé  ,  aaS. 

Postis  ,  49. 

Prang  l'un  (je),  71. 

Prenez-ià,  saurons  tôt  assouvi,  7, 

Pris  (de),    146 

Pris  (  les  )  ,  211. 

Pris  (  ne  ),  254. 

Prisons,   i4i- 


lî 


29**  IXDF.X    DES    NOTES 

ToMK  Premier.  Tome   Secoud. 


Qu'a  li  Flamens ,  172. 

Qu'à  tort,    i3t. 

Quant  tu  fus  nés  s'avoies  moût 

petit,   iSa. 
Quatre  rois  (  li) ,  73. 
Que,   i5. 
Que  fais-tu,   194. 
Quens  dou  Liège  (  11) ,   io3. 
Quens  palais,  i53. 
Que  qu'il  parolent ,  275. 
Qui,  2i3. 

Qu'il  conduira?  284. 
Qui  son  nez  coupe  il  déserte 

son  vis,  160. 
Quierent,   i3o. 
Quiers  ,  n. 

Qu'il  s'en  ist  fors,  i23. 
Quis  (  tout  le  monde  en  cliief  ) , 

114. 
Quitter  le  fief,  55. 

R. 

Raier,  265. 

Raison  (mettre  à  ) ,  aS  ,  72. 

Râler  (s'en),  161. 

Raoncles,  89. 

Recoillir,  91. 

Recoillir  (  pensez  de) ,    169. 

Règnes ,  235. 

Régnés  (li),  53. 

Reliques  des  Sains  ,117. 

Remanra  por  vous  (ne  ),  173. 

Rendre  vielle  robe ,  121. 

Rente  i  métrai,  que,  etc.,  i38. 

Requis,   173. 

Resconsé ,  20. 

Rescovrer,  i33. 

Restes  ,  248. 


Quanque,  i55. 
Que,  4 ,  164. 
Que  ne  le  voise,   142. 
Qiieus  palais ,    i52. 


dont  véist,  188,  265. 
er  soir  l'agait  fist,  166. 
est  né  cist  né  cil,  82. 
le  fist ,   194. 
vous  conduit  .■'  210. 
t  (  je  le  vos  ) ,  II. 
te,  70. 


R. 

Raimes,  225. 

Rasotti,  145. 

Rebais,  39. 

Reflatir  (faire) ,  141. 

Regisoient,  235. 

Renge ,  94. 

Requis  (il  a  ),  79. 

Resorli  (on  le),  207. 

Respit,  8. 

Respousa,  74. 

Ressembler  le  mastin ,  16. 

Restraindre,  247. 

Riens  n'i  vaut  li  covrir,  2  5. 

Riens  parti,  73. 

Rigaut,  81. 

Roé,  29. 


F.T    COMMENTAIRES. 


191 


lOME  Premier. 

Rethel,  248. 

Retorués ,  no. 

Retournent  (  s'en  ) ,  1 3. 

Révélé,  67. 

Ribemont,   148. 

Riche,  16. 

Richement,  274. 

Robers,  seigneur  de  Hérisson  , 

148. 
Roche  (Simons  de  la),  295. 
Roche-Caïu  (la),  94. 
Roial  (li),   ro3. 
Roies  (  Hebers  de  ) ,  1 63 ,  294. 
Roitiaus  s'est   au  grant   cisne 

prins  (li  ) ,  190. 
RoUéis,  23 1. 
Romacles  (saint) ,  270. 
Romancort,   228. 
Roncin  ,  3. 
Route ,  26  ,  29. 
Rumignè  ,  249. 

S. 

S,  final,  38. 

Sa,  274. 

Sachier,   167. 

Saigner,  273. 

Sains,   12. 

Sains  (tenir  sur  un  drap  les  ) , 

ii3, 
Sains-Denise ,   1 3. 
Saint-Marcel,  11. 
Saint-Martin  (  tête  de  la  ) ,  71, 

—  Li  boillans,   177. 
Saint-Mihiel ,  292. 
Saint-Pierre  de  Troyes  ,  42. 
Saint-Pol,    12. 
Saint-Quentin   (  mostier  de  ) , 

147. 
Saint -Vincent  (le  pui),  84. 


Tome  Second. 

Roiaus  (les),  5o. 

Romant  et  latin  (et),  263. 

Ronciii ,  67. 

Rouge  vermeille,  111. 

Route  (en  lor) ,  67. 

Routes ,  149. 


Sacha,  17. 

Sachier,  84. 

S'affiche,  4i. 

Sagement ,  38. 

Saint-Denis  (Feste  de) ,  42. 

Saint-Ladre,  45. 

Saint-Magloire  (Eglise  de) ,  5, 

Saint-Seurin,  69,  i56. 

Saint- Vincent,  11 5. 

Saint-Croix  (église  de) ,  106. 

Salerne  (mires  de) ,  89. 

Sallir  à  mont,  4. 

S'amer  comme  loial  voisin,  44. 

Sanbelet  (un  ),  228. 

Sarrasins,  S-j,  199. 

Savés,  264. 

Scelés  (écrits),  n5. 


292 


INDEX    DES    NOTES 


ToM£  Premier. 

Saint- Vincent  (monastère  Je) , 

i37. 
Saisne ,  88. 
Sallemons  (de  Bretagne),  lo;, 

i88. 
Sambuc,  298. 
Sarrasin ,  88. 
S'atendent,  i5. 
S'avoit  aie,  174. 
Sculptures  des  tombeaux,  261. 
Se  ce  non,  5. 
Secours  vois  querre,  54. 
Se  Diex  n'en  pense,  gS. 
Se  il  vient  à  plaisir,  2  85. 
Séjour ,  80. 
S'en,  86. 
Séné  (le),  85. 
S'en  ist,  178. 

Sens  cuide  des  ver  (  le  ) ,  27. 
S'en  va ,  220. 
Seoir  devant  el  chief ,  252. 
Se  povoir  tenir,  77. 
Ses  a,  279. 
Ses  linages ,  140. 
Séur  (  en  faire  ),  57. 
S'eust,  279. 
Sevrer,  18. 
Si  con ,  104. 
Si  cont  mie,   i83. 
Siet  bien  (elle),  143. 
Sissons  (cliastelet  de),  142. 

—  (fief  de),  1 53.  — (plaids 

de),  212. 
Soffrir,  2,  87,  191,  222. 
Soie,  19. 
Soudoiersj   i83. 
Soure  11 ,  i3i. 


Tome  Second. 

Se  ce  non,  etc.,  9, 

Sebelin  (mantel),  23. 

Seine  trespasse,  39. 

Sercliier,  22. 

Serchier  la  forest,  242. 

S'es,  124. 

S'es  accordez ,  3 1 . 

Si,  20. 

Si  bailli ,  57. 

Si  com  li  ruis  d'une  fontaine 

vient,  226. 
Si  emplir,  5g. 
Si  fais,  24. 
Si  li  est  prest,  9. 
Si  m'aist  Dieu  ,  40. 
Si  va  de  guerre,  i5o. 
Signor  de  Chauni  (  li  ) ,  86. 
S'il  n'est  prodons,  180. 
Sofrir,  12. 
S'offrir,  29. 
Soie  (la),  69,  86. 
Soliers,  iSg. 
Son  enfant,  159. 
Sor  les  espaules ,  68. 
Sore  lor  court,  95. 
Sortnenter  son  rang ,  168. 
Soure,  240. 
Sous  de  Poitevins,  100. 
Sovieut,  37. 
Sovin,  75. 

Soz  son  mantel  hermin  ,  68. 
Suet,  243. 
Surprises  dans  les  églises,  184. 


ET    COMMENTAIRES.  îgS 

Tome  Premier.  Iome  Second. 


Tabours  sonent  (les),  39. 

Talent,   i3. 

Tant , 

Tenir  à  vilouie,  145. 

Tant  mar  i  fusles,  261. 

Tele  genl  a  ici ,  238. 

Tenir,  276. 

Tenir  son  lieu  (vouloir) .  i83. 

Tenir  une  ville ,   i44- 

Tenser,  197. 

Tertre  avale  ( le ) ,  137. 

Thieri ,  99. 

Thouars  (  li  vis  quens  de  ) , 

275. 
Tierce  (la) ,  178. 
Tirant,  i3. 
Toi  (n,  d.  1.  ),   184. 
Tombe  de  Charles  Martel,  43. 
Torner  (  faire  ) ,  26. 
Tornez  plus  (Ne),  221. 
Trais  (  n'i  a  mestier  ) ,  2  33. 
Tramettre,  74. 
Tré,  97. 
Tref,  22. 
Très,  23. 
Treslis,  4. 

Treslout  le  pas  ,  218. 
Troies ,  292. 
Trova  riens  (  n  y  ),  219. 
Troyes,  2  3. 


Vaillant  un  esperon  ,  aS. 
Vair  et  le  gris  (le),  8. 
Val-de-Morin ,  290. 
Valentin,  226. 


T. 

Talens,  220. 
Tant  mari  fastes.  248. 
Tant  me  duel,  i5o. 
Témoignages   (  véracité   des  ) , 

ir. 
Tempier,  243. 

Tenir  à  ses  serjans  (se),  172. 
Tenir  de  quelqu'un  ,  18. 
Tenir  vers  son  signor,  195. 
Terrer,  126. 
Tes,  ï55. 
Tesée,  187. 
Thierri  d'Ardennes ,  i3. 
Tierce  (la),  35. 
Tor  de  Bordelle  (  la  grant  ) , 

i36, 
Tornoi  (le) ,  149. 
Tornois  tôt  ensemble  mis,  i65. 
Tornuere,   i63. 
Tos  dis,  160. 
Tos  sens ,  55. 
Touchiés,  238. 
Traiez  (ne),  55. 
Traïn,  88. 
Traïson  (  de  ) ,  3 1 . 
Tramet  (  il  s'en),   197. 
Tresces  et  baus,  196. 
Trésor  a  ci  (  molt  bel  ) ,  56. 
Trésors  (mes),  90. 
Tressauter  la  table,  16. 
Trestuit,   164. 
Troi  barons  (les),  178. 

V. 

Vair  de  Valfondrée,  186. 
Vair  et  le  gris  (avoir  le),  179. 
Val  Saint-Dié ,   72. 
Valentin ,  222. 


2  94 


INDEX    DES    NOTES    El     COMMENTAIRES. 


Yse ,  94. 


Tome  Premier. 

Tome  Secohd. 

Val  parfonde,  73,  96. 

Vallès  (de),  146. 

Val-Rinel,  228. 

Vasselage,   12  5. 

Vanduel,  216. 

Vaucel,   120. 

Vassal,  i4,  49- 

Veiller,  i56. 

Vaucel ,  171. 

Ventailie,  171. 

Véir,  170. 

Vergier  du  roi  ,  îg. 

Veuéor  (  le  ) ,  99. 

Vertu  ,  239. 

Venir  aus  huis,   i32. 

Veves,  34. 

Venlaille  (la),   168. 

Viandes,  45. 

Verdun    (  l'évéque  de  ) ,    46  , 

Vicoigne,  219. 

164  ;  frère  de  Guillaume  de 

Vierge  pucelle,  36. 

Montclin. 

Vin  (après  lel,   166. 

Vespres ,  20. 

Vis,  36,  95.' 

Vianne,  91. 

Vissiers,   r35. 

Viel  et  li  raeschin  (  li).  Sa. 

Viteri,  48. 

Villes,  289. 

Vois  (  le  ) , 

Villes  (les  bonnes) ,  166. 

Vous  en  tenrés,  195. 

Vis  (  visage  ) ,  5. 

Vousures,  68. 

—  (vivant),  i52. 

Voutis,  94. 

Vit ,   vixtt  (  que   ces   hons  ) , 

Voyage  de  Pépin  en  Gascogne, 

284. 

65. 

Voire,  i. 

Voit  r  Harnais  ,   i34. 

Voleuléis,  270. 

Vous  me  donna ,  207. 

Vuis  (  chevaus  tos  ) ,  Sg. 

1 


Réseau  de  bibliothèques 

Université  d'Ottawa 

Échéance 

i 

Library  Network          ' 
University  of  Ottawa 
Date  Due 

CE 


â39003    0021321420b 


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